musicologie

31 janvier 2022, Jean-Marc Warszawski ——

L’art de la flûte selon Olga Reiser

Olga Reiser, Flute Tales, œuvres de Claude Debussy, Eugène Bozza, Arthur Honegger, Niccolo Paganini, Astor Piazzolla, Tilmann Dehnard, Ian Clarke, Greg Patillo, Olga Reiser, Johann Sebastian Bach. Solo musica 2021 (SM 375).

Enregistré les 2 et 30 avril 2020, Alte Zigarrenfabrik Recording Studio, Sandhausen.

Née à Norilsk, en Russie, Olga Reiser a bénéficié de l’enseignement spécial pour les enfants talentueux à Ekaterinbourg avant d’intégrer le Conservatoire d’État de la même ville, où elle a obtenu en 2003 ses diplômes de flûtiste soliste, flûtiste d’orchestre et de pédagogie musicale, trois ans plus tard, ceux de musique de chambre, tout en se perfectionnant parallèlement à l’École supérieure de musique de Würzburg, en Allemagne. Elle a reçu diverses bourses et Prix, et fait ses premières armes avec orchestre et dans des festivals, essentiellement en Russie et en Allemagne. Depuis 2018 elle joue en duo avec la guitariste Julia Zielinski et au sein du Trio Libero avec Andrey Shabashev (piano) et Pavel Klimashevsky (basse). Elle réside à Wiesbaden et enseigne à l’école de musique de Hofheim.

Son premier cédé en soliste est le manifeste bien organisé d’un engagement de plaisir et d’envie instrumentaux et musicaux.

Il s’ouvre sur une profonde référence académique (moderne), consacrée à son instrument avec l’incontournable Syrinx (Claude Debussy), Image (Eugène Bozza), Danse de la chèvre (Arthur Honegger), on aurait pu ajouter Densité 21,5 (Édgard Varèse) ou une ou deux Incantations d’André Jolivet, mais c’est avec le 24caprice de Niccolo Paganini (arrangement pour flûte par John Wummer), pour montrer que la flûte vaut bien le violon, que se termine le premier salut.

Il y a une belle énergie et de la puissance, une vitalité qui mettent parfois la tuyauterie à l’épreuve, mais où la vie et une sorte de spontanéité, si on peut parler de spontanéité à ce niveau de virtuosité, sonnent les évidences, à contre-pied de la tendance actuelle, qui n’est pas sans charmes, de rapprocher la sonorité de la grande flûte moderne de celle boisée du traverso baroque.

En lever de rideau une Étude-tango de Piazzola fait joint entre l’ancien et le nouveau, le savant et le populaire, l’académisme et la musique du monde, puis c’est le spectacle sonore enthousiasmant, voire étonnant d’une musique en liberté, joueuse entre écrit, improvisé noté et improvisé improvisé, l’usage du beatboxing, technique qui qui produit des effets de percussion dont la flûte a le monopole, et ce que la flûtiste appelle le « multiphonique », c’est à dire le jeu sur les harmoniques obtenues par des attaques du souffle, des doigtés spéciaux, ou en ajoutant la voix, ce qui permet d’obtenir deux son simultanés, parfois trois (diphonie et triphonie), enfin pour les deux derniers morceaux, l’usage d’une boîte à loops, qui permet d’enregistrer des séquences en temps réel et de les rediffuser en boucle, en couches musicales, généralement de dessous, supplémentaires.

Mieux que dans la première partie, l’envie, le plaisir, la force, ont ici l’occasion de s’épanouir dans les sons d’aujourd’hui, fusionnant ou confrontant écriture contemporaine d’après les années 1980, effluves de jazz ou de rock progressif, improvisation.

On aurait peut être attendu plus du dernier morceau, une improvisation (flûte et flûte alto) avec loops, sur le menuet BWV Anhang 115 de Johann Sebastian Bach, dont la grille harmonique loopsée forme une passacaille, qui dans sa stabilité aurait permis plus d’invention et de témérité dans l’improvisation, qui reste ici une broderie un peu répétitive sur la mélodie, illustrant peut-être les difficultés à sortir d’une éducation musicale purement classique, ignorante de son époque. D’une autre oreille, c’est d’un goût parfait. Mais notre génération a dans l’oreille (entre autres) la bourrée en mi mineur de J. S. Bach (magnifique exemple de mineur modal/tonal) par Jethro Tull, flûtiste frénétique et déjanté... difficile d'éviter de s'y reférer.

 

Jean-Marc Warszawski
31 janvier 2022


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Lundi 31 Janvier, 2022 4:35