Nice 12 septembre 2020 —— Jean-Luc Vannier.
Deux syndicats, Les Forces Musicales (nouvelle organisation patronale créée le 28 septembre 2015 et qui regroupe des adhérents de l’ancienne CPDO -Chambre Professionnelle des Directions d’Opéra- et du SYNOLYR -Syndicat National des Orchestres et des Théâtres Lyriques- et la Chambre Syndicale de la Facture Instrumentale (CSFI) ainsi que l’Institut Technologique Européen des Métiers de la Musique viennent de publier une passionnante étude sous la forme d’une veille scientifique : un état des lieux des connaissances relatives à la propagation de particules potentiellement infectieuses par la pratique du chant et des instruments à vent. Cette synthèse du moment se veut à la fois prudente dans la manipulation des données chiffrées mais rigoureusement étayée sur les travaux en cours de plusieurs centres de recherches dûment référencés: University of Bristol, University of Minnesota, Brass Bands England, Lund University (Suède), University of Colorado, University of Maryland.
Les questions sont celles que les musiciens, les chanteurs et le public qui assiste aux représentations orchestrales et lyriques sont susceptibles de se poser en ces temps de pandémie: le chant et la pratique des instruments à vent émettent-ils plus ou moins de particules que la parole ou la respiration ? De quelle taille sont ces particules ? Comment se propagent-elles ? Par où s’échappent les particules émises par les instruments à vent ?
Le plus fascinant dans cette recherche réside sans aucun doute dans la rencontre inévitable entre la technique et l’humain. En clair : si de multiples expériences parviennent à élaborer des schémas conceptualisés précis – par exemple : « la taille des particules émises est un paramètre déterminant à la fois sur leur propagation et sur leur faculté à être inhalée par une personne présente » ou bien encore « la distinction bien établie entre les « gouttelettes » et les « aérosols » dont les diamètres sont communément admis comme étant respectivement supérieurs ou inférieurs à 5 micromètres » –, l’inspiration intime, irrémédiablement individuelle et qui détermine les nuances du jeu musical par l’instrumentiste ou la densité de l’interprétation vocale par l’artiste lyrique – niveau sonore et capacité de projection de la voix ont, semble-t-il, une incidence sur la concentration de particules – vient sérieusement compliquer la tâche des scientifiques. Sans parler de la lecture personnelle d’une œuvre par le chef d’orchestre. Nous le savons depuis la tentative avortée de Francis Ysidro Edgeworth (1845-1926) lequel s’efforça, avec son Hedonical Calculus, de sonder les tréfonds de l’âme humaine pour y déceler une échelle graduée du bonheur. Impossible, lui répondait en écho Joseph Schumpeter, de mesurer les « constituants immatériels » de la jouissance.
Cette immuable mais bienheureuse variable humaine justifie, selon le document, « la nécessité de disposer de plusieurs études sur lesquelles fonder l’analyse des risques ». Des incertitudes deviennent ainsi des axes de recherches : quid de l'importance du phénomène de dépôt et de l'atténuation des émissions de particules dans l'instrument, « jouant un certain rôle de filtre des particules à même d’être éliminées assez facilement en le nettoyant régulièrement » ?
L’étude des concentrations de particules et des flux d’air donne par ailleurs des résultats différents selon les instruments : « concentrations significativement plus élevées en sortie de pavillon qu’au niveau des trous latéraux ou de l’embouchure (hautbois, trombone et clarinette) ». Pour le chant et les Cuivres étudiés, « cette portée est de l'ordre de 0,5m mais elle est estimée à environ 1m pour la clarinette, le hautbois ou le basson tandis que la flûte peut aller au-delà sur certaines notes ».
Les dernières pages de ce rapport fouillé suggèrent quelques pistes préventives non sans rappeler la difficulté inhérente qui consiste à les rendre compatibles avec les contraintes pratiques ou artistiques: contrôler les flux d’air de la pièce où se produisent des chanteurs, installer des purificateurs d’air, voire, horresco referens, prévoir un amplificateur de la voix.
S’agissant des instruments à vent, le document fait litière d’idées reçues selon lesquelles ces derniers produiraient des flux d’airs importants comparables à un souffle. Et ce, nonobstant le regret du petit nombre d’études sur les concentrations d’aérosols par les instruments. Or, ce sont bien dans le domaine de « la production et de la dispersion des aérosols qu’il faut consolider les connaissances » précisent les auteurs.
A relever in fine : la « distance de base » entre musiciens et chanteurs adoptée aux États- Unis -6 feet, c’est-à-dire 2 mètres- est plus importante que la française, soit 1 seul mètre : un élément à « prendre en compte dans la lecture des résultats et des préconisations des études nord-américaines ». Et, cela va sans dire, dans la protection des artistes tout comme celle des mélomanes.
Nice, le 11 septembre 2020
Jean-Luc Vannier
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Samedi 12 Septembre, 2020 17:15