En bateau vers l'île de Tatihou. Photographie © Patricia Segretinat.
Comme tous les ans, la grande marée d'août, un peu tardive pour cette 25e édition du festival des musiques du large, voit s'installer un grand chapiteau sur Tatihou et un plus petit sur le quai de Saint-Vaast-la-Hougue où les musiciens du monde entier vont se croiser et émerveiller les spectateurs de plus en plus nombreux dans ce bout du Cotentin. Mais cette année, les goélands de la plus grande colonie de l'hexagone ne nous accueillent pas. Un couple de renards introduit clandestinement sur l'île a réussi en trois ans à en faire fuir les habitants ailés.
Oua Anou Diarra dans les jardins de Tatihou. Photographie © Patricia Segretinat.
Lemma dans les jardins de Tatihou. Photographie © Patricia Segretinat.
À grand coefficient, on passe à pied, mais si l'on veut écouter le concert promenade il nous faut prendre le bateau amphibie pour arriver avant la marée humaine du concert du soir. Dans chaque jardin a lieu un mini concert intimiste en trois temps pour permettre au public réparti en groupes de tourner. Yann tambour et Boubacar Sissoko proposent un duo kora guitare dans le jardin des Canaries, Oua Anou (griot) Diara nous envoûte de sa flûte peul dans le jardin marocain et les huit chanteuses et percussionnistes algériennes de Lemma nous attendent dans le jardin des découvertes un peu plus loin, justement pour nous faire entendre un répertoire spécifiquement féminin et confidentiel, non destiné à être donné en spectacle dans leur pays.
Ekko à Tatihou. Photographie © Patricia Segretinat.
Puis il est temps de rejoindre le chapiteau pris d'assaut par les festivaliers aux pieds mouillés. En première partie, un trio folk jazz, Ekko, venu de Belgique nous fait découvrir trois instrumentistes complices, Lorcan Fahy à la mandoline, Pablo Golder à l'accordéon diatonique et Antoine Dawans à la trompette, un mélange musical insolite et joyeux.
Alan Stivell à Tatihou. Photographie © Patricia Segretinat.
La seconde partie est dédiée au rock breton d'Alan Stivell, en grande forme et bien en voix, entre harpe celtique, bombarde et whistle. Il revisite ses plus grands titres et quelques autres, entouré de cinq jeunes musiciens de talent. Le son est un peu fort, mais l'énergie, indépendante de la puissance, et le plaisir restent intacts après plus d'un demi-siècle.
Kongero à Saint-Vaast. Photographie © Patricia Segretinat.
La soirée, à quai, après le retour à pied, est dédiée à la musique nordique. Kongero d'abord, un quatuor vocal virtuose venu de Suède et absolument pas influencé par Abba, nous disent-elles. Anna, Lotta, Anna et Emma. Des chansons traditionnelles, des polskas et quelques compositions du groupe. Une belle mise en voix et pas mal d'humour si on a la chance de bien comprendre l'anglais.
Juurakko à Saint-Vaast. Photographie © Patricia Segretinat.
Juurakko sont cinq musiciennes et chanteuses venues elles de Finlande, balançant entre la tradition musicale de leur pays et le blues de Robert Johnson. Laura, Eija, Anna, Minsku et Kaisa, des voix magnifiques et des arrangements instrumentaux sobres et variés, mêlant harmonium, percussions, kantélé (cithare finlandaise), plankku (petite basse à deux cordes), lyre à archet, guitares... Un superbe univers musical.
Lemma à Tatihou. Photographie © Patricia Segretinat.
Le Diwan à Tatihou. Photographie © Patricia Segretinat.
La rencontre à Tatihou. Photographie © Patricia Segretinat.
Le lendemain, sur l'île, a lieu un grand moment d'humanité et d'émotion, comme une sorte d’écho au récent printemps algérien. Le groupe féminin Lemma, découvert dans les jardins la veille, mené par Souad Asia, épatante chanteuse et danseuse, et augmenté de sa guitariste et joueuse de guembri, un gros banjo basse, Hasna El Becharia, commence le spectacle à droite de la scène. Avant d'être remplacé pour cinq morceaux par les sept tambourinaires et chanteurs gnawa du Diwan de Biskra, mené lui par Camel Zekri, qu'on connaît bien en Normandie puisqu'il habite dans l'Orne et y développe de multiples projets. Dont celui-ci à la demande de Souad, en première mondiale pour le festival, quand les neuf musiciennes reviennent à leurs places, pour croiser les répertoires, chanter ensemble, tambouriner et danser dans une rencontre musicale totalement contagieuse et colorée.
Lihou à Saint-Vaast. Photographie © Patricia Segretinat.
Pendant le second rappel, un bénévole nous fait signe de partir, car la mer monte, inexorablement, et le chemin marin à parcourir est un peu long. À terre, le groupe Lihou (du nom d'un îlot à l'ouest de Guernesey) constitué pour jouer le répertoire collecté dans les îles anglo-normandes joue sur la scène en plein air, avec le Jerriais Roland Scales au chant, à la vielle à roue et au concertina, la Bretonne Emmanuelle Bouthilier, le Normand (de la Loure) Étienne Lagrange au chant et au violon et le Guernesiais James Dumbelton au chant et à la mandoline.
Chango Spasiuk et Raul Barboza à Saint-Vaast. Photographie © Patricia Segretinat.
Le dimanche, on se contentera du concert à quai, car la traversée est tardive, mais quel concert. Un quartet endiablé venu du nordeste argentin, imprégné de tradition chamamé, et mêlant toutes les influences musicales du pays, des Indiens guaranis aux Italiens, Espagnols et autres Européens de l'est. Chango Spasiuk, découvert ici il y a quatre ans, est avec son aîné Raul Barboza, qui ne fait pas ses quatre-vingt-un ans, lui aussi à l'accordéon, avec le remarquable percussionniste, et guitariste, Marcos Villalba et le guitariste Nardo Gonzales. Un beau moment encore. À noter que si Raul parle parfaitement français, Chango, qui ne parle qu'espagnol a fait venir son interprète sur scène. Une bonne idée pour tous ces groupes qui s'efforcent à nous parler en anglais et dont nous ne comprenons souvent qu'un mot sur deux, perdant souvent l'essentiel du message...
L'an prochain, la marée remettra le festival vers la mi-août entre le 12 et le 23, et les Traversées proprement dites à partir du 19.
Alain Lambert
1er septembre 2019
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