30 novembre 2022 — Jean-Marc Warszawski
Imogen Cooper, grand salon des Invalides (Paris), 28 novembre 2022. Photographie © musicologie.org.
Parmi la quarantaine de concerts en tous genres de sa saison musicale 2022-2023 à l’Hôtel des Invalides (Paris), le musée des Armées a programmé lundi 28 novembre, au grand salon, un récital de la pianiste Imogen Cooper, inconnue des grands médias, mais une artiste admirée et rare dans le monde des musiciens et un peu plus largement des connaisseurs. Quelques collègues avaient fait le déplacement, comme Mikhail Rudy ou Anne Queffélec.
Née en Angleterre, cadette de Martin Cooper, journaliste et écrivain musical et de Mary Stewart, chanteuse amateur, elle est très tôt au piano, mais l’Angleterre n’offrant alors pas d’écoles supérieures de qualité, elle intègre le Conservatoire national supérieur de Paris, où elle obtient, six ans plus tard, son premier Prix de piano. Elle se perfectionne encore auprès d’Alfred Brendel, avec lequel elle enregistrera, en 1977, les double et triple concertos de Mozart, toujours à Vienne, elle prend également des cours avec Paul Badura-Skoda et Jörg Demus. Brendel lui déconseille de se présenter à des concours. C’est à la force du talent et avec le temps qu’elle a construit cette aura aujourd’hui prestigieuse, comme concertiste, récitaliste, et chambriste, genre auquel elle a largement donné, sa quarantaine d’enregistrements en témoigne, avec le baryton Wolfgang Holzmair (un très long compagnonnage), la violoncelliste Sonia Wieder Atherton, à quatre mains avec sa collègue Anne Queffélec.
Cette soirée est consacrée à Ludwig van Beethoven. Comme ce lieu est un lieu d’histoire et qu’on s’y tient, Christine Dana-Helfrich évoque, en présentation, La Victoire de Wellington ou La Bataille de Vittoria, œuvre symphonique descriptive du compositeur, en fait poème symphonique de 1813, décrivant la bataille de Vittoria, puis la victoire sur les troupes napoléoniennes, libérant l’Espagne de la France. Mais ce sont deux œuvres colossales, de dix années postérieures qui sont au programme : La sonate no 31 en la bémol majeur, opus 110, et les Variations Diabelli.
Nous ne savons pas à quel point ces œuvres sont autobiographiques et chevillées aux états d’âme existentiels du compositeur dont les contemporains ne comprennent plus les bizarreries et les excentricités musicales qu’ils mettent au compte de la surdité. En tout cas, il y a une bataille musicale qui tend à disloquer la forme classique tout en réduisant au minimum le matériel thématique. Beethoven a débarrassé sa musique des idiomes italianisants et revient à l’enseignement des vieux maîtres germaniques du Nord en réintroduisant fugue et fugato… dans un milieu harmonique hostile. Les variations sont naturellement d’une écriture plus libre, enfin quand on n’est pas Beethoven. Si elles commencent sereinement, les complexités inventives vont s’accumuler, même dans des épisodes minimalistes faisant place au silence, même si les questions-réponses d’accords, ou entre accords grondants et motifs « craintifs » peuvent ici ou là être ressenties comme des attentions facétieuses, il y a tout de même des enjeux musicaux qui démentent la légèreté. Les déferlement virtuoses et tendus débouchent soudain sur un chant élégiaque, quasi une marche funèbre saisissante d’émotion, le climax de l’œuvre (variation 29).
Le jeu d’Imogen Cooper est extrêmement tendu, elle mène la bataille à la bataille de Beethoven. C’est un suspens permanent. Au contraire des concerts du soir qui parfois alourdissent les paupières, là on nous réveille, on nous tient en haleine, il y a du danger, de la passion, des choses derrière les sons.
Jean-Marc Warszawski
30 novembre 2022
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Samedi 3 Décembre, 2022 4:17