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24 octobre 2020 —— Jean-Marc Warszawski.

Patrick Messina et Fabrizio Chiovetta dans un pas de deux américain entre deux

Patrick Messia (clarinette), Fabrizio Chiovetta (piano), Songs, œuvres de Samuel Barber, Leonard Berstein, aaron Copland, Stephen Foster, George Gershwin, Charle Ives, André Prévins. Aparté 2020 (AP 231).

Enregistré les 25-27 août 2019, auditorium du Conservatoire Darius Milhaud d'Aix-en-Provence.

Le livret de ce cédé nous invite penser la musique américaine, à ce qui est américain dans la musique américaine. D’un côté c’est une vraie question, de l’autre, pour diverses raisons, cette musique nous est familière, avec un naturel qui ne pose aucune question. Par le goût que nous avons pour le jazz depuis le début du siècle dernier, par l’impérialisme culturel des États-Unis, par les succès planétaires de comédies musicales filmées ou d’œuvres telles la Rhapsodie in Blue de Gorge Gershwin ou West Side Story de Leonard Bernstein. Il y a quelques années, il n’y avait pas une musique de variété qui ne soit truffée de mélismes blues ou gospel, que c’en était agaçant.

Pourtant, la musique américaine est celle des colons venus d’abord d’Angleterre, puis de bien des lieux du « Vieux monde », et d’esclaves achetés en Afrique auxquels on a sectionner langues et racines culturelles extrêmement variées. On comprend que la musique savante, d'abord importée, ait frayé sa voie sur une culture populaire, y compris religieuse,  quasiment hégémonique entre le gospel rural, le blues des quartiers ouvriers, le jazz et la country aux forts accents irlandais et pentatoniques, parfois si proche du blues qu’on modélise souvent à tort comme églement pentatonique.

C’était un tel problème, que de bonnes dames de New York ont invité, pont d’or à l’appui, Antonín Dvořák, pour qu’il fonde une musique américaine, comme il l’avait fait, selon elles, pour la Bohème.

Si pour les esclaves l’effacement culturel des origines a été aussi systématique que brutal, les premiers colons, débarquant en une Terre promise sans limites, avaient le sentiment et la volonté de rompre avec le vieux monde corrompu, de ne pas le reproduire, c’est ce qu’on retient des œuvres fantasques de Charles ives, musicien atonal avant Schönberg, que l’on n’attend pas dans la délicieuse mélodie « Songs My Mother Taught Me » (plage 4), marquant son attachement à la vie quotidienne qu’il pense mettre en musique, ou le magnifique Largo (plage 15) qui clôt le programme. On bien l'évocation d'un thème du Sacre du printemps d’Igor Stravinski de la sonate de Leonard Bernstein.

Quand les colons ont débarqué sur ces terres infinies, elle n’était vierge que dans leurs fantasques bibliques. Des tribus amérindiennes y vivaient en harmonie avec la nature, loin des corruptions que les nouveaux venus fuyaient, qui auraient pu fonder leurs espoirs, admiration et modèle. Mais ils ont au contraire mené un génocide, corrompu  et parqué les survivants, la culture amérindienne, jusques y compris son souvenir, a été caricaturée et effacée dans un consensus général. Ainsi le génial Harry Partch, qui s’en est inspiré est-il resté dans l’ombre.

Patrick Messina et Fabrizzio Chiovetta proposent ici un programme savoureux de cet entre-deux, ou les diverses évocations, familières à nos oreilles américanisées pourraient faire parfois entendre un art  du collage, là où il y a une véritable esthétique cohérente, musicale et historique d’un certain point de vue américain, un programme qui en reste à cette propositioopn, sans aller jusqu'à l’apport de l’immigration des musiciens fuyant le nazisme ou de la contre-culture de John Cage à Terry Riley ou autres.

Au-delà de tout cela et ça, c’est un cédé qu’on, met et remet volontiers sur la platine avec un plaisir qui ne demande pas aux neurones de se couper en quatre, même si on est tout de même dans des œuvres un peu plus exigentes que de simples « songs » où les interprètes (qui ont déjà tâté ensemble du Schumann pour le même label) sont à la hauteur de leur renommée.

Charles Ives, Largo, pour violon, clarinette et piano, plage 15 (extrait).

 

 Jean-Marc Warszawski
24 octobre 2020


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Samedi 24 Octobre, 2020 2:55