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Paris, Le 13ème Art, 7 janvier 2020 —— Jean-Marc Warszawski.

Stravinsky à deux pianos rime avec flamenco

Israël Galván. Photographie © Théâtre de la Ville.

Le four à micro-onde doit, comme tout le monde en ce moment, s’être mis en grève ou n’assurer que le service minimum.  La minuscule quiche « fromage-de-chèvre-épinards » est encore à moitié congelée. La qualité du côtes-du-Rhône fait passer la petite bouffée de déception, mais ne justifie pas qu’on doive débourser onze euros pour une telle petite chose industrielle... Règle : ne pas arriver au théâtre en avance avec un petit creux.

La direction du Théâtre de la Ville de Paris, Salle Le 13ème Art de la place d’Italie, a maintenu les représentations de La Consagración de la primavera, malgré les difficultés de circulation : une bonne décision, il y a peu de places inoccupées.

Né dans un milieu flamenca et bercé par le chant profond de Séville, Israël Galván est devenu au cours des années 1990 un des artistes les plus en vue d’un genre qu’il a fait sortir loin de  son cadre traditionnel, au point de ne peut-être plus y appartenir. Son calendrier est fort chargé, moins en Espagne qu’ailleurs, pluis en France qu'ailleurs, avec plusieurs spectacles simultanément en tournée.

La pianiste Sylvie Courvoisier a quitté la Suisse pour s’installer à Brooklyn voici une vingtaine d’années. Musicalement très active, elle participe plutôt à l’avant-garde du jazz américain, celle passée par l’underground, mais n’hésitant pas à franchir les frontières des genres, du free jazz à la musique de film.

Elle a joué avec Israël Galván des centaines de fois, notamment dans le spectacle La Curvas (2010), et Cast-a-Net, quatuor free jaz (Sylvie Courvoisier, Mark Feldman, Evan Parker, Ikue Mori) et danse Flamenco, en 2018.

Son collègue de Clavier, Cory Smith est installé aux États-Unis de naissance. Il a étudié au sein de la célèbre école de musique de Bloomington, Université d’Indiana. Il est un pianiste demandé dans tous les genres, prisant particulièrement la musique contemporaine, dont il crée régulièrement des œuvres, et le jazz.

Un trio par nature transgressif et anti conformiste, des qualités indispensables à la création artistique. Mais en s’attaquant au Sacre du Printemps, œuvre qui en 1913 déclencha le scandale avant de devenir une œuvre cultuelle et référentielle, dans la version pour piano à quatre mains  d’Igor Stravinsky lui-même, en y ajoutant même un prélude et un final (de Sylvie Courvoisier), ils désacralisent le Sacre.

Sur scène, outre les deux pianos, une demi-douzaine de « lieux », caractérisés au sol par des dispositifs divers, pour donner aux claquements flamencos de talons une diversité de sonorités. Le prélude est une improvisation avec piano préparé et jeu sur les cordes, quelque chose d’atmosphérique où culmine l’apparition du danseur, pantin désarticulé s'acrochant au cordier d'un piano droit posé à la verticale, et dont il effleure les cordes du pied. Une magnifique image  d’entrée, saisissante et poétique. L’oiseau quittant le nid, peinant au premier battement d’ailes raté, tentant de prendre son envol depuis le piano.

La gestique d’Israël Galván peut évoquer l’oiseau qui fait le printemps. Une gestique débarrassée des archétypes flamencas, mais qui utilise un art consommé du mime, dans les gestes des bras, des mains, des doigts, les mimiques, les postures, parfois les facéties. On peut facilement imaginer qu’il y a là des réminiscences de l’avant-garde chorégraphique des années 1900, pourquoi pas du balletto, danse mimée du xvie siècle. Seuls les claquements des talons, les raclements sur le sol, qui suivent scrupuleusement la partition, rappellent l’Andalousie, avec quelques percussions corporelles en prime. Figures de flamenco ou claquettes américaines ? Nous ne sommes pas très loin dans le principe d’une pièce comme Sopra la Folia de Thierry Escaich créée en 2014 par Michel Strauss (violoncelle) et Max Pollak (claquettes) [YouTube], danse ou mime en moins. Il est évident que c’est la pulsion rythmique qui intéresse ici les artistes, l’extraordinaire motoricité mise en jeu dans le Sacre du Printemps.

C’est au bout du bout un bon et beau et fort spectacle, unique, issu non pas de métissage, d’un mélange ingénieux de genres, de passages transfrontaliers, mais d’une solide vision artistique, de la même manière que le brassage des gamètes embellit et solidifie l’humanité.

On  relève quelques petits creux liés à des gestes rationnels, hors-jeu si on veut, comme parfois la maîtrise  la longue traîne de la robe dans la troisième partie ou l’utilisation des tabourets à vis, qui ne sont peut-être pas assez mis en scène ou dramatisés. On comprend bien aussi la volonté d’un déroulement en arche, une montée assez rapide au climax, un final en lente descente apaisée (sorte de récapitulation-réminiscence libre des thèmes du Sacre). Personnellement, nous avons ressenti un mouvement plus linéaire, avec une fin n’égalant pas la beauté et la frappe de la première image du prélude.

Jusqu'au 15 janvier.

 

 Jean-Marc Warszawski
8 janvier 2020

© musicologie.org


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