Pour les sonorités opposées : Revue d'esthétique et d'analyse musicales des XXe et XXIe siècles (1). L'harmattan, Paris 2017 [170 p. ; ISBN : 978-2-343-13910-4 ; 19 €].
Textes de Jacques Viret, Anthony Girard, Philippe Malhaire, Nicolas Bacri, Michel Lysight, Philippe Hersant, Alexandre Benéteau.
Reprenant le titre d'études de Debussy, « Pour les sonorités opposées » est une nouvelle revue d’esthétique et d’analyses musicales, dirigée par les compositeurs Anthony Girard et Philippe Malhaire. Une revue sans adresse, sans comité de rédaction, sans comité de lecture. Dans la morosité générale de l’édition métamusicale, il y a de quoi attirer la curiosité et l’espérance. Depuis « musique en jeu » paru au long des années 1970, plutôt chronique (de haut niveau) de la vie musicale, nous n’avons pas eu grand-chose à nous injecter dans les neurones à liseuses.
L’envie passe de suite quand on constate que l’article inaugural est confié à Jacques Viret, ancien enseignant au département de musicologie de l’Université Paris 4-Sorbonne. Il est prosélyte des mondes parallèles, des chaudrons ésotériques et des signes magiques, chantre de l’irrationnel et de l’immatérialisme qui n’ont pas de place dans la rationalité tant universitaire que civile.
Ne faisant pas la différence entre la réalité, les brumes mystiques et ses fantasmes, il veut prouver, avec une érudition de dictionnaire instrumentalisée à plaisir, de formules pédantes riches en feuillage, pauvres en fruits, que l’harmonie du monde régie par les nombres est consubstantielle aux activités humaines et à la musique.
Il n’est pas seulement disciple de Jacques Chailley, mais aussi émule du brave docteur Robert Fludd (1574-1637), lequel plongé dans ses chaudrons1 et ses monocordes2 célestes fut le grand propagandiste de la Rose-Croix.
Instrumentalisant et tordant faits et écrits anciens, Jacques Viret n’est capable que d’accumuler un fatras d’inepties habillées d'érudition.
C’est donc rédhibitoire.
Lé préface de Philippe Malhaire confirme nos craintes. S’il affirme vouloir accueillir une pluralité (au singulier), s’est pour mieux le démentir en parlant des impostures avant-gardistes, des adversaires, d’intransigeante musique contemporaine, pour prôner le plaisir, la beauté harmonique, l’harmonie universelle, évidente pour un Jacques Viret, moins quand on regarde l’état écologique, social, économique du monde. Là, pour qui regarde les pieds vissés au sol, il s’agit de compenser les dysfonctionnements de l’harmonie universelle, pour atteindre la sérénité, le charme qui aurait été rejeté par la modernité.
Si dans les années 1950, les jeunes musiciens, qui regardaient le monde dévasté, privé des fantasmes alchimiques et harmoniques par la catastrophe de civilisation que fut le nazisme, ont dû batailler rudement pour se faire entendre et jouer. Je pense qu’aujourd’hui, le pluralisme musical, notamment avec le développement des médias, du disque au Web, est une chose qui va de soi, bien au-delà des musiques académiques. Cette contre-bataille (réaction nerveuse ?) n’a aujourd’hui aucun objet. S’il ne s’agit que de charme, de sérénité, André Rieu fait parfaitement le job.
En 1949, la compositrice Elsa Barraine écrivait : la grève des mineurs ou la lutte pour la paix, voilà qui peut intéresser à présent le musicien progressiste, et non de savoir s'il devra écrire en langage polytonal, atonal ou tonal.
Jean-Marc Warszawski
14 février 2018
1. Outil, fait d’une corde musicale tendue au-dessus d’une règle millimétrée, pour mesurer les proportions sonores.
2. Terme employé par Marin Mersenne (1588-1648), qui d’ailleurs confondit par un subterfuge Robert Fludd, en lui envoyant le tableau d'une paire de mains, et lui demandant de deviner qui était la personne, l'illuminé se vantant de pouvoir faire de tels prodiges.
3. « La nouvelle critique », mai 1949.
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Vendredi 16 Mars, 2018 5:25