musicologie

 

Actualité . Biographies . Encyclopédie . Études . Documents . Livres . Cédés . Annonces . Agenda . . Abonnement au bulletin . Analyses musicales . Recherche + annuaire . Contacts . Soutenir

mardi 2 octobre 2018 —— La rédaction.

Les champs musicaux et sonores de la barbarie moderne

18-20 décembre 2019, Université de Poitiers
Colloque international Université de Poitiers, CRIHAM

Appel à communications

Ce colloque a pour but de fédérer des chercheurs de différentes disciplines (histoire, histoire de l’art, des spectacles, du cinéma, de la danse, de la musique, littérature, littérature comparée, philosophie...) autour de la question des usages de la musique et du son dans les représentations artistiques de la barbarie moderne.

Par l’expression de « barbarie moderne », nous entendons toutes les formes de violences destructrices qui ont touché le genre humain aux XXe et XXIe siècles, sans limites géographiques ou juridiques : persécutions politiques, ethniques, religieuses, génocides, extermination massive, attentats, exécutions aveugles ou publiques, supplices, purges, esclavagisme, enfermement dans des conditions inhumaines (otages, camps de concentration, de redressement, de travail, goulags, bagnes...), sur l’ensemble des continents. Ainsi le terme de barbarie est-il pris en son sens de violence, de cruauté, d’inhumanité, pour reprendre la définition de Claus Offe : « [la barbarie] a pour résultat la violation la plus radicale de l’intégrité symbolique ou physique d’individus et de groupes de personnes. La motivation de l’action découle (en un sens négatif) de ce que les personnes agissantes s’affranchissent du devoir de justifier  ou d’expliquer leur conduite, tout en se réclamant d’un “droit du plus fort” qui représente le pôle opposé au droit. »

En quoi la musique et le son viennent-ils témoigner de la barbarie, la dénoncer, la transcender ? Lorsque les mots, le langage, le son de la voix, la musique ne sont plus que les vestiges d’une civilisation enfouie sous les décombres de l’horreur, pourquoi les exhumer et leur faire porter témoignage de l’intolérable ? Comment des œuvres marginales et/ou résistantes sont-elles portées à la connaissance du public ? Comment s’insèrent ces oeuvres dans la politique de subvention publique de l’art ? Que faire des documents sonores de la barbarie, des récits de survivants aux enregistrements in situ ?

Le colloque s’articulera autour de trois axes :

Les œuvres produites et/ou créées en contexte de barbarie : métaphore et/ou dénonciation. 

Pourront être étudiés sous cet angle les opéras et la musique créés en contexte de barbarie moderne (camps, dictatures, oppressions) pour lui résister et/ou l’exprimer : Guernica de Dessau (1938), Brundibar de Hans Krasa (1938), L’Empereur d’Atlantis ou La mort abdique (1943), Chant de l’amour et de la mort du cornette Christophe Rilke (1944), ou encore la Septième sonate de Viktor Ullmann (1944), le Quatuor pour la fin du temps de Messiaen (1940), la Huitième Symphonie de Erwin Schulhoff (1942), l’Étude pour cordes de Pavel Haas (1943), la Symphonie en ut de Daniel Sternefeld (1943), Le Verfügbar aux enfers de Germaine Tillon (1944-45), mais aussi lles chants de travail ou de résistance, de propagande, les chansons à texte sur les enjeux des conflits ou le désir de paix... Quel est le rôle de la musique dans ces contextes extrêmes ?

Dans le sillage de l’œuvre d’Ossip Mandelstam et de sa poésie intrinsèquement musicale, les poètes de la barbarie moderne pourront être étudiés sous l’angle de la dimension musicale de leurs textes : évocation des sons de la barbarie, du silence, du manque des sons aimés, de la musique, métaphores musicales (Requiem d’Anna Akhmatova par exemple) ou de leur dénonciation des régimes (Guillevic, Jean Cassou, Paul Eluard, Louis Aragon...), puissances des euphémismes et des formes simples, ainsi que leur mise en musique au moment de leur composition (Auric, Poulenc, Dutilleux, Milhaud, Rosenthal, Durey, Barraine...), voire la poésie sonore (La Battaglia di Adrianopoli de Filippo Tommaso Marinetti, 1935).

Les œuvres sur la barbarie composées après les faits : mémoire et création

Seront envisagées ici les œuvres musicales des XXe et XXIe siècles qui prennent un événement barbare comme point de départ ou support, que l’acte barbare soit contemporain ou passé : De la maison des morts de Janacek (1930), Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch (1934), Deux marches pour la libération de Milhaud (1946), Cendres de Ballif (1946), Un survivant de Varsovie de Schönberg (1946), La mort de Danton (Gottfried von Einem (1947), Le Prisonnier de Dallapiccola (1949), Noces de cendres de Tomasi (1954), Il canto sospeso de Nono (1956), Dialogues des Carmélites de Poulenc (1957), Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima de Penderecki (1960), Intoleranzza 60 et 70 de Nono (1960-70), War requiem de Britten (1962), Les Trois poèmes d’Henri Michaux de Lutoslawski (1963), Dies irae en mémoire des victimes d’Auschwitz de Penderecki (1967), Nuits de Xenakis (1968), Le Journal d’Anne Frank de Gregori Fried (1972), la 3e Symphonie de Gorecki (1977), Le Grand Macabre de Ligeti (1978), The CIVIL warS, de Philipp Glass, David Byrne et Gavin Bryars (1983), Different trains de Reich (1988), Le panseur de blessures d’Adams (1989), Katyn de Van de Vate (1989), 1918, L’homme qui titubait dans la guerre d’Isabelle Aboulker (1998), Dans la colonie pénitentiaire de Philipp Glass (2000), Le choix de Sophie de Nicholas Maw (2002), Akhmatova de Bruno Mantovani (Paris, 2011), Charlotte Salomon de Marc-André Dalbavie (Salzbourg 2014), Benjamin de Michel Tabachnik (Lyon, 2016)... Les propositions peuvent concerner tous les types de musiques.

Quel est le sens de l’usage d’un acte de barbarie antérieur au XXe siècle comme sujet d’une œuvre musicale et/ou scénique ? Quels moyens musicaux, vocaux, scéniques sont utilisés pour rendre l’intensité de la barbarie ? On pourra également se pencher sur la mise en espace sonore et chorégraphique de la barbarie comme dans le ballet prémonitoire de Kurt Jooss La Table verte (1932) ou encore Barbarians de Hofesh Shechter (2015).

On s’interrogera en outre sur la contribution de la musique à la représentation de violences barbares au cinéma (contexte de guerre, de dictature, de génocide), et sur les parti-pris de composition, d’interprétation et de montage qui l’illustrent : partitions originales (comme celle de Darius Milhaud pour Les otages de Raymond Bernard en 1939), recours à la musique classique (multiples reprises de la 3e symphonie de Gorecki, par exemple) ou au rock (dans les films sur la guerre du Vietnam, par exemple). On réfléchira à la musique comme incarnation de la douleur, au surgissement de l’émotion, à la fonction du silence (dans la fiction mais aussi dans les approches documentaires).

La mémoire sonore de la barbarie : usages du son et valorisation des sources et des archives

Ce 3e axe se développera en trois temps. En suivant la remarque de Michel Chion selon laquelle « tout système musical […] implique obligatoirement ce qui le borde et qui lui est, apparemment, étranger », notre intérêt se portera d’abord sur les bruits, la voix, le silence. Dans la continuité de l’axe précédent, nous interrogerons la manière dont les artistes (plasticiens, vidéastes, cinéastes, photographes) ont recours au sonore en accompagnement ou en contrepoint de l’image. Si l’écoute offre un mode de réception alternatif à la vue, dans quelle mesure participe-t-il de l’évocation mémorielle, de l’immersion voire de la sidération ? Pourront être étudiés des films comme Shoah de Claude Lanzmann (1985), Drancy Avenir d’Arnaud des Pallières (1997), S21 la machine de mort khmère rouge (2002) de Rithy Panh, Le Fils de Saul de Laszlo Nemes (2015), LeJour où Dieu est parti en voyage de Philippe Van Leeuw (2009), Crosswindde Martti Helde (2014), etc. On questionnera l’utilisation d’éléments sonores simulés ou réels (enregistrements d’archives) au cinéma ou au théâtre (par exemple, dans Hate Radio de Milo Rau). On accordera également une attention toute particulière à des projets à la croisée des arts, comme la série de courts métrages photographiques d’Alexis Cordesse sur les zones de conflits des années 1990 (Rwanda, Burundi, Serbie) ou comme l’expérience singulière de Stéphane Garin et du photographe Sylvestre Gobart autour des lieux de mémoire de la Shoah.^

On s’intéressera ensuite à l’analyse des témoignages des survivants, pour leur capacité à recréer les paysages sonores de la barbarie : le souvenir de la violence n’est pas seulement visuel mais également auditif (cris des victimes, hurlement des bourreaux, sifflement des balles, coups, etc.). Seront pris en compte ici l’analyse des témoignages (littéraires, oraux, filmés) des rescapés, à partir de la question de la mémoire sonore. On analysera également des cas de figure dans lesquels le son est un outil au service de la barbarie (par exemple, par la diffusion continue de musique ou de sons stridents aux prisonniers), voire assume une fonction de « complice » (orchestre à Auschwitz, oies masquant les cris des victimes à Sobibor, etc.).

Enfin, on inclura une réflexion sur les processus de conservation et de préservation des archives sonores (dans une visée patrimoniale) : sons de propagande, sons de guerre, témoignages des survivants ou des bourreaux, archives radiophoniques, etc. Comment écrire l’histoire sonore de la barbarie ? Avec quelles archives, et avec quels moyens ? Quelles archives sonores restent encore à explorer ?

Les propositions de communication (2000 signes maximum, espaces compris) accompagnées d’une courte biographie (500 signes maximum, espaces compris) sont à envoyer au format word ou PDF au comité d’organisation du colloque :

cecile.auzolle@univ-poitiers.fr
nathan.rera@univ-poitiers.fr
anne.laure.geffroy@etu.univ-poitiers.fr
augustinbraud@gmail.com

Les langues du colloque seront le français et l'anglais.

Date limite de soumission des propositions : 31 décembre 2018 Réponse du comité scientifique : avril 2019

Bibliographie indicative

Rory Archer, « Assessing turbofolk controversies : Popular music between the nation and the Balkans », Southern Europe, 36/2, 2012, p. 178-207.

Stéphane Audouin-Rouzeau, Esteban Buch, Myriam Chimènes, Georgie Durosoir, La Grande guerre des musiciens, Lyon, Symétrie, 2009.

Éliane Beaufils, Violence sur les scènes allemandes, Paris, PUPS, 2010.

Lise Bizzoni, « Énonciation de la violence et violence énonciative : L’engagement dans la chanson française de la fin du XXe et du début du XXIe », dans Cécile Prévot- Thomas, Dany Saint-Laurent, Lise Bizzoni (dir.), La chanson francophone contemporaine engagée : Essai, Montréal, Tryptique, 2008.

Robert Blanché, « Chapitre VIII Les catégories dépréciatives et le problème de la laideur », Des catégories esthétiques, Paris, Vrin, 1979, p. 135-153.

Esteban Buch, L’affaire Bomarzo – Opéra, perversion et dictature, Paris, Éditions de l’EHESS, 2011.

Esteban Buch, Nicolas Donin, Laurent Feneyrou, Du politique en analyse musicale, Paris, Vrin, 2013.

Esteban Buch, Igor Contreras Zubillaga, Manuel Deniz Silva, Composing for the State - Music in Twentieth Century Dictatorships, Abingdon, Ashgate, 2016.

Michel Chion, Le son. Ouïr, écouter, observer, 3e édition (rééd. Nathan, 1998), Paris, Armand Colin, 2018.

Vincent Cotro et Catherine Douzou, Les chemins de la création : auteur, autorité et pouvoir dans la musique et les arts du spectacle, Paris, Kimé, 2007.

Ron Eyerman, Andrew Jamison, Music and Social Movements: Mobilizing Tradition in the Twentieth Century, Cambridge, University Press, 1998.

Edith Fowke, Joe Glazer, Songs of Work and Protest, New York, Dover Publications, 1973.

Jane Fulcher, The composer as intellectual : Music and ideology in france (1914-1940), New York, Oxford University Press, 2005.

Florence Gétreau (dir.), Entendre la guerre. Silence, musiques et sons en 14-18, Paris / Péronne, Gallimard / Historial de la Grande Guerre, 2014.

Bruno Giner, Survivre et mourir en musique dans les camps nazis, Paris, Berg International Éditeurs, 2011.

Lydia Goehr, « The musicality of violence, On the art of politics and displacement », Elective affinities, Musical essays on the history of aesthetic theory, New York, Columbia University Press, 2008, p. 171-203.

Michel Guiomar, Principes d’une esthétique de la mort: les modes de présences, les présences immédiates, le seuil de l’Au-delà, Paris, José Corti éd. (réed. Le Livre de poche n° 4186), 1993.

Adam Gussow, Seems like murder here : Southern violence and the blues tradition, Chicago, University of Chicago Press, 2002.

Judith Cooper Heitzman, Survival songs, How refugee and immigrant women experienced violence, Saarbrücken, Lambert Academic Publishing, 2010.

Bruce Johnson, Martin Cloonan, Dark side of the tune, Popular music and violence, Aldershot, Ashgate, 2008.

Wojciech Klimczyk, Agata Świerzowska (dir.), Music and Genocide, Francfort, Peter Lang, 2015, 244 p.

Rémi Korman, « Idirimbo z’icyunamo. Chanter la mémoire du génocide », Les Temps modernes, « Le génocide des Tutsi 1994-2014. Quelle mémoire ? Quelle histoire ? », n° 680-681, 2014, p. 350-361.

Karine Le Bail, Musique au pas. Être musicien en France sous l’Occupation, Paris, CNRS Éditions, 2016.

Jean-François Mattéi, La barbarie intérieure, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2015.

Nelli V. Motroshilova, « La barbarie, face cachée de la civilisation », Diogène, n° 222, 2008/2, pp. 93-107.

Claus Offe, « Moderne “Barbarei” : Der Naturzustand im Kleinformat », Max Miller et Hans-Georg Soeffner, Modernität und Barbarei : soziologische Zeitdiagnose am Ende des 20. Jahrhunderts, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1996, pp. 258-289.

Ray Pratt, Rhythm and Resistance: Explorations in the Political Uses of Popular Music (Media and Society Series), Praeger, 1990.

Sylvie Rollet, Une éthique du regard. Le cinéma face à la Catastrophe, d’Alain Resnais à Rithy Panh, Paris, Hermann, coll. « Fictions pensantes », 2011.

George Steiner, Dans le château de Barbe-bleue, notes pour la redéfinition de la culture, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1986.

Luis Velasco-Pufleau, « Listening to the sounds of war : an interview with Michel Chion », Sound Studies. An Interdisciplinary Journal, vol. 3, n° 2, 2017, p. 165-169.

Juliette Volcler, Le Son comme arme. Les usages policiers et militaires du son, Paris, La Découverte, 2011.

Juliette Volcler, Contrôle. Comment s’inventa l’art de la manipulation sonore, Paris, La Découverte, coll. « Rue musicale », 2017.

Comité scientifique

Cécile Auzolle (Musicologie, Université de Poitiers), Guillaume Bourgeois (Histoire, Université de Poitiers), Esteban Buch (Musicologie, EHESS), Véronique Campan (Arts du spectacle, Université de Poitiers), Catherine Coquio (Littérature comparée, Université Paris 7 Diderot), Philippe Grosos (Philosophie, Université de Poitiers), Ophir Levy (Histoire, esthétique et théorie du cinéma, Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle), Nathan Réra (Histoire de l’art, Université de Poitiers).

 

À propos - contact |  S'abonner au bulletinBiographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil ☎ 06 06 61 73 41

ISNN 2269-9910

© musicologie.org 2018

bouquetin

Jeudi 11 Octobre, 2018