Georg Friedrich Händel est né à Halle en 1685, y a reçu sa première formation musicale, s’y est inscrit à l’université, a tenu son premier emploi d’organiste à la cathédrale avant d’aller chercher musique et carrière de Hamburg à Lübeck, de Rome à Naples et de Florence à Innsbruck, il est nommé maître de chapelle de la cour de Hannover en juin 1710, rend visite à sa famille et sans regarder en arrière ni demander son reste il est à Londres en novembre, où il fait la carrière que l’on sait, à en faire tomber l’umlaut du « ä » de son nom.
Depuis 1952, la ville de Halle fête en musique ce célèbre concitoyen, elle a transformé sa maison natale en un centre musical, d’animation et en musée. Au cours des ans, les quinze jours des Händel Festpiele de début juin sont devenus le plus grand festival de musique baroque au monde. Cette année le thème était « les femmes de Händel : sublimes, héroïques, sensibles ».
Selon Clemens Birnbaum, l’intendant du festival, les 111 manifestations (dont 28 gratuites) de cette édition 2019 ont attiré 58 000 spectateurs : opéras (9), oratorios, musique orchestrale, musique de chambre, musique vocale, mais aussi du rock, du jazz, de la musique électronique.
Ce dimanche 16 juin, pour la clôture du festival, l’ensemble Seconda Pratica (Pays-Bas) visitait l’Espagne imaginaire de Händel avec les airs et les danses de son opéra Almira, on pouvait assister à Venceslao, un pasticcio (opéra réutilisant les musiques de plusieurs compositeurs), par l’Opéra Settecento Company (Londres) sous la direction de Leo Duarte, à une nouvelle production de l’opéra Alcina, et bien entendu au concert de clôture avec feu d’artifice. Il fallait choisir, nous avons choisi.
Ça faisait un peu « Club Med' », attendre l’autocar pour l’excursion, sur la grande place qui s’étale derrière la Marktkirche (l’église du marché). Le marché, quand il y a marché, est sur la partie de la place qui est devant l’église. De notre côté, Médecins sans frontières ont monté un camp exposition pour populariser ou simplement informer de leurs actions. Des personnes se rassemblent peu à peu autour de l’arrêt de bus, plutôt habillées, plutôt chiques, sans ostentation. J’imagine quelques regards curieux sur ma chemise au tissu imprimé de graffitis et mon jean moulant.
Nous nous rendons à Lauchstädt à une bonne quinzaine de kilomètres d’ici. Il y a bien longtemps, on y a découvert une source d’eau rouge. La médecine ayant décrété que cette eau était non seulement saine, mais en plus thérapeutique pour bien des maux, on s‘y risqua. Un membre de la famille princière s’en trouva soulagé. Lauchstädt devint Bad Lauchstädt, une station thermale. On y bâtit dans un coin du parc, sur l’insistance et l’aide financière de Goethe, qui raffolait des thermes, un théâtre d’été, qui est conservé. Wagner y dirigea pour la première fois un orchestre, et Goethe le théâtre.
Au milieu de presque nulle part, nous débarquons dans une fête campagnarde. D’un kiosque on délivre boissons et nourritures, un auvent de toile, des tables et chaises. On se nourrit, se désaltère, on papote, on patiente devant les toilettes, on lit le programme :
Alcina, opéra en trois actes de Georg Fredrich Händel, créé à Londres le 16 avril 1735 au théâtre royal de Covent Garden. Il s'agit ici d'une coproduction des Händel-Festspiele et du Lautten Compagney Berlin, sous la direction de Wolfgang Katschner, avec le Ballet Baroque Berlin. Mise en scène, costumes, chorégraphie de Niels Badenhop.
L'ensemble orchestral Lautten Baroque Berlin, sous la direction de Wolfgang Katschner, Goethe-Theater, Bad Lauchstädt.. Photographie © Markus Lieberenz.
Du théâtre lui-même on ne voit pas grand-chose, il est paré d’échafaudages et de bâches. C’est un petit bâtiment assez anodin en deux corps en enfilade : un rectangulaire et un rond. Des portes ouvertes, il fait chaud, s’échappent des vocalises.
En franchir le seuil est faire un bond sans transition de deux siècles dans le passé. On peut voir de l’intérieur les murs à colombages qui étaient peut-être garnis de torchis, comme on faisait dans cette région. Ce sont maintenant des briques. La salle, aux deux cents places de longs bancs alignés, le balcon qui surplombe la loge des importants, les galeries latérales, le plafond aux arronds peints, imitant les tension d'une toile de chapiteau, évoquent le cirque ou le pavillon d’apparat, comme on peut voir sur d’anciennes estampes. Si on a conservé un tel lieu, avec plus ou moins de bonheur, on s’en doute, selon les humeurs des autorités, c’est qu’on l'estimait exceptionnel, à juste titre.
Le Goethe-Theater à Bad Lauchstädt. Photographie © musicologie.org.
Alcina, quoi qu’on puisse lire ici et là, est un opéra bouffa, féérique (effets à machineries), où il fut en 1735, à Londres, l'objet d'un immense succès, un opéra italien tout simplement. On y mélange drame, bouffonneries, intermèdes, ici des ballets. Händel composait italien, ne cachant pas les influences de ses origines et parfois françaises.
Cet opéra exploite la nature même du théâtre, le jeu entre vrai et faux, du faux plus vrai que le vrai et le vrai qui est un leurre, on y joue des personnages imaginaires dans de faux paysages ou de fausses salles de palais.
La magicienne Alcina (Myrsini Margariti, soprano) règne sur une île, met la main sur les hommes qui s’y aventurent et font battre son cœur, les aime, les enchante, les transforme en animal, rocher ou plante quand elle en est lasse. Ses enchantements donnent aux étrangers l’illusion que son île assez pourrie est un lieu paradisiaque. Pour le moment elle a mis la main et sa magie sur le chevalier Ruggiero (Nicholas Tamagna, mezzo-soprano), tout à son bonheur ensorcelé.
Avant d’accoster au rivage du faux paradis, Ruggiero était fiancé à Bradamante (Julia Böhme, alto) laquelle, par le plus grand des hasards d’un mauvais vent, débarque déguisée en homme (son frère Ricciardo), accompagnée de son précepteur Melisso (Elias Benito Arranz, basse). Ils sont accueillis par la sœur d’Alcina, Morgana (Hanna Herfurtner, soprano) qui tombe immédiatement amoureuse de Melisso, délaissant son propre fiancé Oronte (Andreas Post, ténor), chef de camp d’Alcina.
Il faut également compter avec le chevalier Oberto (Johanna Knauth, soprano) à la recherche de son père le paladin Astolfo, transformé en animal, en lion pour les besoins de cette mise en scène, l’animal est le symbole de Berlin où réside la troupe. Oberto est inconsciemment gardien du bon gros nounours, son père, animal favori de la magicienne Alcina.
Melisso (Elias Benito Arranz), Bradamante (Julia Böhme), Astolfo transformé en lion et Oberto (Johanna Knauth), Alcina ((Myrsini Margariti), Oronte (Andreas Post), Ruggiero (Nicholas Tamagna), Morgana (Hanna Herfurtner). Photographie © Markus Lieberenz.
Bien entendu, épris d’Alcina, Ruggiero ne reconnaît pas Bradamante-Ricciardo, et Oronte est rongé de jalousie à voir Morgane se jeter dans les bras (qui ne la reçoivent pas) de Melisso.
Grâce à un anneau très magique, après pas mal de chassés-croisés, de suspense (va-t-il enfin la reconnaître ?), de quiproquos et mauvais coups, les maléfices sont défaits. Alcina mène le dernier combat, mais les démons ne lui obéissent plus. Tout est bien qui finit bien.
L’opéra italien est aussi un déploiement de virtuosité vocale. La pression des divas en concurrence, pour avoir leurs airs de bravoure, pour briller autant que les autres, sinon plus, posait parfois de sérieux problèmes aux compositeurs. Les acteurs, tous de belles voix, ont une technique admirable. Théâtre dans le théâtre, ils jouent également ce rôle, pas peu fiers de leurs prouesses, étalent la satisfaction et leur égo par des sorties empreintes de suffisance ou de profonds saluts sous les applaudissements du public ravi, parfois rieur, souvent ébahi et enthousiaste, qui joue aussi le jeu. Pour ce qui nous concerne, nous avons particulièrement aimé, par contraste, le naturel facile, élégant, presque faussement humble, dans le chant comme dans le jeu d’Hanna Herfurtner (Morgana). Méfions-nous tout de même des illusions théâtrales, surtout sur une île enchantée.
Morgana (Hanna Herfurtner), Oberto (Johanna Knauth), Astolfo transformé en lion. Photographie © Markus Lieberenz.
Théâtre dans le théâtre dans le théâtre, les décors résolument carton-pâte et les toiles peintes quelque peu naïvement (surjoués si on peut dire), mais avec quelle maîtrise et cohérence, provocant parfois exclamations et rires, les costumes magnifiques (Niels Badenhop qui signe aussi la mise en scène et les chorégraphies) sortis des croquis du xviiie siècle, les ballets au parti pris caricatural, mais tellement théâtralement opportuns et justes (Ballet Baroque Berlin). Il y a une signature magique dans cette Lautten Compagney Berlin assortie d’une vision audacieuse.
Enfin quatrième couche de théâtre dans le théâtre, le public dont la proximité avec la scène rapproche intimement des acteurs, joue le jeu d’être transporté trois siècles en arrière (à Londres ?), et salue le spectacle d’une ovation spontanée.
Théâtre, théâtre, théâtre, mais on y évoque le pouvoir, la magie pas tant que cela, les liens amoureux (aussi les unions arrangées sans amour) et leur fragilité, la famille, la trahison, le pardon, la délivrance, la soumission, la crédulité, le pouvoir et contre-pouvoir des sentiments qui imposent raison, capables de vaincre les maléfices. La bouffonnerie et l’absurde peuvent en raconter long sur les destinées humaines.
Un tel spectacle dans un théâtre d’été de 200 places, perdu dans des thermes fantomatiques… Pourvu que la commission de Bruxelles n’impose pas de quotas rationnels pour une concurrence juste et non faussée.
Pour le concert de clôture à Halle, le tramway suffit pour se rendre au Galgenbergschlucht, un cirque (naturel ?) noyé de verdure. Le transport est compris dans le prix du billet, les gens, dont une partie est chargée du pique-nique ou simplement d’une bonne bouteille, honteusement d’une canette de bière, sont joyeux, prompts à la plaisanterie. Pris de court, les commerces étant fermés le dimanche, bernique pour le Pique-Nique, mais nous avons fort bien diné à la brasserie Hellesche, à deux pas de la maison natale de Händel.
Händel-Festspiele Halle 2019, concert de clôture, Galgenbergschlucht. Photographie Maria-Scheunpflug.
Nous suivons le flux, marchons dans une allée en sous-bois et débouchons dans le théâtre de verdure, barré de longues rangées de bancs (3000 places), déjà bien occupés de spectateurs, de victuailles et de boissons. Sur l’imposante scène, le Vocal Concert Dresden, le Chor der Evangelischen Hochschule für Kirchenmusik Halle (chœur de la haute école évangélique pour la musique religieuse de Halle) et la Staatskapelle Halle (l’Orchestre national de Halle) ont pris place, ils sont rejoints par Maria Perit, soprano à l’Opéra de Dresden après l’avoir été là-bas au Sud à München, et Peter Kopp qui dirigera le programme, recteur depuis peu et enseignant à l'Evangelischen Hochschule für Kirchenmusik.
Le programme de la soirée, festif et féminin, de très bon niveau, montre un grand respect envers le public serait-il populaire, et une volonté de cohérence formelle. De larges extraits, en deux parties, des Joyeuses commères de Windsor (W. Shakespeare), opéra d’Otto Nicolai (1810-1949), le comique et le talent assuré de Maria Perit emportent d’entrée le public. De larges extraits de la musique de scène pour Athalie (Jean Racine) de Felix Mendessohn, des préludes et des danses d’Arthur Sullivan, musiques de scène pour les mêmes Joyeuses commères de Windsor, et bien entendu des œuvres de Händel, des extrait des oratorios Salomon et Athalie, pour conclure, la seule concession au succès populaire, mais incontournable, l’« Alleluia » du Messie.
Après ovation, applaudissements, saluts de longue durée, l’orchestre attaque la Musique pour le feu d’artifice royal (Händel), et le feu d’artifice royal fut.
Händel-Festspiele Halle 2019, concert de clôture, Galgenbergschlucht. Photographie Thomas-Ziegler.
Jean-Marc Warszawski
16 juin 2019
musicologie.org
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Lundi 23 Septembre, 2024