4 avril 2022 —— Jean-Marc Warszawski.
Johannes Brahms, Sonates pour piano et violon, Aylen Pritchin violon), Maxim Emelyanychev (piano). Aparté 2021 (APP 237).
Enregistré les 24-28 février 2020, église luthérienne Saint-PIerre, Paris.
Il est entendu, depuis la première biographie consacrée à Johannes Brahms, publiée à partir de 1904 par Max Kalbeck, que ses trois sonates pour violon et piano sont liées à quelques-uns de ses Lieder dont il utilise dans ses sonates le matériel mélodique, donc au Lied en général, au chant, au lyrisme, à la voix. C’est sur quoi insiste Justine Harrison dans les notes d’intention du livret accompagnant cet enregistrement. Il est vrai que le flot mélodique continu l’emporte à l’oreille sur le façonnage motivique pour le moins discret.
Dans la première sonate, opus 78 en sol majeur, dont la composition commence en 1878, à Pörtschach, au bord du lac de Wörthersee, c’est le 3e des 8 Lieder und Gesänge (opus 59), qui est cité dans le 3e mouvement, Regenlied (chanson de la pluie), sur un poème de Klaus Groth (Walle Regen, walle nieder / Bouillonne, pluie, bouillonne). Ainsi surnomme-t-on cette sonate « sonate de la pluie » (Regensonate). Elle a peut-être une signification autobiographique, avec son mouvement lent adagio funèbre. Avant de faire halte au bord du lac de Wörthersee, Brahms voyageait en Italie, en compagnie de son ami le chirurgien et excellent violoniste Theodor Billroth. À Palerme, ils rendirent visite à Felix Schumann, le plus jeune des enfants de Clara et de Robert Schumann, Filleul de Brahms, qui suivait une cure pour combattre la tuberculose. Billroth confirma que le malade était condamné, lequel mourut le 16 février 1879. Cet adagio pourrait refléter le chagrin ressenti par le compositeur, qui a par ailleurs reversé les mille thalers que l’éditeur Simrock lui paya pour cette œuvre au fonds Schumann. La sonate a été créée par le pianiste Robert Heckmann et son épouse à Bonn dans la salle zum Goldenen Stern, à Bonn, le 8 novembre 1879, puis le 11 novembre à Cologne. Mais on retient le 20 novembre, où Josef Hellmesberger avec Johannes Brahms au piano, la jouèrent dans la petite salle du Musikverein de Vienne.
Johannes Brahms a composé la seconde sonate, opus 100 en la majeur, en 1886, au cours de son « été de musique de chambre » au bord du Thunersee (lac de Thoune, en Suisse). Bien entendu on cherche les rapprochements mélodiques, des réminiscences de Wagner (qui n’était pas la tasse de thé de Brahms), aux premiers et derniers mouvements (Margaret Notley, Lateness and Brahms, Oxford University Press, 2007, p. 42), les Lieder opus 105, qu’il achève alors au lac de Thoune, en attendant la visite de la célèbre cantatrice Hermine Spies dont il se serait entiché, et certainement plus évocateur, le no 5 de ses 9 Lieder und Gesänge de 1874, Junge Liebe I. Lebhaft (Meine Liebe ist grün wie der Fliederbusch / Mon amour est vert comme un buisson de lilas), sur un poème de Felix Schumann, dans le dernier mouvement de la sonate dite « Thuner-Sonate ». Le compositeur a créé la sonate en privé au bord du lac de Thoune, puis en public au Musikverein de Vienne en décembre 1886.
La composition de la troisième sonate fut amorcée elle aussi sur les rives du Thunersee, mais en 1886, pour s’achever en 1888, au même endroit, en même temps que la seconde sonate. Elle est dédicacée à Hans von Bülow, célèbre chef d’orchestre et personnage très influent. Mais Brahms pensait certainement au grand violoniste Jenő Hubay (Eugen Huber), qui dirigeait l’Académie de musique Franz-Liszt de Budapest, où il créa cette troisième sonate le 22 décembre 1888. Brahms lui-même la joua avec son ami Joseph Joachim en février 1889.
Il n’est plus ici question ici de citations de Lieder, mais de musique tsigane que Brahms pensait à tort être du folklore hongrois.
En fait, ce n’est pas tant les références à des Lieder que le genre mélodie (au violon) accompagnée (au piano), imprimé à ces sonates, qui en font la signature esthétique, y compris celle de la troisième qui va clairement chercher la virtuosité des deux instruments dans une incise concertante. Au-delà des effets d’ambigüité tonale, dont l’incertitude entre mode majeur et mode mineur, les sentiments de suspension, d’entre-deux, de demi-teinte ou de retenue souvent évoqués, sont produits pas le fait qu’on ne sait pas ce qui propulse cette musique et ce qui en donne les affects, ce qui comme dans l’opéra ressort des arias sentimentaux ou des récitatifs narratifs. Il n’y a pas ici l’illusion d’autonomie interne de prolifération que rendent les variations, les segmentations et reconstitutions motiviques. C’est le compositeur omniscient qui ne livre quasiment rien de ses secrets, et paradoxalement par ce fait, livre des œuvres aux évocations intimes et mélancoliques autobiographiques.
Aylen Pritchin, Giverny, 2014. Photographie © musicologie.org.
Aylen Pritchin, premier grand Prix du Concours Long-Thibaud, Prix du public et de la presse au Concours Tchaïkovski de Moscou, dont la renommée dans les milieux musicaux internationaux est acquise et Maxim Emelyanychev, pianiste, principal chef du Scottish Chamber Orchestra et d’Il Pomo d’Oro Orchestra, nous donnent avec ce cédé une remarquable version des plus accomplies, tant dans l’art des leurs instruments respectifs, de dans l’équilibre et de la beauté sonore, ne forçant pas les secrets de l’amour brahmsien très tôt perdu et à jamais.
Johannes Brahms, F. A. E. Sonata, Scherzo.
1. F. A. E. Sonata, Scherzo ; 2. Sonate pour piano et violon no 1 en sol majeur, opus 78 ; 3. Sonate pour piano et violon no 2 en la majeur, opus 100 ; 4. Sonate pour piano et violon no 3 en ré mineur, opus 108.
Joseph Joachim était à Düsseldorf pour la création, le 27 octobre 1853, de la fantaisie pour violon et orchestre opus 131 de Robert Schumann. Ce dernier eut l'idée de composer une sonate pour piano et violon en son honneur, en mettant à l'honneur le motif F A E (fa, la mi), abréviation de la devise du violoniste Frei aber einsam (libre mais seul). Schuman partagea la composition avec Albert Dietrich et Johannes Brahms qui étaient ses invités :
F. A. E. : In Erwartung der Ankunft des verehrten und geliebten Freunden Joseph Joachim : schrieben diese Sonate : Robert Schumann, Albert Dietrich und Johannes Brahms [En attendant l'arrivée du vénéré et bien-aimé ami Joseph Joachim : écrivirent cette sonate : Robert Schumann, Albert Dietrich et Johannes Brahms].
1. Allegro (Dietrich)
2. Intermezzo, bewegt, doch nicht zu schnell (Schumann)
3. Scherzo, allegro (Brahms)
4. Finale, markiertes, ziemlich lebhaftes Tempo (Schumann).
Elle fut créée chez les Schumann, le 28 octobre 1853, par Joseph Joachim (qui reconnut sans peine l'auteur de chaque mouvement) avec Clara Schumann au piano.
L'œuvre ne fut pas publiée du vivant des compositeurs. Schumann réutilisa les deux mouvements qu'il avait composés pour sa troisième sonate. Joachim qui conserva le manuscrit original, n'autorisa la publication du scherzo qu'en en 1906. La sonate complète fut publiée en 1935.
Jean-Marc Warszawski
4 avril 2022
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Lundi 4 Avril, 2022 3:42