20 décembre 2021 —— Jean-Marc Warszawski.
Nicole Tamestit, Khandochkine, Sonates et chansons russes pour violon solo. Diligence 2021 (Dil 17).
Enregistré en juilet 2019, église de Bonneuil-Matours.
Ivan Ievstafievitch Khandochkine, né en 1747, 15 ans après Joseph Haydn, 9 ans avant Wolfgang Amadeus Mozart, était un violoniste virtuose et compositeur à son propre service, comme en était encore l’usage, qui fut musicien et maître de chapelle à la cour de Catherine II à Saint-Pétersbourg, aussi au service du Prince Potemkine occupé à ses folies fondatrices d’Ekaterinoslav (aujourd’hui Dnipro). Les mauvaises langues remarquaient qu’on y avait construit l’Académie de musique avant la ville. Ivan Ievstafievitch Khandochkine, pédagogue apprécié, y enseigna.
Il laisse peu de sa musique pour violon seul ou à très petits effectifs chambristes, 3 sonates pour violon et des cahiers de « chansons russes », parfois de « vieilles chansons russes », avec variations.
Ce qui est déjà étonnant dans un milieu où la langue culturelle est le français qui se partage l’hégémonie artistique avec l’italien et l’allemand. La Russie profonde, celle des « simples », est méprisée par l’aristocratie. Il faut encore attendre les années 1870, pour que la russophilie s’impose aux compositeurs russes.
Le plus étonnant est la musique elle-même venue d’un autre monde. Sans liens filiaux évidents, mais faisant feu de bien des bois, elle sera sans héritage, étant pourtant totalement aboutie et d’une beauté saisissante.
Elle réunit en même temps haute virtuosité, écriture savante et rusticité. De longs épisodes évoquent sans conteste Johann Sebastian Bach, pourtant il est peu probable que Khandochkine ait connu ses sonates et partitas éditées en 1802. D’autres, font penser aux pièces de viole françaises du siècle précédent, y compris des danses populaires (par exemple le rondo de la 3e sonate, plage 15). Ici et là l’Italie et quelque chose de l’Été de Vivaldi (premier mouvement de la 3e sonate, plage 16)… Si Khandochkine puise, comme le supposent ses titres, dans le traditionnel russe, il faut tendre l’oreille avec de la bonne volonté pour s’en convaincre. On y arrive dès l’aria qui ouvre cet enregistrement. Masi les accents populaires y sont bien policés.
Surtout, il y a le jeu quasi permanent en doubles cordes, voire triples, à deux ou trois voix réelles. On retrouve la « polyphonie à une voix » de Bach, dans l’architectonique des questions et réponses aux octaves inférieures qui donnent le sentiment de voix différentes. Mais on est bien dans l’écriture concertante de son époque des Lumières qui n’est pas le contrepoint. De la musique ancienne présentée de manière moderne. Cela est saisissant, d’autant que l’écriture serrée, le sens mélodique, la recherche de l’émotion (pas mal mélancolique, voire élégiaque) ne cèdent jamais à la virtuosité esbroufant. Les fusées démonstratives, les traits de virtuosité extravertie, le jeu sur les harmoniques, sont rares, passent sans s’installer, comme articulations ou effets passagers.
Venue du Conservatoire de Nice, Nicole Tamestit a visité musique contemporaine et musique ancienne, a joué dans l’ensemble Kaleidocollage, à la Chapelle royale sous la direction de Philippe Herreweghe, et depuis 1991, dans l’orchestre du Théâtre des Champs-Élysées. Pour ce cédé, elle abandonne son compagnon de scène et de découvertes musicales depuis trois décennies, le pianofortiste Pierre Bouyer. Elle est professeur au conservatoire de Chartres.
Elle donne ici une interprétation claire, attentionnée à poser toutes les voix, à faire ressortir la rusticité en n’insistant pas sur le vibrato, ce qui en rajoute aux diaboliques difficultés techniques qu’elle passe avec élégance, justesse et homogénéité de style.
Dans un beau boitier en métal du label Diligence et un livret conséquent par la violoniste en personne.
Jean-Marc Warszawski
20 décembre 2021
1. Aria en ré mineur, première version (été) ; 2-11. Sonate opus 3 no 1, en sol mineur (Marcia: Maestoso ; Allegro assai ; Andante con Variazioni - thème ; Variations ; Thème) ; 12. Chanson russe pour violon, en ré mineur, Sur le thème de Dorogaïa moia gosteika (Mon cher hôte) ; 13-15. Sonate opus 3, no 2, en ml bémol majeur (Andante ; Tempo di Minuetto - Trio - Minuetto ; Rondo) ; 16-18. Sonate opus 3 no 3, en ré majeur (Andante maestoso ; Minuetto grazioso - Trio - Minuetto ; Allegro vivace) ; 19. Aria en ré mineur, deuxième version (automne).
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Lundi 20 Décembre, 2021 2:38