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Les variations Goldberg par Jean Muller

Johann Sebastian Bach, Variations Goldberg, Jean Muller (piano). Hänssler Classic 2017 (HC 17059).

Enregistré au Conservatoire de Luxembourg, les 21-23 décembre 2015. Livret en allemand et en anglais.

17 janvier 2018, par Jean-Marc Warszawski ——

Quand on parle du loup on en voit la queue, quand on parle des Variations Goldberg on voit les affabulations que Johann Nikolaus Forkel (1749-1818) publia en 1802 à ce propos.

Ces variations dites Goldberg, à l'origine « aria avec quelques transformations pour clavecin à deux claviers », intégrées comme quatrième partie au Clavierübung (exercice au clavier) auraient été commanditées par le comte Hermann Carl von Keyserling (1697-1764), ambassadeur de Russie en Saxe, résident à Dresden. Souffreteux, ce brave homme dormait mal. Pour meubler ses insomnies — on n'avait pas encore inventé la radio ni la musique par écouteurs — son claveciniste, Johann Gottlieb Goldberg (1727-1756), jouait dans une pièce proche. Les exercices pour clavier auraient été composés à cet usage, on les a donc nommées Goldberg, du claveciniste qui avait 14 ans au moment de leur composition en 1741. On ne sait pas trop si Johann Gottlieb Goldberg fut un des élèves de Johann Sebastian Bach à Leipzig ou de son fils Wilhelm Friedemann Bach à Dresden, pas même grand-chose quant à son service auprès de l'ambassadeur.

Cette fable plaisante montre qu'à l'époque on savait déjà épater pour appâter. Mais elle n'est pas très complimenteuse en ce qu'elle présente les Variations Goldberg comme une thérapie de l'insomnie, c'est-à-dire un soporifique.

La fable dit encore que le comte fut si content du médicament, qu'il offrit à Johann Sebastian Bach un gobelet en or rempli de cent louis d'or. Comme quoi ces variations portent bien leur nom, car « Goldberg » signifie « montagne d'or ».

Ces trente variations sont un chef-d'œuvre que les musiciens ont longtemps tenu comme des exercices, jusqu'à ce que la claveciniste Wanda Landowska les mette à son répertoire dès 1933.

Il apparaît que Johann Sebastian Bach aimait l'ordre et les nombres qui ordonnent, que son œuvre est soigneusement organisée, comme un cycle propre à éveiller et soutenir l'attention, non à endormir.

Les variations sont groupées par trois, la troisième étant, sauf pour le dernier groupe, un canon, à l'unisson, à la seconde, à la tierce, quarte, quinte, (intervalle entre les deux voix) etc. On aime, comme la fable de Forkel, remarquer la progression arithmétique de raison 3, par exemple, le canon à la sixte est la 18e (6 × 3) variation, le canon à la neuvième est la 27e variation, etc. Mais au lieu d'être un canon à la 10e, la 30e et dernière variation est un Quodlibet (« ce qui plaît »), un genre enjoué et virtuose qui superpose des mélodies connues, voire des éléments extra musicaux. Ici, les mélodies de deux chansons, Ich bin so lange nicht bei dir gewest, rück her, rück her / Il y a si longtemps que je n'ai pas été près de toi, viens, viens, et Kraut und Rüben haben mich vertrieben ; Hätt' mein' Mutter Fleisch gekocht, so wär' ich länger blieben / Choux et navets m'ont chassé, si ma mère avait cuisiné de la viande, je serais resté plus longtemps.

On remarque également que la première variation à 4 voix est la quatrième. Les amateurs de rhétorique des nombres trouveront, après Johann Sebastian Bach lui-même, d'autres satisfactions en la matière. Par exemple avec les deux variations médianes, la 15e (une des trois en en mode mineur), et la 16e, une ouverture à la française. Ou bien encore en pensant que les variations cantabiles sont aussi en raison 3 (nombre de la perfection) formant la série 4, 7, 10, …28, ou les variations virtuoses la série 5, 8, 11, … 29. Mais cela est contestable.

Musicalement ce n'est pas l'aria, une sarabande lente issue du livre d'Anna Magdalena, qui sert de canevas, mais la basse, répétée obstinément en passacaille, ce qui assure stabilité et unité à la grande variété de caractères déployée dans les parties supérieures. La sarabande est rejouée en conclusion.

Même si elles ne le sont pas arithmétiquement, les variations virtuoses et cantabiles sont réparties, l'œuvre culmine dans l'une de ces dernières, le sombre adagio chromatique et dissonant de la 25e variation (en mode mineur), où la signature B-A-C-H (si bémol, la, do, si) apparaît. Malgré la fausse sortie de cette variation, dont on peut retrouver des accents dans les mouvements lents de Mozart, on peut être sensible à une certaine montée au climax, avec la virtuosité de la 14e variation, la bravoure de la 23e, les doubles trilles de la 28e, les trilles d'accords de la 29e, qui se jettent dans le Quodlibet avant la reprise de l'aria, une sortie finale en douceur.

Ces variations sont bien composées et disposées comme une œuvre à écouter de sarabande d'ouverture à la même sarabande de conclusion : un cycle.

Nous avons plusieurs fois apprécié Jean Muller en concert, son aisance et la clarté de son jeu y compris dans les acrobaties Lisztiennes ou la treizième étude de György Ligeti, « L'escalier du diable ». On retrouve ces qualités dans son sixième album, qui fait appel à une virtuosité particulière pour pallier l'absence du second clavier du clavecin, et demande ces clarté, précision, égalité, imposées depuis Glenn Gould dès qu'il s'agit de contrepoint et de Bach.

Cette œuvre peut durer entre 40 et 90 minutes, selon les tempi adopteés et surtout le respect ou non des reprises. Le choix de Jean Muller, qui défend cette œuvre depuis des années, est plutôt un choix de la brièveté, si on peut dire (49 minutes), une concision renforcée par l'enchaînement des variations, confortant l'idée d'une œuvres cohérente, d'un jet, de bout en bout.

 

Jean-Marc Warszawski
17 janvier 2018

 

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bouquetin

Mercredi 17 Janvier, 2018 6:38