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6 juin 2019 —— Jean-Marc Warszawski.

Musique et contestation dans les années 1960 selon Jean-Yves Bosseur

Bosseur Jean-Yves, Musique et contestation. « Musique ouverte », Minerve, Paris 2019 [228 p. ; ISBN 2-86931-153-4 ; 22,00 €]

Bosseur Jean-Yves, Musique et contestation. « Musique ouverte », Minerve, Paris 2019 [228 p. ; ISBN 2-86931-153-4 ; 22,00 €]

Après-guerre, mais certainement depuis l’affaire Dreyfus, avec une pointe d’activité dans les années 1970, l’engagement social et politique des artistes fait partie du paysage. Pour la paix, contre le fascisme, contre la guerre d’Algérie, celle du Vietnam, pour les droits civiques aux États-Unis, soutien aux grèves, aux minorités, en faveur de partis, contre la société de consommation, le système-vedettariat. Ce que rappelle Jean-Yves Bosseurs aux premières pages de son ouvrage.

Certains genres sont en soi contestataires, comme le rock, le rock progressif le free jazz, le protest song. Mais les musiciens « académiques » ne sont pas en reste qui cherchent à exprimer leur engagement citoyen par l’esthétique de leur art.

L’auteur, compositeur concerné par cette démarche ne problématise pas la question de l’engagement, ni ne définit ce qu’il doit être ou ne pas être, en partant par exemple des textes de Theodor Adorno opposant Arnold Schönberg à Igor Stravinsky, le vrai au faux révolutionnaire.

« Contestation » est un concept très ouvert qui peut convenir à un militant politique par ailleurs conventionnel dans sa démarche artistique, aussi à un partisan de l'électronique la plus avancée, s’accommodant parfaitement à l’ordre social, même si de nos jours, la croisade pour la musique tonale d’un Carol Beffa, Nicolas Bacri ou Jérôme Ducros, à laquelle se mêle le député mathématicien Cédric Villani est le pendant d’un engagement citoyen apparemment conservateur. On conteste son maître, l'école, ce qui s'est fait avant, la société, globalement ou de ses travers, le régime politique...

Jean-Yves Bosseur, quant à lui, mène ici une enquête esthétique dans les créations et motivations musicales de compositeurs ou de collectifs ayant marqué les années 1960. Liberté des sons et dérèglement général jusqu’au silence impossible, recherchés par John Cage dans une idéologie anarchiste. Frederic Rzewski peu éloigné de cette démarche, mais cherchant par l’improvisation à faire émerger d’un chaos initial une forme organisée, puis revenant à une écriture plus conventionnelle, soucieux de toucher le public populaire : de la révolution musicale (ou symbolique) aux réalités de la révolution sociale. Une évolution identique à celle de Cornelius Cardew. Luigi Nono, qui fait la part entre son engagement communiste et celui de son esthétique, mais qui théorise le rôle de la culture dans la révolution sociale. Luc Ferrari qui se sent concerné comme tout à chacun peut l’être par la transformation sociale.

De nombreux compositeurs et leurs œuvres sont ainsi sont appelés à la barre des témoins. Mais également des mouvements ou collectifs, comme Fluxus aux États-Unis, influencé par John Cage et Dada, auquel de nombreuses pages sont consacrées, qui pose à partir des années 1960, dans la pratique, la question des rapports de l’artiste à la société. On y trouve des personnalités telles que Yoko Ono ou La Monte Young. Les collectifs d’improvisation instrumentale ou électronique, le Scratch Orchestra des années 1970, et aussi en France, avec le New Phonic Art et le Groupe d’Étude et de Réalisation Musicales (GERM), fondé par Pierre Mariétan et Michel Decoust. L’auteur, y ayant participé, donne à ces pages un niveau de détails et de précisions analytique brisant un peu le rythme général de l’ouvrage, mais où on retrouve évidemment les interrogations, la recherche dans de nouvelles manières de créer et jouer collectivement la musique (à notre sens point essentiel), la confusion ou l’imprécision dans les objets de la contestation, et les contradictions, en partie résumées par Philippe Torrens :

[…] Le réalisme avec lequel il [le GERM] aborda la mise au point d’une nouvelle façon, plus libre et plus responsable, de faire de la musique ensemble, lui valut de ne plaire ni aux traditionalistes avoués ou d’avant-garde, ni aux gauchistes démagogues adeptes de l’improvisation sauvage et planante avant de se lettre au pas cadencé de la musique répétitive au solfège féroce (p. 168).

Une partie seulement des contradictions.  Il faut compter aussi avec les nouveautés ou les provocations devenant des dogmes ou des académismes, l’art contestataire devenant aussi de l’art pour l’art vidé de contenu social. Karlheinz Stockhausen en fait les frais avec le livre de Cornelius Cardew, Stockhausen Serves Imperialism, paru en 1974.

Karlheinz Stockhausen est un bon exemple de l’ambivalence de cette notion de contestation en musique, grand maître avec John Cage de la vague expérimentale, qui se livre aux installations les plus inouïes, parfois avec des moyens colossaux, au nom d’un mysticisme foisonnant, voire délirant. Pourtant, ne serait-il pas au plus près de la nature fondamentale contestataire, telle que Karl Marx comprend les premières croyances humaines : le rejet de la dure condition terrestre et la revendication en un monde meilleur, serait-il fantasque. La contestation sans horizon.

Jean-Yves Bosseur date le retour au calme fin des années 1970. Il faut avouer que c’est devenu très calme. Ce livre d’histoire esthétique ravive le souvenir (ou informe les plus jeunes ou celles et ceux qui sont passés à côté), d’une somptueuse période d’agitation artistique et intellectuelle, de manière claire et didactique.

plume 4 Jean-Marc Warszawski
6 juin 2019


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