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10 mai 2020 —— Jean-Marc Warszawski.

Beethoven et après

Brisson Élisabeth, Fournier Bernard, Tual François-Gildas, Beethoven et après. Fayard, Paris 2020 [240 p. ; ISBN 978-2-213-71658-9 ; 15 €]

Ce livre, « Beethoven et après », pour le deux-cent-cinquantième anniversaire de son décès, entend traiter de la mythification du compositeur, de ce qu’on peut dire réellement de son autobiographie dégagée de la fiction ou des fantasmes (Élisabeth Brisson), de sa modernité (Bernard Fournier), et son héritage, à la fois dans les arrangements, dont ceux du compositeur lui-même ou supervisée par lui, et dans les « utilisations postérieures ».

Comme c’est quasi toujours le cas pour cette petite (en pages) collection Fayard, un tel programme ne peut être mené qu’au pas de charge et coups de sabre. Une attitude historienne qui nous semble peu construite n’arrange pas les choses.

Le propos commence de manière alléchante : dès la mort du compositeur, sa biographie a été un enjeu. Un enjeu de pouvoir individuel à qui serait le mieux placé pour raconter le personnage, mais aussi des enjeux idéologiques. De fait la biographie de Beethoven est lestée d’une gangue fantasque qui invite à revenir à la pureté des sources pour n’en dire que ce qu’elles permettent d’en dire. Pour se faire, l’auteure agence son texte en courtes stations ou épisodes, autour d’œuvres repères, ou de la vie du musicien, tels le testament d’Heiligenstadt ou « La lettre à l'immortelle bien-aimée ».

Mais tout écrit d’histoire, surtout la littéraire biographie, est une opération idéologique, si on croit pouvoir s’y soustraire, on fait entrer par la fenêtre ce qu’on a fait sortir pas la porte. Élisabeth Brisson ne manque pas de prêter à Beethoven une psychologie d’homme se pensant être hors normes, quittant la trop frivole Giulietta Guicciardi page 48, car « il sait que, comme Prométhée […], il doit s’isoler et se concentrer sur ses œuvres au lieu de dépenser sa force dans des aspirations ordinaires », et chargeant, page 67, « son ami Ignaz Gleichenstein de lui trouver un bon parti ». Très présent aussi  sa « détresse affective et inquiétude pour l’avenir », voire la « dépression morale ».

L’auteure est certes inspirée par les carnets de Beethoven et autres documents de première main, mais ce sont des contenus qu’il convient de critiquer. Nous n’écrivons pas la vérité ; nous ne sommes pas ce que nous écrivons ou disons de nous-mêmes. Nous n’écrivons pas sur ce qui est évident, et nous ne sommes pas les meilleurs témoins de nous-mêmes.

Mais qu’écrire de nouveau sur Ludwig van Beethoven ?

En introduction et en conclusion, Élisabeth Brisson  dresse un état des lieux de la mythification et de la démythification du compositeur. Mais là encore cela manque d’un point de vue construit et assumé. Tout serait parti d’Anton Felix Schindler, ayant mis la main sur une partie des carnets de Beethoven, les ayant falsifiés, et voulant occuper sans partage le terrain biographique. Romain Rolland est aussi souvent cité, sans aucune explication, pour sa « Vie de Beethoven » ? Sa trilogie romanesque « Jean-Christophe » ? Aussi la récupération nazie… Tout cela à malheureusement un aspect de travail bâclé et d’une suite de collages  dans l’esprit positiviste, comme s’il suffisait d’exposer judicieusement des objets « vrais » du passé, pour que l’histoire prenne sens. Pour juger de tout cela, il aurait fallu interroger l’air du temps, sans lequel aucune mythification d’un compositeur de musique n’aurait été possible, mais aussi pour situer l’ « étrangeté » et le lyrisme et ses envolées du personnage. Peut-être aurait-il été bon d’examiner l’incroyable abondance de la littérature consacrée au « troisième Viennois », son évolution en concentration et thèmes pour se faire une idée de  cette idéalisation, plus que mythification, qui ne touche pas particulièrement Beethoven, mais l’image  de l’artiste et se son génie en général, dont Beethoven, il est vrai, est un bon spécimen.  En fait on ne prend pas le temps de scanner cette « nouvelle religion des arts » plusieurs fois évoquée.

De son côté Bernard Fournier pense l’histoire de la musique comme on pense celle progressive du savoir ou des technologies. On n’est vraiment plus dans l’histoire, mais dans le prosélytisme. Comme on l’a fait avec Johann Sebastian Bach  « père de toutes les musiques », Bernard Fournier fait de Beethoven le père de toutes les musiques contemporaines, de Wagner, de Schönberg, d’Elliot Carter…  voire le père spirituel de Béla Bartók. Élisabeth Brisson n’aurait pas à aller bien loin pour observer  comment on fabrique du mythe. C’est là aussi une mauvaise compréhension de ce qu’est faire de l’histoire. Il serait plus productif pour notre savoir de montrer en quoi Beethoven est un compositeur de son temps, porteur de son temps qui n’a pas enfanté le futur. Mais on peut aussi enquêter sur les raisons qui ont poussé des compositeurs postérieurs à prendre modèle ou enseignement dans les œuvres de Beethoven. Ce sont eux qui ont inventé le futur du maître.

Bernard Fournier connaît bien le répertoire dont il parle, pour l’avoir analysé et même en partie joué. Il peut donc mettre en lumière ce qu’il estime être des emprunts à Beethoven de la part de compositeurs plus proches de notre époque. Mais on peut faire ce jeu avec bien d’autres compositeurs, Rameau, Vivaldi, Mozart, Bach. N’a-t-on pas dit ce dernier était le premier expérimentateur du total chromatique, parce que faisant suivre souvent les 3 accords de septième diminuée, il exposait en trois coups les douze sons ? On est tout de même ici à un grand niveau d’abstraction.

Il remarque avec justesse le « nouveau contrepoint » chez Beethoven, composé par un accompagnement des éléments thématiques eux-mêmes. Mais cela n’est pas spécifique au compositeur, c’est une pratique collective qui le devance, comme Charles Rosen le montre dans son livre sur Le style classique (Haydn, Mozart, Beethoven)1. L’idée de la cellule génératrice du tout, rêve structuraliste qu’on a déjà attribué à Bach, demanderait  par ailleurs à être plus amplement discutée.

La troisième étude sur les transcriptions des œuvres de Beethoven nous semble être le moment le plus abouti et construit du livre. Il porte en fait sur une part  de l’héritage des œuvres de Beethoven, à commencer par les arrangements et transcriptions du compositeur lui-même, qui en général en attendait des retours pécuniaires, mais aussi comment elles ont été utilisées jusqu’à nos jours, notamment et pour finir avec les Geek Bagatelles, sur des fragments de la ixe symphonie, pour orchestre et ensemble de smartphones, de Bernard Cavana,qui « témoignage de la dislocation de nos sociétés, par une économie mondialisée, hégémonique, régnant, par entreprises supra-étatiques, bafouant les droits fondamentaux, délocalisant, ubérisant… » [p. 235].

1. Gallimard, Paris 1978.

 Jean-Marc Warszawski
10 mai
2020
© musicologie.org


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