musicologie

—— Jean-Luc Vannier.

Das Lied von der Erde pour un émouvant anniversaire de Jean-Claude Casadesus

Gustav Mahler, Das Lied von der Erde, Violeta Urmana (mezzo-soprano), Clifton Forbis (ténor), Orchestre national de Lille, sous la direction de Jean-Claude Casadesus. Evidence 2020 (EVCD057).

Enregistré à la Basiique de Saint-Denis, 3 juin 2008.

Afin de célébrer dignement les 85 printemps du chef Jean-Claude Casadesus, les musiciens et toute l’équipe de l’ONLille ont souhaité remercier leur maestro et fondateur de la phalange lilloise avec la parution d’un CD événement chez Evidence Classics : Das Lied von der Erde de Gustav Mahler dans une version enregistrée par France Inter le 3 juin 2008 à la Basilique de Saint-Denis dans le cadre du Festival de Saint-Denis Enregistrement d’archive.

Mis en valeur par les voix très incarnées, expressives et puissantes de la mezzo-soprano Violeta Urmana et du ténor Clifton Forbis, ce superbe enregistrement live offre une émouvante interprétation de cette œuvre à l’étrange destin puisqu’elle fut débaptisée en raison d’une superstition : « Das Lied von der Erde était en fait la neuvième symphonie » expliqua le compositeur à son épouse en écrivant la symphonie suivante. Ajoutant, naïvement sans doute : « maintenant, le danger est passé » (Theodor Reik, Variations psychanalytiques sur un thème de Gustav Mahler, Denoël, Coll. « Freud et son temps », 1972, p. 184). Dans son ouvrage  « Rede über Gustav Mahler » (1913), Arnold Schönberg, dont Gustav Mahler fut l’élève, semble faire sienne cette crédulité : « Il semble que la Neuvième soit le terme. Celui qui veut aller au-delà doit disparaître… ceux qui ont écrit une Neuvième Symphonie étaient proches de l’Au-delà ».

Etranges encore ces six mouvements tirés de  « La Flûte chinoise » de Hans Bethge qui débutent par de vastes élans symphoniques : « Das Trinklied von Jammer der Erde » à l’entrée ponctuée par l’éclat tragique des cuivres et accentuée par les aigus paroxystiques — mais substantiellement tenus — de Clifton Forbis, annonce Richard Strauss. Puis éclot, telle une source apaisante, une strophe vocale et orchestrale plus intimiste « Der Einsame in Herbst », sorte d’écho féminin intérieur qui épouse un mouvement lent. Ensuite, trois morceaux susceptibles de représenter les Scherzos avant que « Der Abschied », finale qui fait souvenance du premier mouvement de la Troisième Symphonie, introduise un interlude orchestral surmonté, vaincu même par ce chant d’adieu au monde de l’être : dislocation progressive, inexorable qui précède la succession évanescente des « Ewig »,  chant somptueusement exposé par Violetta Urmana et prompt à nous arracher mille gémissements de plaisir.

Chef d’œuvre inclassable : Gustav Mahler avait confié à Bruno Walter, la première fois qu’il lui parla de Das Lied von der Erde, son intention de la nommer « Symphonie de lieder ». « C’est son œuvre la plus personnelle…un langage déconcertant…un esprit brûlant en quête d’expériences… » précise encore celui qui la créa à Munich le 20 novembre 1911, six mois après le décès du compositeur (Bruno Walter, Gustav Mahler, Préface de Pierre Boulez, Coll. « Pluriel », Le Livre de poche, 1979, pp.40 et 94).

Jean-Claude Casadesus insuffle à l’Orchestre National de Lille cette rare densité d’interprétation musicale, poignante et digne à la fois. Il nous restitue, dans une étonnante atmosphère équilibrant pureté ascétique des sons et authentiques pulsations vitales, cette résignation mêlée de nostalgie de l’être humain face à son irrévocable appel vers « l’autre monde » : celui ouvert par « les émotions nébuleuses » qui fascinaient tant Gustav Mahler. Une « anxiété démiurgique » selon Pierre Boulez.  Fascination empreinte d’angoisse pour une œuvre composée Sub specie mortis.

Nice, le 4 février 2021
Jean-Luc Vannier


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