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8 juillet 2018, Le Nez rouge, Paris —— Jean-Marc Warszawski.

Patrick Chamblas, Un air de révolte, la chanson engagée au Nez rouge

Patrick Chamblas, 1er juillet 2018, à Montreuil.

Le Nez rouge est long comme une péniche tenue en laisse canal de l'Ourcq, face au 13 quai de Loire à Paris. Construite en 1931, elle était l'un des 230  bâtiments composant  la flotte fluviale de l'empire chimique belge Solvay. Les mariniers appelaient ces bateaux « Nez rouges », parce que leur nez était peinturluré en rouge. Michel Galabru a acheté l'un des réchappés pour le transformer en théâtre. Théâtre condamné à naviguer, ayant rarement l'autorisation d'amarer. Le plus grand regret de l'acteur qui a fini par revendre son bateau-théâtre à un couple de comédiens. L'Humoriste et imitateur Gérald Dahan, un temps en fortune et rêvant de vivre les pieds dans l'eau se l'est offert récemment, avec le projet d'en faire un petit Olympia, humour, cabaret, chanson française, cinéma, Cent places conviviales en beau velours rouge, cabine technique sérieusement équipée, lumières bien pensées pour un lieu tout de même en étroitesse, et surtout une acoustique exceptionnelle. Un lieu comme il en manque partout pour satisfaire les amateurs du spectacle vivant et de proximité.

J'ai croisé et fait la connaissance  de Patrick Chamblas lors d'une fête des Insoumis à Montreuil. Un garçon sympathique, se débrouillant pour placer ses chansons et sa guitare à la bonne franquette, pendant la pause déjeuner des organisateurs, entre deux débats. Il a parlé de comment ça va à Tours, du succès de sa chanson devenue hymne « Le vent de lève », a quitté le lieu discrètement comme il était venu. Évidemment un de ces jeunes musiciens talentueux peu médiatisés, comme il y en a beaucoup aujourd'hui, tous genres confondus, du classique au rock en passant par la chanson, en manque de lieux pour se produire, de réseaux de programmation, faisant parfois les affaires des bistrotiers peu scrupuleux. Les restrictions budgétaires sévères quant au spectacle vivant n'arrangeant pas les choses.

Un air de révolte au Nez rouge le 6 juillet 2018. Flo Yagoubi, Jeanne Chevalier, Maxime Laisney, Lillian Winther. Photographie © musicologie.org.

Mais c'est surtout pour le quatuor « Un air de révolte », en trio au cours de cette même fête, que par curiosité j'ai fait le grand voyage au Nez rouge (douze stations de métro et un changement, quand même), où tout ce beau monde était programmé les 5,  6, 7 juillet derniers. Le fait qu'au gré des rencontres (et des amours si j'ai bien  compris), des personnes décident de faire ensemble de la chanson politique et de se produire… dans les manifestations, me parle. Un état d'esprit qui me semblait avoir disparu au cours des années Tapie et des challengers de la gagne (Macron est un clone de Tapie), comme enterrement de première classe du bouillonnement du début des années 1970, où l'on pensait que nos actes n'étaient pas obligatoirement destinées à faire du blé en gerbes et à gagner en célébrité.  Les groupes politisés du mouvement rock-progressif, s'appelaient Dagon, Lard free, Crève vite charogne, Komintern  ou Herbe rouge, pouvaient être cosignataires du manifeste pour la libération de la musique rock. « Un air de révolte »,  ce n'est pas mal, là on est plutôt signataire de la charte de la France insoumise et chanson. Résurrection de saines pratiques dans un monde qui s'y prête peu, ou sursaut mémoriel et éphémère genre agit-prop ? Laissons faire le temps, aidons-le un peu.

Le groupe Un air de révolte au Nez rouge, 6 juillet 2018. L'Exil Fiscal (extrait).

Jeanne (soprano), master à Sciences-po, transfuge de la Banque France,  oratrice nationale de la France insoumise part en mission à Chalon-sur-Saône pour enflammer les foules. Elle achève son discours non par un poème de Victor Hugo à l'imitation du patron, mais par le Chant des Partisans. Ça tombe dans l'oreille et le cœur de Floriant (guitare et mandoline) responsable du camion-podium, professeur et guitariste. Ils rencontrent Lillian et son accordéon chez des amis d'amis, ils prennent l'habitude d'improviser ensemble, avant de faire la jonction avec Maxime (contrebasse, guitare), instituteur musiquant par plaisir et avec ses élèves, auteur de chansons et parodies militantes à l'usage des manifestants.

Le groupe Un air de révolte au Nez rouge, 6 juillet 2018. Bella ciao.

Dans les conditions idéales du Nez rouge, ils ont donné un fort bon moment de cabaret, quand la chanson militante se fait satirique, non sans  un moment de bravoure avec Jupiter, parodie chantée du dernier mouvement de la sonate en la majeure (KV 331) de Mozart, le célèbre allegretto noté « A la turca », dit « Marche turque ».

Patrick Chamblas au Nez rouge, 6 juillet 2018. Photographie © musicologie.org.

Avec la seconde partie, on  passe du militant chantant  au chanteur engagé. Je m'attendais à un moment sympa, certainement pas à un tour de chant  d'une telle qualité et d'une telle force, à tous points de vue. Patrick Chamblas est sans aucun doute une des grandes valeurs actuelles de la belle tradition de chansons dites à textes, avec un feeling d'enfer, des musiciens investis et de grand métier, de la révolte, de l'ironie qui ne masquent pas une profonde bienveillance, un sens poétique pour adoucir la dureté revendicative, de l'humour pour dire les violences du temps, et ici et là, des fenêtres à fleur de nostalgie. Des rythmes de blues rock, reggae, béguine, apportent de la variété, mais desservent peut-être quelque peu une certaine cohérence stylistique et un sens mélodique personnels du chanteur auteur-compositeur. Il reste que les arrangements et la mise en place sont efficaces au possible.

Patrick Chamblas au Nez rouge, 6 juillet 2018, La Lacrymo.

Il y avait à ses côtés des complices de toujours comme Florent Sepchat (accordéon, piano, orgue Hammond), François Collombon (percussions), mais aussi  Flora Chevallier (violoncelle), qui joue autant la musique baroque (ensemble Parchemin), qu'au sein d'ensembles rock ou de chansons françaises,  Océane Halpert (chœurs), grande voix jazz-rock qui ne rechigne pas à revisiter les chansons françaises des années 1930, Matthieu Torsat (contrebasse, guitare). Malheureusement, Yoann Loustalot (trompette), bien connu de notre chroniqueur Alain Lambert, était absent ce soir.  

Patrick Chamblas, « Si nos enfants sont heureux », album Chamblas Rêveil, plage 11.

Patrick Chamblas est au départ pianiste, tente des concours internationaux, fait un cursus universitaire en musicologie,  et tombe dans la chanson et sur la guitare sans abandonner le clavier.  Il crée et tourne plusieurs spectacles pour enfants, a enregistré six albums dont le dernier Chamblas Rêveil. Son premier, Le petit laveur de carreaux, avec son fidèle complice Florent Sepchat à  l'orgue Hammond, le place dans l'héritage jazz-rock d'un Claude Nougaro, musicalement très brillant. Après une incursion dans le swing (L'Arbre à Swing), on note une inflexion vers la chanson (sur fond jazzy-rocky), avec de magnifiques réussites, comme  « Si nos enfants sont heureux » (album Planer dans l'univers, repris dans le dernier, Chamblas Rêveil). La chanson politique engagée, avec toujours le raffinement poétique et musical, c'est le cinquième album, Le vent se lève, dont des titres aussi suggestifs que « Rock'n'Flash-Ball », « J'emmerde le peuple... », « Non-lieu », « J'm'en fous », « Songe d'une nuit d'ébriété », « Résistance », « Je bêle avec les moutons », « La lacrymo », « Ta gueule ». L'album Chamblas Rêveil qui revient à une poétique un  peu moins rouge-sociale, un peu plus camaieu-existentielle, aux belles mélodie recherchées, est le plus original et le plus fouillé musicalement, avec de magnifiques perles, qui je pense sont la meilleure signature de Patrick Chamblas.

Voir son site et écouter ses chansons.

 

Jean-Marc Warszawski
9 juillet 2018

 

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Vendredi 13 Juillet, 2018 2:08