CPE Bach, Voyage sentimental, Mathieu Dupouy (pianoforte), sonates, rondos, fantaisies. Label Hérisson 2018 [LH 17].
Passé de la flûte à bec aux claviers, Mathieu Dupouy a étudié le clavecin au Conservatoire national supérieur de Paris avec Christophe Rousset, Pierre Hantaï, Olivier Beaumont, le pianoforte au Conservatoire de Paris avec Patrick Cohen et l’orgue avec Georges Guillard. Amoureux de clavecin, clavicorde et pianoforte pour leurs sonorités non formatées, il évolue dans un répertoire qui leur est adapté. Ancien, naturellement, mais aussi contemporain avec des œuvres de François-Bernard Mâche, Bruno Mantovani, Ivan Fedele, Brice Pauset, Richard Dubugnon, Henri Dutilleux, dont de nombreuses créations.
Pour son septième disque fidèle au label Hérisson, il revient une seconde fois sur l’œuvre pour clavier de Carl Philippe Emanuel Bach, mais abandonne le clavicorde pour un piano Gräbner (Dresde) de 1791, mis à disposition par le musée des instruments de musique de Paris.
Cet enregistrement est une occasion saisie par Mathieu Dupouy pour développer une réflexion littéraire sur le tiret typographique de parenthèse ou la digression. En effet le flux musical des pièces pour clavier de Cal Philip Emanuel Bach semble être régulièrement coupé par des épisodes quelque peu étrangers à l’énoncé thématique, quant à lui très affirmé même quand il est varié.
De tiret typographique en digression, il fait référence à l’écrivain irlandais Laurence Sterne (1713-1768), un des fondateurs du roman, ou plutôt des techniques romancières au point d’être encore de nos jours un modèle technique, qui retardait à l’extrême l’action par des enchaînements de digressions et de commentaires.
On pourrait avoir d’autres points de vue. Par exemple une réinterprétation radicale du contrepoint paternel, où la voix cette fois privilégiée, dégagée des entrelacs polyphoniques, ayant fui le collectif pour affirmer sa particularité, bute toutefois sur des rencontres fortuites, et les dépasse en réaffirmant sa thématique propre. Comme un air d’opéra apostrophé ici et là par d’autres personnages.
Digression ou au contraire cœur même de l’action, Carl Philippe Emanuel Bach, le Bach de Berlin, voulait séduire, donner du sucre et Mathieu Dupouy ne manque pas de nous le faire entendre... En toute connaissance de cause. De Laurence Sterne, il a emprunté pour cet enregistrement, le titre d'un de ses chefs-d'œuvre consacré aux tendres émotions : Voyage sentimental à travers la France et l'Italie.
On notera dans ce plaisir sonore, comme c’est le cas dans la musique du père, des ambigüités esthétiques ancrées dans le passé (les cadences), ou anticipant sur le phrasé classique. Le caractère allemand des lignes mélodiques, puisant plutôt dans les danses, et airs populaires (comme les chorals du père) que dans la mode italianisante, contourne même l’essentiel du classicisme viennois, pour retrouver par certains idiomes la veine beethovénienne.
Il n’a que 18 ans de plus que Joseph Haydn, il est mort trois années avant Mozart, et Beethoven avait 18 ans à sa mort. Berlin n’avait pas les mêmes attirances que Vienne.
Jean-Marc Warszawski
21 septembre 2018
1-4. Extraits de la collection Wq 58 (1765-1782), Fantasia, Rondo I, Fantasia, Rondo II.
5. Extrait de la collection Wq 65 (1783), sonate 48, en sol majeur.
6-7. Extraits de la collection Wq 59 (1766-1784), Rondos I (1779) et II (1784).
8-10, Extraits de la collection Wq 61 (1785-1786), Sonate I, Rondo, Fabtaisie II.
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