Ensemble les Surprises (sous la direction de Louis-Noël Bastion de Camboulas), Mysterien-Kantaten, œuvres de Johann Pachelbel, Dietrich Buxtehude, Nicolas Bruhns, Heinrich Scheidemann, Johann Albrecht Reincken. Ambronay Éditions 2018 (AMY 51).
Les surprises, le nom de cet ensemble est repris l’opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau, Les Surprises de l’Amour. C’est donc sans surprise : on se consacre ici aux œuvres musicales des xviie et xviiie siècles. L’ensemble, vocal et instrumental, a été créé en 2010 par Juliette Guignard et Louis-Noël Bestion de Camboulas et a depuis gagné une notoriété justifiée de bon aloi. S’ils ont été fidèles au royaume de France avec leurs trois premiers cédés, en 2018, à partir du quatrième, ils ont fait le voyage en Thüringen sur les traces de Johann Sebastian Bach. On peut comprendre, on le doit, qu’ils en ont profité pour remonter dans le temps de quelques années, afin de rendre visite à cette extraordinaire confrérie des organistes du Nord de l’Allemagne (la grande Saxe), témoignage de la vitalité de la région, dont il nous reste aussi l’écho de ses prestigieuses universités de Gera, Gotha ou de Jena, Leipzig ou les agitations intellectuelles de la réforme. On mettra la pâte d’amande de Lübeck sur un autre registre.
Personne n’ignore le nom de Johann Pachelbel, mais peu, YouTube y compris, savent qu’il a composé bien d’autres œuvres qu’un canon. Il est originaire de Nürnberg, au sud du Nord, mais a exercé à Eisenach (épicentre de la famille Bach), à Erfurt, à Gotha. Dietrich Buxtehude, qui vient du Nord du Nord, la Suède, est une célébrité de Lübeck. Il avait tant de mal à marier sa fille, que pour lui succéder à la tribune de la Marienkirche il y avait obligation de l’épouser. L’orgue et la fille ou rien.
Les autres compositeurs appelés à la barre de ce cédé son moins connus du grand public, parce qu’ignorés du parti médiatique. Nicolas Bruhns, mort à 32 ans, en 1697, issu d’une dynastie de musiciens, a passé toute sa vie à Husum, le pays des prés salés et des moutons. À cent-cinquante kilomètres au nord de Lübeck et de Buxtehude, il est le plus nordique des nordistes. Christophe Bernhardt fait quant à lui carrière à Dresden, où est implantée une somptueuse cour royale. Heinrich Scheidemann vient également des prés salés, à vingt-six milles au sud de Husum, il n’a pratiquement composé que pour l’orgue, le sien, à la Catharinenkirche de Hamburg. Il y a fait chanter des chorals, voire de motets ou autres airs, tout sur le bout des doigts avec pédalier aux pieds. Enfin, Johann Adam Reincken et né aux Pays-Bas, à Deventer, pas même à la mer, élève de Scheidemann, puis son assistant, il est enfin son successeur. Scheidemann qui avaiét été un des élèves de Jan Pieterszoon Sweelinck à Amsterdam.
Nous ne comprenons pas vraiment le titre de ce cédé, Mysterien-Kantaten, mais apprécions hautement le programme de pièces instrumentales et chantée (mais toutes chantantes), et sa belle réalisation. Il y a là un style, un air de famille entre toutes ces musiques, pour lesquelles l’appellation « baroque » ne dit rien. Personnellement nous parlons des organistes du Nord de l’Allemagne, comme on peut parler du style classique pour les trois Viennois (H, M & B), ou de style classique français, pour la famille musicale de celui qui a donné son nom à cet ensemble.
Ces musiciens se connaissent, comme collègues, ou de professeur à élève et d'élève à professeur, ou ont parfois les mêmes professeurs. Comme musiciens liturgiques, ils vivent les conflits (stylistiques) provoqués par la réforme, du latinisme et de la relocalisation vernaculaire, de la tradition savante contre les mélodies populaires, et de l’italianisme. Les musiciens italiens pullulent dans les cours princières, jusqu’en Pologne et Russie, on entend tout de même leurs échos dans les églises. Sous son apparente simplicité, il y a ici une musique de grande richesse, des mélodies de toute beauté, et une grande sophistication à faire simple et accessible, avec ses effets dramatiques, ses madrigalismes et autres rhétoriques. Quand ça descent, être tristes, quand ça monte, ne pas cacher sa gaité, entre les deux, laisser couler le plaisir dans les oreille.
Maïlys de Villoutreys (soprano)
Etienne Bazola (baryton)
Marie Rouquié (violon)
Gabriel Ferry (violon)
Juliette Guignard (viole de gambe)
Etienne Galletier (théorbe)
Louis-Noël Bestion de Camboulas (direction, clavecin et orgue).
Nicolas Bruhns, De profundis clamvi (extrait), plage 3.
Jean-Marc Warszawski
15 avril 2019
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Mercredi 9 Décembre, 2020