Le Vot Gérard, Poétique du rock : oralité, voix et tumulte. « Musique ouverte », MInerve 2017 [204 p. ; ISBN 988-2-86931-144-2 ; 21 €]
Ce livre est dans la tradition des études d’esthétique qui fit la grandeur de la musicologie dans les années 1970, avant qu’elle ne retombe dans le positivisme scientiste de ses fonts baptismaux. Ce qui, paradoxalement, en fait à notre connaissance au moins francophone, un ouvrage fondateur au regard de son objet.
Contrairement à l’usage des ouvrages consacrés au Rock, celui-ci n’est ni sociologique, ni historique, ni biographique, ni technique, ou factuel et anecdotique, autant de choses, qui constituent le solide fonds documentaire de l’auteur, auxquelles il convient de donner sens, de les sortir du musée pour accéder à la compréhension, et dans ce cas précis, pour nous inviter à entendre différemment, plus attentivement, pour la première fois, ces musiques. C’est à notre sens le premier effet ce cette lecture qui donne envie de le faire.
D’Elvis Presley aux machines à sons, Gérad Le Vot interroge les esthétiques et techniques vocales et évidemment le jeu des guitaristes, cherchant, parfois avec frénésie, à exprimer une énergie en puissance, du monde urbain et industriel dont le rock est le son. Une énergie qui ne fait pas défaut à des styles plus paisibles d'influence folk.
Si le propos aborde la politique, combien le rock fut présent dans le mouvement contre la guerre du Vietnam ou pour les droits civiques aux États-Unis d’Amérique, ce n’est pas tant à propos de l’engagement des musiciens, qu'à celui de son expression musicale. Le rock est contestataire, il est manipulation du son et de la voix, il est puissance sonore, il est bruit. On parle de « dénonciation de la société par le scandale stylistique », voire plus radicalement par la laideur dans le mouvement punk.
L’auteur généralise, problématise son propos en posant ici une réflexion approfondie, là une étude précise, sur des cas particuliers, comme les diverses facettes de la technique vocale de Janis Joplin, la fabuleuse prestation de Jimi Hendrix au festival de Woodstock, les effets musicaux de la résistance aux circuits commerciaux du groupe Grateful Dead, le réglage des boites d’effets ou des techniques d’enregistrement particulières, les guitares utilisées, etc., toujours dans la perspective des effets sonores obtenus, de l’apport de l’électronique et des machines bouclant en fin de course techno le symbolisme du monde industriel.
Bien qu’insistant sur l’éclectisme des influences, plutôt bien cadré entre celles du blues et de la country, Gérard Le Vot n’intègre pas dans sa poétique des groupes tels que le trio Emerson, Lake and Palmer (et ses bruits de chambre de réverbération à ressors obtenus en secouant l’orgue, et les premières utilisations du Mini Moog), le Chicago Transit Authority ou Blood Sweet and Tears, voire Jethro Tull, pour les influences jazzistiques et classiques, ou les extensions free jazz, pouvant être pour un Sun Râ (et son Arkestra ) ou un Archie Shep une contestation du rock (et blues) blanc. De même aurait-il été intéressant de cerner cet éclectisme dans le mouvement progressif-underground français des années 1969-1973.
L’auteur a choisi « poétique » plutôt qu’« esthétique ». Bien qu’il ne relâche jamais son propos quant aux exigences de la rationalité de l’argumentation et des véracités factuelles de l’enquête, cela lui permet plus aisément d’aborder les sujets avec des sentiments ou des réflexions personnelles, quant aux vibrations sympathiques des corps (de leur sueur) et du monde, à la vibration image d’harmonie ou celle plus réelle et physique, provoquée par la puissance sonore, à la métamorphose du bruit en musique, à la nature insurrectionnelle de la musique incapable d’apaisement (une idée qui s’oppose radicalement à celles de Vladimir Jankélévitch). Médiéviste, cette « voix vive » du rock permet à Gérard Le Vot des rapprochements aussi inattendus que pertinents.
La lecture de ce livre sera évidemment différente selon les générations, les préjugés et les enthousiasmes musicaux, mais YouTube permettant d’accéder rapidement aux sons, aux musiciens, aux œuvres évoqués, elle sera hautement profitable pour la connaissance et l’intelligence de tous, y compris les allergiques au bruit et à la saturation en musique. Il s'agit d'un excellent manuel sur la musique rock, doublé d'une réflexion personnelle, ou inversement. L’expression est alerte et élégante, on le souligne quand cela arrive aux universitaires. Plus classique que rock, elle n'est toutefois pas dénuée de quelques vibrations poétiques.
Jean-Marc Warszawski
mars 2019
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Mercredi 9 Décembre, 2020