musicologie

24 janvier 2021 —— Jean-Marc Warszawski.

Les sonates de Louis Thirion, une musique et trois interprètes d'exception

Louis Thirion, Sonates, Laurent Wagschal (piano), Solenne Païdassi (violon), Henri Demarquette (violoncelle), sonates pour violon et piano, pour piano, pour violoncelle et piano. Forgotten Records 2020 (fr 1750).

Enregistré du 3 au 6 janvier 2018, Auditorium de Vincennes.

Voici le cédé d’une musique exceptionnelle pour au moins trois raisons.

La troisième est la part de mystère qui entoure le compositeur, qui est né en 1879 à Baccarat, près de la célèbre cristallerie où son père, organiste, est chef de musique. Il devient organiste, pianiste et compositeur au Conservatoire de Nancy, notamment sous la direction de son directeur Guy Ropartz qui fut par ailleurs un des élèves de César Franck. Les choses se passent plutôt bien, au loin de la capitale sans laquelle rien ne peut se faire ès arts. À ses à peine vingt ans, il passe directement d’élève à professeur, ses œuvres sont éditées et créées à Paris, par la Société nationale de musique, l’Orchestre Colonne, des solistes de premier plan. Musique de piano, de chambre, deux symphonies. Il est vrai que la presse parisienne n’en donne pas de grands échos. Il est mobilisé au cours de la Première Guerre mondiale, et ne posera plus une seule note sur son papier réglé. Il a trente-cinq ans.

Une perte de confiance dans l’humanité après la violente boucherie ? L’incendie de sa maison a Baccarat lors de violents combats et la perte de tous ses biens et manuscrits musicaux ? Le décès de sa première épouse en 1920 ? La marginalisation provinciale ? Mystère.

La première raison soulève un étonnement frustré, car il s’agit de la musique d’un très grand maître. Selon Jacques Tchamkerten, auteur du livret, la France tenait en lui son plus grand musicien. Le propos n’est pas ridicule, mais nous n’aimons pas ce genre de classement concurrentiel. En tout cas il y a bien là trois chefs-d’œuvre d’anthologie, par leur beauté, leur richesse, leur facture.

Louis Thirion est-il l’héritier de César Franck par Guy Topartz ? Ce n’est pas évident, si ce n’est un romantisme d’inspiration germanique qui peut évoquer Robert Schumann ou Franz Liszt. Mais la virtuosité de plume, la clarté des expositions, la pureté des lignes, la maîtrise technique peut le rapprocher se Saint-Saëns ou de Maurice Ravel. On frisssonne aux terribles élans à décongeler les humeurs les plus récalcitrantes de la sonate pour violon et piano, on est attiré par le style narratif plus que mélodique qui dans ses explorations en fait une pièce de bravoure. La sonate pour piano confirme le romantisme avec un mélange de progressions harmoniques et de suspension impressionniste, la magnifique et originale toccata de la seconde partie, élargie dans la quatrième, où toute brume est levée. Même s’il y a de la lumière, l’œuvre de Louis Thirion n’est pas particulièrement joyeuse. La sonate pour violoncelle et piano, plus élégiaque mais aussi d'un modernisme plus radical que les pièces précédentes, n’aurait pas déplu à Dimitri Chostakovitch (il y a même une troïka) ni aux expressionnistes.

Louis Thirion a certainement l’oreille qu’on peut avoir à son époque, mais plutôt que d’influences, il faut parler d'exploration expressive, de richesse d’invention, d'imagination fleurissante, d'idées, d'une tension tantôt narrative, tantôt évocatrice (là on pense à Paul Dukas), sans aucun relâchement trivial, aucune articulation bricolée, dans un style souverain qui embarque quasi naturellement l'auditeur dans ses histoires musique, avec une heureuse surprise par épisode.

La seconde raison est la classe très supérieure et l’engagement des interprètes. Solène Païdassi et Laurent Wagschal sont déjà de (assez) vieux complices de papier à musique, ils ont voici une paire d’années, enregistré le trio. Un rodage qui n’est certainement pas pour rien dans cette réussite dont on rêverait le renouvellement sur scène.

Louis Thirion, sonate pour violon et piano, 1er mouvement, extrait (plage 1).

 

 

 Jean-Marc Warszawski
24 janvier 2020


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