Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte : La musique instrumentale en Italie au temps de Mozart et de Haydn.
Introduction — sonates pour piano — sonates 1-12 — sonates 13-26 — sonates 33-40 — sonates 41-50.
Rien n’est vraiment négligeable dans ces onze sonates réparties entre quatre numéros d’opus (33, 34, 37 et 40), du moins si l’on sait pardonner à Clementi quelques faiblesses passagères, et trois de ces oeuvres sont à mettre tout en haut de l’affiche, parmi lesquelles les deux écrites en mineur. C’est d’abord la formidable sonate en sol mineur opus 34 no 2, avec un prodigieux allegro con fuoco, nerveux et tumultueux, qu’on croirait écrit par un Beethoven déjà en pleine possession de son métier, un finale puissant et intensément passionné, et, au milieu, un mouvement lent merveilleusement inspiré, tout « empreint de tendresse, d’abandon, de songe intérieur. […] Pas une mesure qui ne chante, et presque pas une qui n’émeuve : il faut dire que la langue harmonique de Clementi, dans sa richesse, sa subtilité, son goût pour les dissonances frôleuses, les équivoques modales, les enchaînements imprévus, exalte ses courbes mélodiques, ses inflexions, ses temps d’arrêt, ses reprises. Pages de poète, et d’un poète lyrique, dont la sensibilité, par-delà les âges, se confond avec la nôtre. »5 Autre fleuron incontesté, la sonate opus 40 no 2 en si mineur, œuvre puissante, ambitieuse et d’une grande profondeur, s’impose par son dramatisme et par la subtilité de sa construction. Deux mouvements seulement dans cette sonate, mais, d’une manière très originale, chacun d’eux s’organise à partir d’une introduction lente au fort pouvoir expressif, la seconde tout particulièrement, dont le langage même, proche du récitatif, accentue le climat de poignante résignation.
Muzio Clementi, Sonate opus 34, no 2, en sol mineur, I. Largo – Allegro con fuoco, par Vladimir Horowitz.Assez loin de ces plongées en terre romantique, mais avec d’autres atouts, on a un autre joyau — passablement méconnu cette fois — avec l’opus 37 no 2 en sol majeur. Après un allegro de haute tenue, l’adagio « force l’admiration, par sa nudité, sa sobriété, son feint détachement des choses terrestres, qui n’en rend que plus émouvant chacun de ses aveux…. [Et l’œuvre se conclut sur] un rondo-sonate (allegro con spirito) étourdissant, dans l’esprit des meilleurs de Haydn, d’un Haydn qui serait plus roué, et peut-être plus fou ! Ces deux thèmes qui sont l’inversion l’un de l’autre, ces tierces sautillantes, ces contretemps moqueurs de la basse, ces éternelles notes répétées, ces soudaines galopades de doubles croches, éperonnées par la gauche en octaves ! Et l’humour des silences, des points d’orgue, des oppositions de nuances… »6
Muzio Clementi, Sonate opus 37, no 2, en sol majeur, par Costantino Mastroprimiano (pianoforte).Parmi les huit autres sonates, on cite volontiers au tableau d’honneur les deux œuvres restantes du grand opus 40, la no 1 en sol majeur (en quatre mouvements) et la no 3 en re majeur (en trois mouvements), deux vastes sonates qu’on est parfois tenté de rapprocher des opus 28 et 31 de Beethoven. Mais, à côté de ces œuvres ambitieuses, quelques autres mériteraient elles-mêmes un coup de projecteur, comme l’opus 33 no 2 en fa majeur, modeste par ses proportions (deux mouvements) mais riche et pleine de tempérament, et assurément plus passionnante que l’opus 33 no 3 en ut majeur, nettement trop portée, elle, sur la bravoure (sans doute parce que conçue à l’origine comme un concerto). De même, et quitte à citer des œuvres où le meilleur côtoie l’ordinaire, on a envie d’en mentionner encore deux : l’opus 33 no 1 (éblouissant second mouvement) et l’opus 34 no 1 (mouvement lent superbe, finale irrésistible).
5. Sacre Guy, La musique de piano, Robert Laffont, Paris 1998, p. 779.
6. Ibid., p. 780.
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Lundi 24 Mai, 2021
