musicologie

2022 — Jean-Marc Warszawski

Le théâtre sonore de Tatiana Probst

Tatiana Probst, The Matter ot Time Project, Œuvres de Tatiana Probst, Carmen Lefrançois (saxophone), Alvise Sinivia (piano), Vassilena Serafimova (marimba), Guillaume Vincent (piano), Nicole Garcia (récitante), Philippe Hattat (piano), Quatuor Rosamonde, Orchestre Pasdeloup, Tatiana Probst (soprano), Laurent Korcia (violon), Iris Scialom (violon), Marc Antoine Novel (violoncelle), Zita Hanrot (récitante), Adélaïde Lafarge, Barbara Prost, Catherine Chevalier, Gisèle Casadessus (récitantes). Continuo classica 2022 (CC 777.742)

Enregistré en plusieurs occasions entre octobre 2014 et janvier 2022, Studio de Meudon, Salle Gaveau, Radio France, Conservatoire de Sarcelles.

Le nom de Tatania Probst apparaît surtout comme celui d’une soprano dans les programmes d’art lyrique. Pourtant elle est également pianiste diplômée et a étudié la composition, notamment avec Michel Merlet au Conservatoire national supérieur de Paris. Et puis quand on est membre de la tribu Casadessus avec un père compositeur, l’école c’est aussi à la maison.

Il faut donc observer les programmes d’un peu plus près : compositrice, plusieurs de ses œuvres, commanditées, ont été créées. C’est le sujet de ce cédé au titre bizarrement anglais : The Matter of Time Project. Comme disait saint Augustin, tout le monde parle du temps comme d’une chose commune, mais c’est une autre paire de manches quand il s’agit d’expliquer ce que cela est. C’est d’ailleurs la même chose des deux côtés de la Manche et au-delà. Ici The Matter of Time est une œuvre de Richard Serra installée au musée Guggenheim de Bilbao.

Ce cédé rassemble huit œuvres composées entre 2012 et 2019, du piano seul au Lied symphonique où Tatiana Probst se chante, en passant par le duo et le quatuor. La compositrice y rassemble son monde, ses influences, les années 1920, le jazz, des idiomes modernistes, ses amis, sa famille. C’est bourré de choses intéressantes et accrocheuses et belles, qui se fichent de savoir si tonal ou atonal, mais on sait ce que c’est, et ses poèmes un peu juvéniles, mais qui ont à dire et aiment les jeux de mots et les rapprochements sonores.

Mis ce sont là diverses explorations, lesquelles dans l’agencement global du disque font au début un peu kaléidoscope : des pièces caractéristiques, superbement troussées, comme l’œuvre titre dans sa simplicité mélodique entêtée, un peu Après-Midi d’un faune un moment malmené dans sa sérénité. Mais cela semble disperser plutôt que mener vers un point de l’horizon. Mais dès la plage 4, Ainsi un nouveau jour, cette impression disparaît au profit d'un monde plus personnel.

Tatiana Probst dit introduire les mots de ses poèmes par amour du théâtre. Mais le théâtre ce n’est pas « les mots », il est avant tout leur mise en scène, en situation. Un rapport de police n’est pas une notice de montage d’un meuble Ikea qui n’est pas spécialement poétique ou agitateur de sens.

En réalité nous apprécions le théâtre même des compositions de Tatiana Probst, portées par des programmes fantasques, affectifs, prophétiques, incantatoires, à partir d’une œuvre plastique, de la mythologie grecque, du rapprochement entre le Serment d’Hippocrate et la source mythologique Hippocrène que Pégase fit jaillir d’un coup de sabot.

Tonal ou atonal est en effet une question vieillie, surtout celle aliquote de la cohérence esthétique interne des grammaires tonales et algorithmes atonaux basés sur l’illusion que la musique serait un langage langagier, sémiotique, vidant ainsi la musique, fantasmée comme un discours, de sa théâtralité, en cherchant une universalité qui serait supérieure aux égos et affect des artistes, ce qui en fait ce par quoi ils nous touchent.

Le monde artistique de Tatiana Probst est un théâtre sonore, son théâtre, qui puise dans ce qui l’émeut et peut en exprimer, sans mièvrerie ni recuit, mais en beauté. Égal les courants, tous les courants courent.

Tatiana Probst, Ainsi un nouveau jour, I. « La fin d'Éris et Arès », plage 5 (extrait).

1. The Matter of Time ; 2. Wotan's Träumerei ; 3-4. D'Ombre et de Lumière ; 5-6. Ainsi un nouveau jour ; 7. Les Ans Volés, 8-10. 3. Mots-Songe ; 11-12, Le Serment d'Hippocrène ; 13. Exorde.

Jean-Marc Warszawski
11 décembre 2022


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Dimanche 11 Décembre, 2022 2:42