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22 septembre 2020 —— Jean-Marc Warszawski.

Le style en musique

Ce texte a été rédigé en juin 1985, au sein du cours d’esthétique de maîtrise (Université Paris VIII) du professeur Daniel Charles.

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Rien de mieux défini, en apparence, que le mot STYLE : une manière d’écrire, d’autre part la manière d’écrire propre à un écrivain, à un genre, à une époque ; double définition que nos dictionnaires ont héritée de nos anciens1.

Double définition d’un mot simple, dont le contenu (signifié ?) se ramifie rapidement en des implications multiples.

Friedrich Hegel discerne, quant à lui, deux espèces de manières : l’une subjective, touchant aux particularités accidentelles de l’artiste ; l’autre, le style, ayant plutôt à voir avec le savoir-faire, maîtrise de l’outil et de la matière2.

Que cette manière caractérise un genre, une époque, suppose une permanence, une identification, une communauté, une répétition, mais également une série de signes distinctifs qui font que cette manière est propre à tel ou tel artiste.

Mais cette caractéristique semble se mal définir comme se trop définir. Telle musique sera tonale, classique, sonate, Beethoven, première période. Jeux de comparaisons, faisant appel à des connaissances préalables, d’ordre avant tout historiques. Pourtant, pour un musicien comme Glenn Gould, pour lequel la manière est essentielle, l’œuvre de suffirait à elle-même.

L’évaluation d’une œuvre d’art d’après les informations qu’on possède à son sujet est la plus aberrante des méthodes de jugement esthétique. Elle consiste en fait à esquiver toute estimation autonome affranchie des jugements antérieurs3

C’est ce qu’il nomme le « syndrome de van Meegeren », célèbre « faussaire » qui peignait de « vrais » Vermeer.

Le style pourrait être alors envisagé  sous l’angle de l’authenticité, comme une signature en propre à son auteur.

I. L’identique

La première des libertés pour un artiste, est de se soumettre à des usages, règles lois, garantis du bon goût, de la nature et du style. Ceux-ci sont communs à tous. C’est en quelque sorte une grammaire commune. Et ceci est impératif. Faute d’un tel respect, l’admission au cénacle des artistes est refusée. La mort de Socrate, d’Erik Satie, passe pour une plaisanterie, et Moussorgski pour un ignorant. Pourtant, leurs personnalités musicales sont indéniables. On peut parler de leurs styles. Mais ceux-ci sont particuliers, et c’est (ce fut), tout juste s’ils ne tombent pas dans le monde de la curiosité, telle la maison du facteur Cheval.

Le bon goût se codifie donc, et tout ce qui ne se codifie pas est selon génie ou faute. L’artiste, en quelque sorte est tenu à faire entendre ce que l’auditeur à envie d’entendre.

La manière repose sur une pré-composition, qui fait par exemple que des milliards de sensibles montent à la tonique et qu’autant de septièmes descendent sur la tierce alors que dans des musiques plus anciennes, on encadre fortement les horribles tierces et « molles sixtes » par des quintes à vides ou des octaves.

Les justifications sont fragiles – rhétorique, rhétorique de la nature, du sentiment chez les romantiques, et peuvent donner des résultats opposés. Le ton des traités est en conséquence autoritaire : « il est interdit de », « totalement prohibé », ou au contraire complètement vague : « il vaut mieux ».

Le style, signe de distinction, apparaît ici comme un usage respectueux des codes d’une élégance commune4

Un des aspects de ces lois de bonne convenance, est la recherche de justifications les plus générales possibles : résonance « naturelle », sérialisme, lois de distribution (harmonie tonale, Boulez, Xenakis), impliquant à la fois l’assujettissement et la liberté du détail. Comme une double entrée. C’est en fait la recherche de la cohérence dans laquelle chaque détail doit avoir son poids. Y compris lorsque l’on pense, qu’il faut « laisser vivre les sons », ce n’est pas sans un regard d’ensemble pouvant centrer sur chaque instant.

Le style se reconnaît par un système, ou par un système prégnant de référence.

Il y a, à ce niveau, nécessité de reconnaître la même chose.

Comme le pense Gaston Bachelard, c’est pat cette confirmation que la continuité peut prendre forme. Le style peut alors être de l’ordre de l’artificiel, créant une idée de temps continue qui n’existerait pas. Le style de Wolfgang Amadeus Mozart par exemple.

Au contraire, celui de d’Anton Webern exploite et montre la discontinuité.

Les normes stylistiques, codifiées, semblent être un choix discriminatoire dans le champ des possibilités, comme s’il fallait éliminer des scories, laisser de côté les imppuretés. « Le style c’est l’homme » à la recherche de son image idéale.

Mais cet identique qui est la vérité pure, n’est pas audible, en ce sens qu’il est à la fois tout et rien. Il est atteignable, désigné, que par une multitude de signes, rayonnements éclatés, faisant les chemins lumineux qui ramèneraient au cristal, dont ils sont issus. Les musiciens seraient en charge e les dévoiler.

Le Style apparaît dès lors comme se rapportant aux facettes du cristal taillé : musique de danse, d’église, de scène, de cour et autres fonctions ; d’autre part, comme se rapportant à la spiritualité de la lumière ineffable. Aux croisements est l’organisation, la forme.

2. La différence

Traitant les signes multiples que peut prendre la corporalisassions du spirituel, le style devoent l’affaire de la différence… C’est ce qui est donné au jugement des Hommes.

Signe particulier de la vérité qui ne peut se laisser appréhender qu’à travers ces signes, le signe, à chacune des médiatisations de ses nouveautés, tout en étant un reflet de la vérité, en change la perception.

L’originalité est toujours suspecte, en ce qu’elle déséquilibre la conception idéale de l’ensemble. Elle est en même temps attirante, en ce qu’elle dévoile un aspect nouveau de la vérité. Aspect spirituel, et aspect corporel dans le péché original. La découverte est de l’ordre du geste, du sensuel.

C’est donc en premier lieu le style qui est jugé par l’Homme. Les « questions de fond » que l’on aborde n’étant que l’idée que nous nous faisons de par le miroitement musical.

Issu de la limpidité cristalline, le style doit apparaître pur et en quelque sorte ineffable. On aime ou on déteste Stravinsky première manière, mais nous restons tous unanimement médusés sur le dernière manière qualifiée néo-classique.

On apprécie la pureté de la Pologne meurtrie à travers le piano de Chopin qui n’y résida pratiquement pas. On préfère oublier l’inventeur de » ce style, John Field, irlandais émigré à Moscou et Petrograd5.

Il y a en fait, dans les discours sur la pureté stylistique, quelque chose qui porte au racisme. La grande qualité de l’Aryen blond aux yeux bleus est d’être pure aux yeux des racistes. Comme en musique, la bâtardise, perçue comme telle est à rejeter.

Il faut donc dissocier différence et originalité. Différence comme originalité acceptable et originalité comme différence refusée.

Wolfgang Amadeus Mozart, qui cassait les oreilles à une partie de ses contemporains était pourtant fort soucieux des canons de l’identique. Mais extrêmement pervers en ce sens que ses bonnes actions ne se réalisent pas aux bons moments. Trop tôt ou trop tard. Cette mauvaise volonté d’époque a contribué à changer l’idée que nous nous faisons de la vérité, à telle point qu’elle passe souvent de nos jours comme une trop bonne volonté.

L’originalité ne semble même plus être une différence. En fait, c’est toujours cette même différence qui est refusée.

Une même sensualité. Les qualificatifs raisonnables se sont déplacés sur un corps tout autant inhibé. « d’assomant » à « léger », n’est qu’un déplacement de deux siècles de la raison.

Le défi à l’ordre que le style mozartien met en jeu est toujours le défi à notre corps. Même quand cela est clairement signifié, avec par exemple Dom Juan, il ne reste à l’esprit que l’interminable liste des trophées, le « Dom Juan des jupons », et non pas celui de ses constants échecs (dans l’opéra), le Dom Juan défiant la mort, acceptant sa condition humaine au point de se battre constamment pour sa négation.

Tel est l’effet du style, de faire voir ce qui n’est pas et de faire oublier ce qui est réellement montré.

Déjà, pour sa cité, Platon se méfiait, à sa façon, de la perversité des musiciens6, et se promettait des lois suffisamment dures pour préserver la jeunesse de ses effets nocifs.

Si le signe de reconnaissance réside dans la différence, il faut également compter sur ce que l’on perçoit. Et ce que l’on perçoit semble fonctionner comme un détournement de sens freudien du terme. Et alors de poser la question du style en tant qu’ouverture aux détournements possibles.  Appel du corps et aux tabous simultanément. Le style s’inscrit alors dans un jeu réel de perversions (possibles).

L’œuvre d’interprétation elle-même n’est pas coupée de ses racines libidinales : dans le premier texte, Freud parle d’un « objet attirant » pour l’examen analytique, et d’ailleurs, en terme de « trouble » et de fascination », pour exprimer le très grand effet que font sur lui et les autres hommes, les œuvres d’art. Freud se propose, précisément, de rendre intelligible cet effet, car loin de les supprimer, la spéculation le renforce : l’opposition de l’intellect et de la sensibilité est abstraite ; elle relève d’une psychologie des facultés dont l’esthétique classique est l’héritière et dont Freud montre la faiblesse7.

Il s’agit là, vraiment, d’une interprétation. Nous pourrions considérer que « l’opposition de l’intellect et de la spéculation est concrète », que l’opposition de l’appel sensuel, de la « pulsion sexuelle » et de l’intellect (revue et corrigé par Claude Levy-Strauss : homologue culturel est très précisément concret et que c’est à ce niveau que se travaille le style : affect direct, justification intellectuel, affect indirect : jouissance intellectuelle.

Le jeu des équivalences prendrait, au niveau de la différence, corps dans l’opposition corps contre figure « logique » intellectuelle C’est ce que nous pourrions tirer des réflexions de Pierre Bourdieu8

III. La distinction

Les canons de la pure vérité stylistique, lorsqu’on s’avise de les formuler, font mine de tentative orgiaque humaine, s’aventurent dans des activités réservées aux dieux, et s’avouent tout compte fait impuissantes, en relevant par exemple, qu’aucune œuvre ne correspond aux prescriptions.

Elles se proclament alors simples grammaires à usage scolaire. Et c’est bien ainsi : on ne peut mieux. L’identique est une vision de l’idéal, du tout dans le tout et rien, que nous, pauvres humains à la cervelle limitée par nos oreilles ne pouvons que concevoir à travers des réalisations particulières concrètes.

C’est la différence, alors qui est porteuse de l’identique spirituel et de l’originalité concrète. LM’esprit et le corps. Le style est l’esprit et le corps. Il est l’alchimie qui permet de transmuter la sensualité honteuse en pureté ineffable, la jouissance en plaisir. La pornographie est l’érotisme sans style.

Évidemment, dans les limites des idées que nous avons de l’idéale beauté et despositions que nous prenons à cet égard. De façon plus générale, le style est jeu entre sens et esprit. Sens qui justement n’ont pas de sens, tout au moins en dehors des « lectures magique » ou freudiennes, alors que l’esprit porte, crée du sens.

« Le style c’est l’homme » me semble bienvenu. C’est par le style que l’Homme se distingue. Dans le style des œuvres, l’Homme  puise sa propre distinction et réagit selon son propre style entre corps et esprit. Et peut-être qu’en goût esthétique, Esprit signifie-t-il refus.

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1. Guiraud Pierre, La stylistique. « Que sais-je ? » (646), Presses universitaires de France, Paris 1972.

2. Hegel Friedrich, Esthétique (I). Flammarion Paris 1979, p. 365 et suivantes.

3. Paysant Geoffrey, Glenn Gould, un homme du futur. Fayard, Paris3 1983 (1978).

4. Pas seulement en musique. Voir : Jacques Scherer, La dramaturgie classique en France. Nizet, Paris 1950.

5. Note de 2020 : depuis nous sommes largement revenu sur cette question et ce que nous en pensons.

6. Platon, La République. Dans Œuvres complètes (I), La Pléiade, Paris 1950.

7. Kofman Sarah, L’enfance de l’art : une interprétation de l’esthétique freudienne. Payot, Paris 1970.

8. Bourdieu Pierre, La distinction. Éditions de Minuit, Paris 1979.

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Jean-Marc Warszawski

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