Samedi 24 août 2019, 20h, Espace Philippe Auguste, Vernon, « Carte blanche à Martial Solal »
Avec Éric Ferrand-N’kaoua (piano), Nikita Boriso-Glebsky, Wendi Wang, Jaewon Kim, Sarah Descamps, I-Jung Huang, Anton Ilyunin (violon), Xavier Jeannequin, Andrew Gonzalez, Mélissa Dattas (alto), Lisa Strauss, Alexis Derouin, Laura Castegnaro (violoncelle), Jean-Édouard Carlier (contrebasse), Claudia Solal (chant), Benjamin Moussay (clavier), Jean-Charles Richard (saxophone), Denis Leloup (trombone), Alain Huteau (marimba), Christophe Bredeloup (batterie), Florian Bonetto (direction).
Voici quatre ou cinq ans, en raison de sérieux accidents de santé, Martial Solal avait annoncé sa retraite. Ce qui pouvait arriver à n’importe quel moment n’arrivant pas, la retraite s’est continuée au piano : au club Le Sunside à Paris deux années de suite, en Allemagne, aussi avec un nouvel album de courtes improvisations sur des idées tirées au sort, et en janvier dernier en récital Salle Gaveau à Paris.
Il n’avait pas remis les doigts dans cette salle depuis le printemps 1962 et l’hiver 1963 quand il formait un trio (sa formation préférée) devenu mythique, avec le bassiste Guy Pedersen et Daniel Humair, le percussionniste peintre. Mais pour « Jazz à Gaveau », la mayonnaise n’a pas pris, la salle n’en pinçant que classique et romantisme.
Cette « salle du piano » selon Solal, plus qu’un retour sur le passé, est symbolique, car il nous semble qu’il a de longue date la volonté de donner au jazz les lettres de noblesse attachées au « classique » : cohérence, virtuosité, forme, sérieux, technique, élitisme, tout cet appareil de contraintes au sein desquels la liberté peut s’épanouir en liberté, surtout y prendre un sens. Ce n’est qu’à ce niveau que music is music comme on dit en jazz où tout est américain. Côté free jazz, Solal est donc assez en froid. N’y pensons pas.
Nikita Boriso-Glebsky, musique de chambre à Giverny.
Solal est un monstre sacré, peut-être même simplement un monstre du piano. Chaque jour que le jour fait, il travaille sa technique, enfin la mécanique, car l’improvisation, si on peut en apprendre le métier, on ne peut par définition la travailler de cette manière. Il faut au contraire garder de la fraîcheur, de la place au flux de l’inspiration et des idées, auxquels les doigts doivent obéir sans hésiter. Ce sont alors des heures d’exercice quotidien pour préparer les récitals solos. Le pianiste emploie ici des métaphores sportives pour décrire le supplice. Un peu moins pour les concerts en ensemble, où la responsabilité sur scène est partagée, et tout de même un temps nécessaire quand il n’y a rien en vue, car un jour sans serait tout perdre. Sa vélocité est vertigineuse, l’indépendance des deux mains sans faille.
Solal sait que cette technique est nécessaire pour répondre à toutes les sollicitations, mais elle peut aussi être un cache-misère palliatif. Il est fort satisfait, quand se calmant, pulsant moins de notes à la nanoseconde, il en donne plus à l’expression.
Jean-Charles Richard, musique de chambre à Giverny.
Solal appartient à la légende du jazz d’après-guerre, même s’il est tombé dans le chaudron avant, en Algérie où il est né, pour débarquer en France en 1950 et faire son apprentissage dans les clubs parisiens. Admiré par les plus grands, vedette du Festival de Newport en…1963, il a joué avec les plus illustres : Django Reinhardt, Stéphane Grappelli, Sidney Bechet, Dizzy Gillespie, Stan Getz, Sonny Rollins, Kenny Klark, Toots Thielemans, Lee Konitz, Michel Portal, Henri Texier, Bernard Lubat…
Il a composé et joué pour des films de Jean-Pierre Melville, Jean-Luc Godard, Jean Cocteau, Jean Becker, Marcel Carné, Henri Verneuil…
Musique étant musique, il a, comme un académique, composé des concertos, des études, des suites et autres pièces pour orchestre ou divers ensembles instrumentaux. En concert, il préfère pourtant partir des standards usés mais connus, pour une meilleure communication avec le public.
Éric Ferrand-N’kaoua, musique de chambre à Giverny.
La carte blanche qui risquerait d’être pour Martial Solal Maps de chez Google, sera ce soir plutôt carte de visite et un peu familiale. On y entendra, en création, son récent concerto pour saxophone, composé pour le saxophoniste et gendre Jean-Charles Richard. Son compère de piano Éric Ferrand-N’Kaoua, classique de chez classique encanaillé jazz, jouera un de ses concertos pour piano et Voyage en Anatolie, « anatole » étant un terme de musiciens pour désigner une suite particulière d’accords ostinato. Quatre accords en variété, c’est simple, mais on a écrit de nombreuses chansons dessus. Séquence de 32 mesures en jazz (avec des répétitions internes) repris de la structure de I Got Rhythm (George Gershwin), devenu un standard. Cycle harmonique répétitif que Martial Solal varie de toutes les manières possibles à vitesse TGV. Tant pis pour la Turquie. Ferrand-N’Kaoua y ajoute un magnifique exemple de fusion classique et jazz, avec les Trois préludes de Gershwin. Enfin le duo Claudia Solal - Benjamin Moussay, blanchi sous le harnais depuis près de vingt ans, présente sa dernière création, qui a fait parler d’elle, nommée aux Victoires du Jazz dans la catégorie… inclassables.
Inclassable n’étant pas jazz, il y a là un air de trahison familiale.
Denis Leloup, musique de chambre à Giverny.
George Gershwin, 3 préludes pour piano (1920…), 1. Si bémol majeur, Allegro ben ritmato e deciso 2. « A sort of blues lullaby », do dièse mineur, Andante con moto e poco rubato 3. « Espagnol », mi bémol mineur, Allegro ben ritmato e deciso, Créés par le compositeur au Roosevelt Hotel de New York le 4 décembre 1926.
Martial Solal, Voyage en Anatolie (2011), pour piano.
Martial Solal, Échanges, concerto pour piano.
Claudia Solal (chant), Benjamin Moussay (clavier), Butter in my brain (2017).
Martial Solal, For Sax and Strings, concerto pour saxophone (2019), dédicacé à Jean-Charles Richard. Création mondiale.
Jean-Marc Warszawski
24 août 2019
ISNN 2269-9910.
Mardi 8 Octobre, 2024