Avec l’immense corpus de cent vingt-cinq quintettes à cordes, nous voici dans ce qui passe pour avoir été le domaine d’élection de Boccherini. En vérité, dans ce genre qu’il n’aborda qu’une fois installé en Espagne, bien après ses premiers quatuors, on lui attribue surtout une spécialité, celle du quintette avec deux violoncelles, qu’il cultiva presque sans discontinuer entre 1771 et 1795, avant de dédier douze partitions tardives à la formation qui s’est imposée comme le standard du genre, celle avec deux altos.
On a donc pour l’essentiel un catalogue de cent treize quintettes pour deux violons, alto et deux violoncelles, qui se succèdent en continu (G 265 à G 377) dans la classification Gérard, et recouvrent vingt-deux numéros d’opus différents, de l’opus 10 à l’opus 51 (les douze premiers obéissent en effet à la loi des séries de six alors que les suivants, à partir de l’opus 39 de 1787, comportent entre deux et six œuvres). C’est dire que cette production met de nouveau interprètes et auditeurs face à un embarras du choix qui ne peut que lui être préjudiciable en terme de diffusion. Il faut d’autant plus le déplorer que c’est dans ce fastueux corpus de quintettes à cordes (y compris d'ailleurs ceux avec deux altos) « que le Toscan émigré en Espagne coula le meilleur de son invention. Rarement en effet s’exprime davantage qu’ici la miraculeuse alliance de charme mélodique et de vigueur rythmique, d’équilibre classique et de subjectivité préromantique qui est l’apanage du grand Boccherini. Partout fusent l’ingéniosité technique et les innovations fantasques (notamment sur le plan tonal), tandis que le tendre lyrisme des mouvements lents peut aller jusqu’à l’expressivité la plus intense. »3
Plus que jamais, on est étonné de la qualité des oeuvres de Boccherini que l’on découvre au fil de l’eau, au hasard des circonstances, et on éprouve de vrais scrupules à n’en mettre en vedette que quelques-unes. Au risque de pécher par excès de sélectivité, donnons tout de même les références de quelques valeurs sûres. On en trouve déjà deux dans l’opus 11 : le no 5 en mi majeur (G 275), doté du menuet qui a fait le tour du monde, et le no 6 en ré majeur (G 276), sous-titré « L’Uccelliera » (La Volière), où, suivant l’exemple de Vivaldi, et avec un réalisme saisissant, le musicien s’amuse à évoquer, en en restituant les bruissements d’ailes et les gazouillis, les volières dans lesquelles l’infant Don Luis abritait ses différentes espèces préférées. Dans les deux séries suivantes, deux quintettes au moins sont à citer : l’opus 13 no 3 en fa majeur (G 279) et l’opus 18 no 1 en ut mineur (G 283). Puis, venant démentir ceux qui ne verraient en Boccherini qu’un musicien aimable et salonnard, ce sont les quintettes opus 25, en particulier le no 1 en ré mineur (G 295) et le no 6 en la mineur (G 300), « des œuvres puissantes, torturées, parfois désespérées qui cachent, derrière des mélodies gracieuses bien dans le style du compositeur, un romantisme exacerbé et des expériences harmoniques ou structurelles loin d’être anodines. »4 Vient ensuite la superbe moisson de l’année 1779, déjà avec l’opus 28 no 2 en la majeur (G 308), et surtout avec les six grands quintettes de l’opus 29 (G 313-318), « grands » à tous égards car, du premier au dernier, ils nous montrent le musicien au sommet de son art. L’année suivante, avec l’opus 30 no 6 en ut majeur (G 324), dit « La Musica notturna delle strade di Madrid », Boccherini laisse un second chef-d’œuvre de musique à programme : on y entend notamment une étonnante passacaille des chanteurs de rue (Los Manolos) et l’œuvre se conclut par la fameuse Ritirata que le musicien reprendra dans des quintettes avec piano ou avec guitare. Après quoi il faut citer l’opus 31 no 4 en ut mineur (G 328), puis, avec une mention toute spéciale pour le deuxième en fa majeur, les trois quintettes de l’opus 39 (G 337-339) qui offrent la singularité de remplacer le second violoncelle par la contrebasse. Puis, dans les neuf derniers groupes échelonnés de 1788 à 1795, l’attention se porte en priorité sur quelques pages : le petit quintette opus 40 no 2 (G 341), parfois dénommé « du Fandango » ; l’opus 42 no 1 en fa mineur (G 348) et l’opus 42 no 4 en sol mineur, deux « partitions violemment colorées, traversées de brusques clairs-obscurs très Sturm und Drang, et qui se laissent aussi aller à une délicate nostalgie »5 ; les superbes opus 45 no 4 en ut majeur (G 358) et opus 46 no 4 en sol mineur (G 362), ainsi que l’ultime (et singulier par sa structure) opus 51 no 2 en ut mineur (G 377).
Luigi Boccherini, Quintette opus 11 no 6 en re majeur G 276 « L’Uccelliera », II. Allegro giusto, par Europa Galante.Après ce bouquet de quintettes avec deux violoncelles, on se gardera bien d’oublier les dernières fleurs de Boccherini dans le genre, à savoir les douze quintettes avec deux altos qu’il écrivit en 1801-1802 pour Louis Bonaparte. En deux séries de six, ces opus 60 et opus 62 (G 391 à G 402), teintés de nostalgie et même de pessimisme, nous offrent une nouvelle fois des modèles d’équilibre et de cohésion formelle, et finalement un Boccherini fidéle à lui-même, associant avec un raffinement toujours renouvelé écriture savante et clarté mélodique.
Luigi Boccherini, Quintette opus 60, no 5, en sol majeur, G 395, IV. Allegro giusto.3. Belvire Gérard, dans « Répertoire » (101), octobre 2002.
4. Macia Jean-Luc, dans « Diapason » (481), mai 2001.
5. ——, dans « Diapason » (492), mai 2002.
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Vendredi 20 Septembre, 2024