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Cathédrale Saint-Louis des Invalides, Paris, 3 décembre 2019 —— Jean-Marc Warszawski.

Fabuleux Ivo Pogorelich

Ivo Pogorelich à la Cathédrale Sain-Louis-des-Invalides, 3 décembre 2019. Photographie © musicologie.org.

Nous ne savons pas trop dans quel cycle s’insère le concert du 3 décembre, programmé par le musée des Armées, dans la cathédrale Saint-Louis des invalides, on s’y perd un peu. Mais le surtitre « Légendes du piano » convient fort bien, à plusieurs titres, pour Ivo Pogorelich.

Né à Belgrade en 1958, dans un milieu musicien, il commence l’étude du piano à l’âge de sept ans, et se produit en public trois ans plus tard. Nous sommes en 1968.  Deux ans plus tard, il étudie à Moscou. Il reste dix années, à l’école spéciale de Conservatoire, puis au Conservatoire Tchaïkovski lui-même. Surtout il rencontre la pianiste et pédagogue Alisa Kezeradze, élève d’Alexander Siloti, qui a sur lui une influence pianistique définitive.

Parallèlement, dès les années 1975, commence la carrière des récitals et des concours. Paradoxalement son élimination au second tour du Concours Chopin de Varsovie va en faire une légende : une partie du jury se désolidarise de la décision et Martha Argerich démissionne, en déclarant qu’Ivo Pogorelich est un génie, elle en fait ainsi le grand gagnant de ce concours. En 1980, il épouse Alisa Kezeradze  sa professeure, enchaîne les tournées, enregistre chez Deutsche Grammophon une quinzaine de disques. Alisa Kezeradze  succombe à un cancer en 1996, Ivo Pogorelich disparaît de la circulation une vingtaine d’années. Ce qui étoffe le récit légendaire.

Mais la légende est surtout pianistique. Ses interprétations, au même titre que celles d’un Glenn Gould ou d’un Keith Jarret sont des événements par elles-mêmes. Magicien des sonorités inouïes, il ne tient pas compte des traditions, pour imprimer aux  œuvres de son répertoire, dont il refuse la profusion extensive habituelle des concertistes, une marque très personnelle. On aborde en général la musique comme un art discursif, qui raconte. Ivo Pogorelich montre, il est un sculpteur des sons, ce qu’il arrive à tirer du piano est fascinant.

Ce concert, s’inscrit dans une tournée à programme unique, commencée en juillet 2019, à ce jour d’une quarantaine de dates, l’ayant mené en Italie, Croatie, Pologne, Allemagne, République tchèque, Suisse, et le mènera de nouveau dans ces mêmes pays et en Espagne, Chine, Japon, Corée du Sud, Bulgarie, Monte-Carlo... Le 17 mars 2020, Salle Gaveau à Paris.

Ce programme, des pièces qu’il a enregistrées chez Deutsche Grammophon dans les années 1980 (toujours dans les bacs) est constitué de la troisième suite, « anglaise »,  de Johann Sebastian Bach,  de la barcarolle en fa dièse majeur opus 60 et du Prélude en do dièse mineur opus 45 de Frédéric Chopin, et de Gaspard de la nuit de Maurice Ravel, une des œuvres techniquement les plus difficiles du répertoire pianistique. Ce programme comprend aussi  normalement la onzième sonate opus 22 de Ludwig van Beethoven, manquante lors de cette soirée à la cathédrale Saint-Louis.

Une suite anglaise sculptée par des ralentissements au bord du silence, des pianissimos saisissants, les parties denses dans le médium, proches du clavier, ou la frappe disparaît au profit d’un sentiment de roulement, avec de part en  part une égalité digitale inconcevable.

Un Chopin inattendu, où la mélodie disparaît dans la mise en avant de l’accompagnement et  des basses bombardissantes, incessantes, psychotiques, amplifiées par la résonance du lieu, irritantes.

Un Gaspard de la nuit, où l’on se demande où Ivo Pogorelich « va chercher tout cela », avec un jeu de pédales virtuose, les superpositions du résonant et du staccato, les nappes sonores où encore une fois l’attaque des touches est effacée, ce tocsin lugubre dans le « Gibet » (second mouvement), véritable effet de cinéma. On a par moment l’impression que le pianiste joue sur les harmoniques.

Ce n’est pas un pianiste discursif, c’est un plasticien du son. On comprend qu’il ne soit pas artiste à enregistrer un disque par an, à multiplier ses programmes, ou à étendre son répertoire à l’infini. Un éventail de pièces suffit certainement à ce qu’il veut faire entendre, et le travail faramineux, véritable dissection, pour arriver à un tel investissement des œuvres ne résisterait peut-être pas à l’éparpillement et au superficiel.

 

 Jean-Marc Warszawski
5 décembre 2019

© musicologie.org.

 


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bouquetin

Vendredi 6 Décembre, 2019 22:56