Henri Chalet et la maitrise de Notre-Dame, à l'issu d'un concert le 18 nov. 2014. Photographie © Jean-Marc Warszawski.
Évidemment, le programme de « Musique sacrée à Notre-Dame », jeté au feu, tombe à l’eau. On ne doute pas que la Maîtrise, grand ensemble chantant du pays, retrouvera vite le rythme de ses concerts et créations, que nous annonçons et apprécions régulièrement, gardant dans la mémoire de derrière les oreilles, les concerts du récent jubilée des huit-cents années. Pour les auditions d’orgue… Là il faut attendre, ou écouter des cédés, ou suivre les organistes souffler provisoirement on l'espère dans d'autres tuyaux.
Pour le parisien que je suis, les images de la toiture en feu, comme pour beaucoup, ont provoqué une grande émotion : des images de guerre ou d’impuissance. Pourtant, voir le Sacré-Cœur s’écrouler m’aurait assez réjoui. Le poids des symboles jouerait-il ? Il faut dire que le Sacré-Cœur est de grande laideur, alors que Notre-Dame est un modèle de beauté architecturale. Elle ne répond pas à des canons esthétiques, elle en est un. Le goût se forme avec de tels modèles.
Quand j’étais lycéen, il n’y avait pas grand' chats, j’allais parfois, les jours soleil, y lire en haut de la tour de droite (en haut à droite en quelque sorte dirait la concierge). C’est aussi, à la même époque, le lieu de mon (presque) premier rendez-vous amoureux, quelques années avant le mariage… Et le divorce. Les tours c’est bien, l’autel c’est mieux. Nous avons manqué de la protection de Dieu. J'ai recommencé, cette fois sans divorce. Dieu me punit donc une seconde fois, je ne sais pourquoi. Plus tard, nous avions l’habitude, avec une bande d’amis dont le (médecin) chef habitait rue du Cloître-Notre-Dame, de jouer aux boules dans le jardin de l’archevêché, le square Jean xxiii.
Bien plus tard, passant devant la Cathédrale, j’ai eu l’idée d’y faire un tour. Il y avait un office. J’en ai gardé l’image sidérante d’une foule de touristes se pressant, appareils photo et caméras en mains, autour des premiers rangs de fidèles. Plus tard encore, cette idée d’entrer dans Notre-Dame a fait place à celle de ne pas m'impatienter dans une file d'attente longue comme ça, et à l’espoir de my trouver un jour, par hasard, à une heure creuse, très creuse. De toute manière il y a, il y avait, il y aura, les concerts, où j'ai toujours été fort bien placé. Heureusement, car l’acoustique n’y est pas formidablissime, comme on sait, loin du chœur, loin des oreilles.
Concert à Notre-Dame, 5 mai 2013.
Il y a donc des souvenirs personnels Notre-Dame, liés peut-être à un sentiment de son immuabilité, cette solidité qui permet la liberté de l’improvisation, de la fantaisie. La certitude autour de laquelle on peut danser à l’aise. La colosse est partie du chapeau, elle a perdu l'éternité.
À vrai dire, souvenir personnel pour souvenir personnel, je ne sais pas si la disparition de Notre-Dame ferait un aussi grand trou que celui des Halles. Une fois mariés (avant la première punition de Dieu), nous sommes descendus de la tour en haut à droite, afin de trouver un toit, dans le quartier des Halles : ses entreprises de presse, la prostitution, un quartier de vie extraordinaire de jour et nuit. Ce qu’est devenu ce quartier est à pleurer. Des déambulatoires touristiques sans âme, tout comme le Marais voisin qui était si industrieux et coloré. Ce ne sont pas les années qui filent ni la modernité qui balaie la poussière. Ce sont les couches populaires qu’on a chassées de Paris d'un grand souffle spéculatif.
D’ailleurs modernité. Il faudrait en évaluer les vertus, ou plutôt l’estimer à ses vertus humaines : mieux vivre, mieux se soigner, mieux manger, mieux se loger, jouir de l’art et des belles choses, enfin tout ce qui concoure au bonheur, lequel depuis les Lumières et le vrai but de l’humanité. Je ne sais pas si les costards à trois mille euros sont des objets de la modernité, à part cela si cela est, la modernité a déserté le pays. En tout cas, relever Notre-Dame à l’identique, de pouvoir le faire, on le peut, serait une prouesse de modernité. Genre Disney-Land on sait aussi le faire. Il faut peser le pour et le contre et l'entre les deux.
La semaine dernière, me rendant quai d’Orléans, à la bibliothèque polonaise, pour y entendre des mélodies et des pièces pour piano de Maria Szymanowska accompagnées d’une conférence sur ses relations avec le sculpteur danois alors résidant à Rome, Bertel Thorvaldsen, je suis passé par le pont de la Tournelle encombré de véhicules de stations de télévision du monde entier, antennes au vent. Je me suis dit que pour le tourisme, une Notre-Dame décoiffée et enfumée serait peut-être bien plus attractive. On pourrait par exemple vendre des traces de suie entre deux lamelles de verre, des briquets en forme de la cathédrale, etc. On pourrait aussi souhaiter que cet enthousiasme médiatique pour des images en boucle de catastrophes, puissent par effet d’entraînement, porter à frémissement l’intérêt du parti médiatique pour les créations musicales.
En réalité, si Notre-Dame nous dit la beauté et l’immuabilité, c’est qu’elle est un symbole de l’histoire parisienne, de ces générations d’artisans qui au cours de plusieurs siècles y ont développé leur savoir-faire d’une modernité immuable elle aussi, et bien sûr, le grouillement populaire vital, les cours des miracles, Esmaralda Quasimodo Hugo le grand carillon de la Libération, qui aurait soulevé de bonheur éternel mon grand-père, anarcho-syndicaliste n’ayant jamais mis un pied dans une église, pas encore revenu des carrières de Mauthausen, ou mon père combattant alors à la libération de Lyon, avant celle de Villeurbanne, d'autres sons de cloches.
Le tintamarre autour du relèvement de Notre-Dame, est avant tout dû au prétexte à communication gouvernementale, sans aucune réelle information, qui provoque un chaos médiatique, avant tout parce que celui qui a bossé si dur pour porter des costards à 3000 euros est incapable d’exprimer quoi que ce soit de clair, de cerner précisément les problématiques. L’opération des milliardaires, qui globalement fraudent le fisc à raison de 100 milliards par an, dont les dons défiscalisés sont en fait payés par les contribuables, a tourné au fiasco y compris médiatique. D’autant que celui qui porte des costards à 3000 euros avec tant de fierté justifiée, déclarait voici peu qu’il n’y avait pas d’argent magique pour venir en aide aux 9 millions de pauvres en France.
Notre-Dame, vouée au culte de la pauvre, bonne et conciliante mère du Dieu fait homme pauvre parmi les pauvres, se retrouve au sein d’anciennes querelles, entre le vœu politique de pauvreté de l’église et la nécessaire communication de la gloire et de la puissance trinitaire. Ici on te met de l’or des monuments démesurés, là on porte des costumes hors de prix, là on te parlait en latin, dont on ne comprenait rien et en imaginait des mystères aussi grands que profonds, ici en un français à la tournure flamboyante, mais à la sémantique en berne, que l'on comprend aussi peu et en imagine des étendues fécondes d’intelligence. Abélard, mort une vingtaine d’années avant la pose supposée de la première pierre de Notre-Dame disait de saint Anselme, grand mandarin universitaire de l’époque, qu’il était comme un arbre magnifiquement feuillu de loin, dont on pouvait voir de près qu’il ne donnait pas de fruits. Ou que pour le verbiage c'était merveille et nul dès qu’on voulait un renseignement.
Les autorités françaises sont donc incapables de relever Notre-Dame dans la sérénité. Trouvent sans peine des sommes colossales pour détruire des trésors de l’humanité en Irak ou en Libye, mais seraient dans l’embarras pour reconstruire une cathédrale sur dix ou quinze ans !
Touchons du bois de chêne ignifugé, pour qu’il ne se produise pas de catastrophe majeure en France. Les autorités seront incapables d’y faire face. La France est à la merci des milliardaires, de leur rapacité comme de leurs oboles.
Jean-Marc Warszawski
22 avril 2019
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