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19 juin 2020 —— Jean-Marc Warszawski.

Les sortilèges franco-russes du pianiste Cyril Guillotin

Cyril Guillotin, Sortilèges, œuvres pour piano de Piotr Illitch Tchaïkovski, Modest Moussorgski et Laurent Lefrançois. Calioppe 2019 (CAL 1972).

Enregistré du 29 avril au 3 mai 2013 au Conservatoire d'Évry.

Cyril Guillotin s’est formé au Conservatoire national supérieur de Paris, sous la direction de la regrettée Brigitte Engerer. Il mène une carrière de soliste et de chambriste. Il enseigne le Piano et la musique de chambre au conservatoire de Narbonne. Il est a créé dirige le Festival « Ma vigne en musique » en Narbonnais. Ses trois précédents enregistrements discographiques ont été favorablement accueillis : Sortilèges (la belle écouteuse 2013), Balnéaire (Évidence 2014), participation à un disque monographique de musique de chambre du compositeur Laurent Lefrançois, et Helldunkel / Clair-obscur (Évidence, 2016).

Ce cédé est un repiquage de l'enregistrement de 2013.

Le pianiste y met en miroir, par rapport à la suite Les visages de Laurent Lefrançois, deux frères ennemis russes, Piotr Illitch Tchaïkovski, dans la suite du ballet Casse-noisette, arrangée par Mikhaïl Pletnev, et Modest Moussorgski avec ses Tableaux d’une exposition.

Frères ennemis parce que le premier, certes russophile, est tout de même tourné vers l’aristocratie russe internationalisée (la langue culturelle est le français, s’ajoutent les vecteurs allemands et italiens), que le second, issu de l’aristocratie, rejette cette culture aristocratique au profit des pratiques populaires et l’implication de la langue russe. Il soutint même l’abolition du servage qui porta un grand coup à la fortune familiale. Tout en reconnaissant dans l’œuvre de Moussorgski un nouveau langage, Tchaïkovski considérait que c’était « de la boue ».

Par contre, il y a un cousinage entre Les Visages de Laurent Lefrançois, et certaines parties des Tableaux, surtout avec « Le gnome », dans les questions-réponses ou les oppositions entre des traits monodiques et des accords chargés et carillonnant, comme il est annoncé dès les premières mesures de la première « Promenade» des Tableaux, mais qui reste français, on peut entendre au loin Debussy ou Ravel, bien qu'on se réclame ici des masques chinois. Cyril Guillotin, dédicaire, a créé cette œuvre en 2007, au festival Radio France de Montpellier.

Comment ne pas apprécier les belles mélodies de Casse-Noisette, que nous avons tous à l’oreille, l’indépassable invention de la « Danse de la fée Dragée » ou le trépidant « Trepak », le tout envoyé avec une maîtrise et un brio impeccables.

On découvre avec intérêt une œuvre triptyque de Laurent Lefrançois, un compositeur très peu médiatisé, qui vaut d’être entendu. Accroché à la tonalité, il tente toutefois, sans hésiter sur les dissonances, d’échapper aux banalités propres à un système déjà tant exploité.

Quant aux Tableaux, nous ne partageons pas tous les choix de Cyril Guillotin. Même si la première « Promenade » est attaquée plutôt lentement, ce qui permettrait de jouer sur le balancement de carillon propre à la musique russe (qu’on retrouve un peu chez Laurent Lefrançois), les effets sucrés des rubatos et sur les intensités (des ponctuations piano à pianissimo) en cassent les effets et mènent à l’impasse de la seconde partie, où la longue série d’accords manque de ponctuation rythmique. Dans l’ensemble, il y a un peu trop de romantisme, de pédale, pas assez  de rugosité et de naturel, Moussorgski ce n’est pas Tchaïkovski. Il est aussi dommage qu'il ne respecte pas le attaca indiqué à la fin de la première « Promenade » pour enchaîner immédiatement sur « Le gnome ».

Il y a tout de même de très beaux moments, comme « Le château » ou la « Grande porte de Kiev » qui termine l’œuvre.

1-7. Piotr Illitch Tchaïkovski, Suite de Casse-Noisette (version de Mikhaïl Pletnev), I. « Marche, II. « Danse de ma fée dragée, III. « Tarentelle, IV. « Intermezzo, V. « Trepak, VI. « Danse Chinoise, VII. « Intermezzo.

8-10. Laurent Lefrançois, Suite Les visages, I. « Bleu (Le courageux), II. « Rouge (Le héros), III. « Blanc (Le Rusé).

11-25. Modest Moussorgski, Tableaux d'une exposition, « Promenade I », I. « Gnomus », « Promenade II », « Il vecchio castello », « Promenade III », III. « Tuileries », IV. « Bydło », « Promenade IV », V. « Ballet des poussins dans leur coque » , VI. « Samuel Goldenberg und Schmuÿle », « Promenade V. », VII. « Limoges, le marché », VIII. « Catacombæ, Cum Mortuis in lingua mortua », IX. « La cabane sur des pattes de poule, Baba-Yagá », X. « La Grande Porte de Kiev ».

plume 4 Jean-Marc Warszawski
19 juin 2020
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