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novembre 2020 —— Jean-Marc Warszawski.

Fabrizio Chiovetta émerveille les trois dernière sonates de Beethoven

Fabrizio Chiovetta

Beethoven, Sonates pour piano opus 109, 110, 111, Fabrizio Chiovetta. Aparté 2020 (AP 238).

Enregistré en janvier 2020, à Dobbiaco, en Italie.

Pour faire la fête à Ludwig van Beethoven et éteindre ses 250 bougies, Fabrizio Chiovetta propose dans ce cédé  le souffle des trois dernières sonates pour piano composées en 1820-1822.  Dernières sonates, mais pas dernier mot, Beethoven composera encore ou achèvera la composition d’une quinzaine d’œuvres dont la Missa solemnis, la 9e symphonie, les variations « Diabelli », les quatuors 12 à 16.

Les dernières sonates et les derniers quatuors du Rhénan immigré à Vienne ont été fraîchement accueillis par les contemporains, y compris par les musiciens admirateurs, s’employant à répandre ses œuvres, tel Pierre Baillot, célèbre  pour ses soirées parisiennes de musique de chambre, dédicataire et créateur du dixième quatuor.

On mit, ce qu’on entendait comme des étrangetés et des manques de goût, au compte de la surdité du compositeur. Il est difficile de juger ce jugement, le simple quidam d’aujourd’hui à une expérience auditive incommensurablement plus étendue que le musicien le plus cultivé de cette époque, il ne saute plus au plafond pour une modulation dans un ton éloigné non préparée, il en a entendu d’autres, surtout les musiques qui ont suivi. Certes, la surdité a certainement joué un rôle, mais il téméraire de dire lequel, et peut-être encore plus téméraire de penser qu’il a été négatif.

Au moins a-t-on repéré, on repère toujours, une inflexion du style, dont il est bien difficile de dire de quoi elle est faite. On peut imaginer qu’après des efforts pour se faire entendre, Beethoven s’est senti écouté, lui qui n’entendait plus du tout depuis 1815.

Les avocats du « dernier Beethoven » peuvent y entendre un certain renoncement, moins de véhémence, une intériorisation. Pourtant, tout ce qu’on aime chez le « déboutonné » est là, plus puissant que jamais, avec une multitude de nuances sensibles inconcevables, mais également musicales indiquées soigneusement sur les partitions (ce qui prouve que Beethoven entendait fort bien intérieurement). Si on écoute, si on prête attention, c’est un Beethoven qui cherche plus que la satisfaction esthétique des choses biens menées, il explore. Ici sa musique prend aux tripes et surprend.

Par ses magnifiques cantabiles lumineux ou sombres, souvent d’extraction populaire, ses rugissements, le foisonnement, la carrure formelle liée à la liberté d’épisodes s’incrustant les uns aux autres (parallèlement, Beethoven composait des bagatelles). Il est vrai que les codes du pathos y sont moins naïvement projetés que dans les sonates qui firent sa popularité, ce n’est plus la musique qui hurle ou qui pleure dans les oreilles, l’auditeur est invité à le faire, comme dans le bon théâtre.

Dans ces sonates, Beethoven atteint des sommets de densité musicale, d’invention dans la prolifération des motifs, la segmentation et le remembrement des thèmes, la circulation et l’échange entre les voix, surtout par une écriture contrapuntique qu’il n’avait jamais autant affirmée, jusqu’à la fugue pro forma.

Il n’y a plus ici la narration linéaire, avec ses apartés, digressions, excursus, qui menaient du début à un climax et du climax au final, une musique « qui allait quelque part » contrairement à la polyphonie de Johann Sebastian Bach, dont le système, on l'imagine, pourrait indéfiniment « tourner », si on n'abrégeait par une cadence finale. Là aussi, Beethoven semble suspendre le temps, tracer les frontières d’un empire sonore achevé et complet, réunissant le passé et le présent et sans le savoir l’avenir.

Peut-être est-ce la chose qui troubla les contemporains dans un temps où Bach n’avait pas encore été  réhabilité aux oreilles par les Mendelssohn et l’héritage beethovénien, avec ses vents nouveaux, d'aileurs en gestation sur le métier de ces trois sonates,  pas encore déployés. On ne s’étonnera pas alors d’y trouver des tournures à la Schumann (premier mouvement de la sonate no 30), ou à la Schubert (3e mouvement)... Les oreilles de l’époque n’étaient pas accoutumées au contrepoint déjà démodé au début du siècle précédent, elles étaient aussi peu réceptives à la modernité la plus avancée. La fusion des deux avec le style classique devait être des plus déroutante.

Fabrizio Chiovetta, virtuose élégant, précis, maître des nuances et du discernement, nous offre avec son  neuvième cédé une merveille de musique et d’émotions.

plume 7 Jean-Marc Warszawski
16 novembre 2020


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