2 mars 2021 —— Jean-Marc Warszawski.
Schubert, Three sonatas from 1817. Edda Erlendsdóttir ERMA 2021 (ERMA 200.10).
Enregistré en janvier 2020 à Paris.
Dès les premiers octets, le jeu précis et bien articulé, le beau son équilibré nous attire dans l’histoire. Edda Erlendsdóttir, comme son nom peut laisser le supposer, est originaire du pays des glaces ou Islande, il y fait presque toujours nuit, et la canicule tape à 13° comme un vin fort, la chaleur en moins. Le fait de venir étudier au Conservatoire national supérieur de Paris ville lumière sept jours sur sept vingt-quatre heures sur vingt-quatre, a été au sens propre une illumination, une prise au piège, comme le papillon prisonnier du halo de lumière.
Elle propose avec son 9e ou 10e cédé, trois sonates de 1817, de Franz Schubert, peu enregistrées ou jouées en récital. En 1817, le compositeur a vingt ans, il vient d’obtenir une première commande qui lui rapporte le double de son salaire annuel. Il obtient un congé d’un an et ne reprend pas son poste de maître s’école.
Sans compter les fragments et les secondes versions, Franz Schubert a composé vingt sonates pour piano. Après lui, le genre sera un temps boudé, les compositeurs cherchant un renouvellement de l’expression au profit de formes plus libres tels le nocturne, les « romances sans paroles », les fantaisies, les « novelettes », les poèmes descriptifs. Avec ses « moments musicaux » et ses « impromptus », Schubert cotise déjà à cette évolution.
Ces trois sonates ne sont pas vraiment toutes de 1817. En fait, la sonate en quatre mouvements D 568, en mi bémol majeur, date de 1825/1826 (éditée en 1829), elle est la seconde version d’une sonate en ré bémol majeur en trois mouvements qui elle, date bien de 1817 (éditée en 1887). C’est-à-dire que la première sonate et la troisième de ce programme sont des œuvres de jeunesse, la seconde, une œuvre de maturité, si on peut ainsi dire pour une personne morte à l’âge de 31 ans, et au vu de l’incroyable maturité technique de la jeunesse.
La sonate D 557 en la bémol majeur, qui ouvre le récital, en surprendra plus d’un. Elle est un brillantissime exercice de classicisme viennois, d’un allant irrésistible, par lequel Schubert se montre être un quatrième larron de la bande des trois : Haydn, Mozart, Beethoven, avec en prime l’introduction virtuose, la partie centrale du mouvement andante, d’une quasi-toccata évoquant le style ancien des organistes du Nord allemand, Johann Sebastian Bach en tête.
La sonate D 568, bien que de 1825/1826, est également viennoise, plus dans le sillage Beethoven alors la D 557 est dans celui de Mozart. En second thème, l’évocation du premier de la première sonate pour piano de Beethoven. Cousinage fortuit ou hommage ?
On s’étonnera aussi dans la sonate en la mineur D 537 du magnifique allegretto si chantant si dansant, revenant dans le développement comme une ritournelle nostalgique, car on le connaît plutôt de la sonate D 957 de 1827, l’année des chefs-d’œuvre. Cette sonate est la plus caractéristique des trois quant à l’originalité stylistique de Schubert, avec ses modulations inhabituelles, mais si lyriques, alors que Beethoven les emploie pour leur effet dramatique. Le lyrisme populaire, qui fait parfois penser à des chansons à danser, mais ça chante ici de partout, la mélodie prise note à note dans des accords (le voicing du jazz), et une inspiration poétique exceptionnelle qu’Edda Erlendsdóttir reprend à son compte.
Jean-Marc Warszawski
2 mars 2021
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Mardi 2 Mars, 2021 2:13