Dr. Ambroise Kua-Nzambi Toko, compositeur, chef de chœur, chercheur —— 30 juin 2020.
Depuis l’arrivée des missionnaires en 1877 jusqu’à l’heure actuelle, le mouvement choral a connu un réel essor en RDC. Son répertoire s’est enrichi d’innombrables œuvres dont d’une part d’œuvres importées, provenant de plusieurs sources dont les spirituals, les hymnes gospel, les œuvres chorales produites depuis l’époque de la renaissance ramenées de l’occident vers l’Afrique par les missionnaires, et d’autre part, de celles produites par les congolais, les uns s’inspirant des musiques importées et les autres des musiques traditionnelles de différentes ethnies du Congo qui en comptent plus de 440.
Le negro folk ne Kongo est un exemple typique de la production musicale « chorale » congolaise. Ces chants font partie du répertoire choral congolais contemporain. Il est le résultat de la rencontre entre le negro-spiritual et l’une de ses racines les plus sures dont les chants traditionnels Ne Kongo. Ce choc des cultures provoqué par les missionnaires américains et autres ayant investi la partie centrale de la côte Ouest de l’Afrique vers les années 30 a finalement été un véritable retour aux sources.
L’ethnie Kongo qui est à l’origine de ce style de chant, tire ses origines du grand et puissant royaume Kongo ayant existé depuis le 14e siècle, dans la partie centrale de la cote ouest du continent africain. Le peuple Ne Kongo appartenant à cette ethnie se retrouve actuellement en RDC (Sud-Ouest), au Congo-Brazzaville(Sud-est) et en Angola(Nord).
La première génération des compositeurs congolais de musique chorale au sein des communautés protestantes, est constituée en majorité des compositeurs appartenant à cette ethnie. Ils sont presque tous issus de la célèbre École des Pasteurs et d’Instituteurs établie à Kimpese par les missionnaires (EPI) au sein de laquelle l’enseignement de la musique, en particulier la notation Solfa ainsi que la pratique du chant choral occupaient une place de choix. Ces compositeurs de première génération, véritables maitres du Negrofolk Ne kongo se nomment : Georges Landu, Prof Noé Diawakudia Nseyila, Levy Makiona Lambula, Daniel Makola ma Moyo, Mfumwangana Kanda, Robert Zulu Mpinda Makiadi, Sanu Joao Maria, Luzeyidio Sisi, Ngonde Saila et bien tant d’autres. Il s’agit en effet des anciens de cette grande école, en majorité choristes ou compositeurs et aussi certains missionnaires ayant appris la langue du terroir qui ont traduit plusieurs chants importés notamment les Negro-spirituals américains et les chants provenant d’autres sources en Kikongo, langue propre au peuple Ne Kongo.
Curieusement jusqu’à l’heure actuelle, le Kikongo reste l’une des meilleures langues pour l’interprétation des negro-spirituals. Le groupe du Congo-Brazza « Les Palata Singers », quartet évoluant sur les traces des américains du Golden Gate Quartet, ont excellé dans l’interprétation des spirituals et gospels, en traduisant et interprétant bon nombre de spirituals et gospel songs en Kikongo. Ils ont finalement eux-aussi composé dans le style gospel sur des textes écrits en Kikongo. Certains de leurs créations artistiques peuvent etre considérées comme faisant partie du répertoire Negrofolk Ne Kongo.
Cõro Espiritual da África, Yisu Mvuluzi wutuka.
Les standards des chants negrofolk révélateurs de l’ADN de ce style de chant sont nombreux et bien connus. Il s’agit à titre illustratifs de : Unzibudila nto zazo (Robert Makiadi), Kutumuka (R. Makiadi), Untuadisa ku ndungunu (R. Makiadi), Yisu Mvuluzi wutuka (Georges Nlandu Mwana Nlongo), Ndombe mundele (G. Nlandu), Ngunza vo kabukula (G. Nlandu), Yisu i ntemo (G.Nlandu), Nikuzuka (Mfumwangana Kanda), Elanga na Nkolo Yesu (Mfumwangana Kanda), Mfidi a Dibundu (Mfumwangana Kanda), Lundumuka kua se (Prof Noé Diawaku dia Nseyila), Tonda tonda mpungu di zulu (Sanu Joao Maria), Ntambi za yisu landa (Sanu Joao Maria), Vioka tu vioka (Sanu Joao Maria), Sanjolama (Sanu Joao Maria), Ntuadi ye yisu (Manuel Mpombolo), Ba tata ba televo (Manuel Mpombolo), Batukembe vo tuenda (Mika Vwete Edourado), Zimbasi zeti yangalala (Jean-Pierre Tadi Tambwe), Manta (J.P. Tadi Tambwe), Vana dikulunsi dio (Dolumingu Lutunu), Nzambi eto (Dolumingu Lutunu), Yisu kaka i Mvuluzi (Mbala Ndontoni), Yisu sikakwiza (Mbala Ndontoni), Barabas (Makiesse kiavila) Ngai moto mabe (Makiesse Kiavila), Simba do (Daniel Makola), Dimbu kiena yaku (Levy Makiona Lambula), Unsila nlemvo (Ambroise Kua-Nzambi Toko), Konde dia sangabudi, Molimo kota (Ambroise Kua-Nzambi Toko).
Tonda Mfumu Adi Zulu.
L’histoire retiendra que le style Negrofolk Ne Kongo a été porté à son apogée par des groupes tels que le Groupe Vocal Protestant, la chorale Hommes Baptistes Kitega de Kinshasa, Coceval de iEBA, Coro Aluz do mundo de l’Angola et actuellement par le Chœur d’hommes du centenaire.
Genre - Thématique – Formes et structures - Approches mélodique et polyphonique
Le Negrofolk Ne Kongo est à cheval entre les Negro-spirituals afro-américains et les chants traditionnels Ne Kongo dans toute sa diversité, les deux présentant un dénominateur commun très substantiel. C’est au contact avec les spirituals que les compositeurs congolais Ne Kongo de la première génération ont pu s’illustrer surement à cause de la forte affinité existant entre les deux musiques dont la rencontre a provoquée une véritable de coup de foudre artistique.
A l’origine, le Negrofolk Ne Kongo était essentiellement religieux et protestant comme les spirituals ainsi que certains chants du répertoire traditionnels sacrés Ne Kongo. La plupart des thèmes sont liés à la liturgie, à la vie de l’Église et sa mission.
L’expression des émotions réelles et profondes de l’âme caractérise le fond du message véhiculé par ce style de chant tant dans son contenu musical que dans son texte.
Dans le Negrofolk Ne Kongo l’âme s’exprime, s’exulte, se transfigure et entre même en transe. Elle pleure, prie, médite, s’élève vers Dieu, s’adresse à son prochain, peint et chante les circonstances de la vie, comme c’est le cas pour les musiques traditionnelles Ne Kongo.
Dans l’expression vocale, la beauté esthétique y est mais elle est souvent supplantée par la beauté sensible qui est l’un des éléments importants du lyrisme africain.
Les hommes et les femmes Ne Kongo s’expriment souvent dans des registres différents lors des palabres et autres circonstances. Ils y mettent de la poésie typiquement Ne Kongo et cela a en partie affecté leur expression vocale dans le chant.
En général, les chanteurs de Negrofolk sont plus des chanteurs d’âme que des chanteurs de charme.
Les sources créatrices, les hommes en tant que compositeurs, les us et coutumes, et certaines considérations liées à la tradition Kongo (le Nzonzi - l’homme en tant que seul porte-parole dans les palabres) ont fait que ce style de chant soit plus l’apanage des voix d’Hommes. On pourrait se demander aussi pourquoi les quatuors et quintettes vocaux des afro-américains interprétants gospels et spirituals sont plus composés d’hommes.
On retiendra que la rhétorique reconnue aux Ne Kongo dans leur expression parlée et chantée étant tellement chargée d’émotions, de caractère, de sensualité et d’une dose de mélancolie sensuelle, justifie l’emploi du « Kingkongo » dans le Negrofolk sans lequel toute interprétation devient caricaturale. Mettre du charme et de la sensualité dans l’expression de la tristesse, la colère, la douleur mais aussi la joie, l’émerveillement ou tout autre caractère positif par des jeux vocaux simples libérant des sons tantôt ronds, dramatiques, denses et mélancoliques, c’est « le kingongo » qu’on adore dans la voix chantée.
Dans sa forme primitive (première génération – prima pratica), il reste un art collectif à structure strophique (forme variation A A’ A’’, rondeau AB AC), avec emploie des césures entre strophes, structure plus développée dans sa forme actuelle et sa version élitique (deuxième génération – seconda pratica). Choral harmonisé, choral varié, grand choral et formes contrapunctiques en constituent l’architecture musicale la plus dominante.
Unsila nlemvo, d'Ambroise Kua-Nzambi Toko, par le Chœur de la Grâce.
Les mélodies sont en général simples et construites sur des échelles réduites tritonique, quadratonique et pentatonique (cas pour le chant traditionnel Ne Kongo) et surtout le mode du premier degré de chaque tonalité, le mode d’Ut transposé.
Les modulations tant de rythmes que de la tonalité sont rares à l’exception des chants « Yombe » dans lesquels les modulations sont très fréquentes.
Accidents et chromatisme sont quasi-absents dans le Negrofolk de la première génération par contre on remarque l’emploie des blue-notes qui, au départ, est très prisées dans les chants d’origines Yombe et Manianga, tous variantes des chants traditionnels Ne Kongo. Outre les styles d’écriture responsorial, antiphonaire, la construction mélodique sur des phrases littéraires binaires AB AB’ et ternaires AB AB’ AC est fréquente.
L’emploie fréquent des certaines figures de rhétorique semblent s’affirmer comme une esthétique très propre au style. C’est le cas des anaphores, des épiphores, des anadiploses de nature littéraire, mélodique ou rythmique déjà très présentes dans le chant traditionnel et littérature orale Kongo.
On peut aisément affirmer ici que si l’occident a plus développé la tonalité jusqu’au sérialisme en passant par l’atonalité, l’Afrique s’est modestement accrochée à la modalité en la rendant plus riche. Et la richesse relevant de la diversité du chant Ne Kongo en est un exemple.
Les chants Negro Folk sont écrits pour chœur SATB, TTBB et SSAA mais son succès est plus éclatant dans le chœur TTBB par rapport aux autres puisque constituant l’essentiel de leur répertoire. Il semble aussi que le fait de faire jouer aux basses des rôles particulières en procédant par des tuilages, déchants et contrechants a influencé psychologiquement cette passion du Negrofolk. Les harmonies sont souvent construites sur les degrés forts de la tonalité.
Le Negrofolk de la première génération (prima pratica) est mesuré, pondéré, sobre, ascétique et se contente d’exprimer des sentiments religieux et mais aussi des sentiments humains communs, pieux et purs. Il ne fait pas partie de la catégorie des musiques dites « éthérées » car il n'est ni de nature délicate ni irréelle.
Il ne se livre pas aux extravagances ni aux outrances émotionnelles, et même quand il s’agit d’entrer en transe mais il reste séduisant.
Il a existé à l’état embryonnaire vers les années 40, 50 mais Il s’est vite affirmé comme un style vers les années 60 et 70. La fin des années 70 et le début des années 80 constituent la période de son premier âge d’or, marquée surtout par la cohabitation des trois générations des compositeurs du Negrofolk où Pères, fils et petit-fils spirituels ont eu l’occasion de marquer leurs présences sur l’échiquier national.
Le Negrofolk de la seconde génération, qui n’est plus forcement Ne Kongo mais congolais, a trouvé son sésame, il se veut et se voit à la quête de l'opulence sonore, de structure plus élaborée, faite de complexité et subtilité rythmique, de richesse harmonique plutôt qu’une simplicité harmonique dont la base réelle est l'enchainement sur les degrés forts de la tonalité. Il se construit sur des rythmes d’autres ethnies avec lesquels ils se combinent avec un degré relativement acceptable de cohérence. Ils se chantent dans d’autres langues plutôt que le kikongo. L’œuvre ZABURI en est une illustration. Il peut se faire accompagner d’instruments variés plutôt que de seuls instruments à percussion. L’hologramme du Negrofolk étant constitué, le besoin de se démocratiser et s’universaliser est bien réel enrichissant.
Du Negrofolk Ne Kongo, congolais au Negrofolk universel en passant par le Negrofolk africain, c’est possible.
Dr. Ambroise Kua-Nzambi Toko
Compositeur, chef de choeur, chercheur
Directeur de l'Académie Africaine de Musique Chorale
30 juin 2020
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Jeudi 2 Juillet, 2020