Église Notre-Dame à Notre-Dame-de-Lisle.
Ce soir concert à Notre-Dame-de-Lisle, beau village de 700 habitants, enfoui dans les verdures des bords vallonnées de la Seine, face aux îles comme son nom l'indique. L'Église paroissiale Notre-Dame a été construite au 11e siècle (la nef), 13e siècle, quand Notre-Dame-de-Lisle était un village de vignerons (la tour carrée du clocher), le 16e siècle nous laisse le chœur, époque où on érige pas loin de là l'église Sainte-Geneviève, les fenêtres de la nef ont été percées au 18e siècle, et le 21e siècle attend les crédits nécessaires à quelques travaux de réfection. Elle est briquée, tout brille à l'encaustique et à l'huile de coude des bénévoles de Musique de chambre à Giverny. Les foires à tout et les salons du livre, en bordure de Seine, valent aussi le déplacement à Notre-Dame-de-Lisle.
La petite église est comble, ce qui confirme le net gain d'auditrices et d'autideurs sur le sannées passées. Trois œuvres sont au programme : Les sept paroles du Christ, quatuor à cordes Joseph Haydn, 7 intermèdes liturgiques un peu soporifiques en mouvements enchaînés de quatuor, relevées par les belles Apparitions pour trio avec accordéon de Philippe Hersant, le tout emporté de manière brillantissime par le magistral second quatuor de Camille Saint-Saëns.
Soeun Kim. Photographie © musique de chambre à Giverny.
Joseph Haydn (1732-1809), Les sept dernières paroles du Christ, pour quatuor à cordes, Hob. III : 50-56 (opus 51), Introduzione : Maestoso ed Adagio, 1. Largo : Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font, 2. Grave : En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis, 3. Grave : Femme, voici ton fils, et toi voici ta mère, 4. Largo, Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? 5. Adagio : J’ai soif, 6. Lento : Tout est achevé, 7. Largo : Père, entre tes mains je remets mon esprit. Aylen Pritchin (violon), Soeun Kim (violon), Vladimir Bukac (alto), WonHae Lee (violoncelle).
Joseph Haydn est l’un des trois fleurons du classicisme viennois, avec Wolfgang Amadeus Mozart et Ludwig van Beethoven. Comme les premiers ont toujours été les derniers, il est né le premier, il est mort le dernier. Il a laissé une œuvre colossale, élaborée dans des conditions exceptionnelles de stabilité, de rémunération et de moyens, à la cour des princes Eszterházi à Fertőd, à la frontière de la Hongrie et de l’Autriche.
C’est en quelque sorte un office des ténèbres commandé en 1786 à Haydn, alors en pleine gloire, par le marquis de Valdes-Iñigo, chanoine de l’église du Rosaire à Cadix. Voici ce qu’en a écrit Haydn :
[…] un chanoine de Cadix m’a demandé de composer une musique instrumentale sur les Sept dernières paroles du christ en croix. On avait alors l’habitude à la cathédrale de Cadix d’exécuter tous les ans, durant le carême, un oratorio dont l’effet se trouvait singulièrement renforcé par les circonstances que voici. Les murs, fenêtres et piliers de l’église étaient tendus de noir, seule une grande lampe suspendue au centre rompait cette sainte obscurité. À midi on fermait toutes les portes, et alors commençait la musique. Après un prélude approprié, l’évêque montait en chaire, prononçait une des sept Paroles et la commentait. Après quoi il descendait de la chaire et se prosternait devant l’autel. Cet intervalle de temps était rempli par la musique. L’évêque montait en chaire et en descendait une deuxième, une troisième fois, etc., et chaque fois l’orchestre intervenait à la fin du sermon.
La commande précisait : 7 adagios d’environ 10 minutes chacun, durée que Haydn avoue n’avoir pas réussi à respecter. Il s’agit d’une introduction, de sept sonates (dans le sens d’intermèdes dans les services religieux) et d’un tremblement de terre, conformément à l’office des ténèbres. Le succès est immédiat. L’année suivante, pour rendre l’œuvre plus accessible (Haydn était un habile commerçant) il réduit la partition d’orchestre pour quatuor à cordes, avec pour chaque mouvement une des paroles du Christ en exergue (en latin) repris des Évangiles. Haydn approuve une version pour piano. En 1792, le chanoine Joseph Friebert en fait une version chantée sur son propre texte en allemand. Intéressé, Haydn reprend sa partition, garde les paroles de Friebert et avec l’aide du baron van Swieten transforme les Sept paroles en oratorio, tout en gardant la partie instrumentale intacte.
Aylen Pritchin. Photographie © musique de chambre à Giverny.
Philippe Hersant (né en 1948), Apparitions, pour violon, violoncelle et accordéon (2006), créées le 12 novembre 2006 à Roubaix, par Julien Chauvin, Fabrice Bihan et Frédéric Guérouet (dédicataire). Clémence de Forceville (violon), Alexis Deroin (violoncelle), Théo Ould-Cordier (accordéon).
Né en 1948, Philippe Hersant est un compositeur hexagonal majeur. Élève entre autres d’André Jolivet au Conservatoire national supérieur de Paris, il a été résident à la Casa de Velázquez à Madrid, à l'Académie de France à Rome et dans diverses grandes formations françaises. Il a été honoré de nombreux Prix, nommé aux Victoire de la musique une petite dizaine de fois et trois fois élu compositeur de l’année. Sa discographie compte une cinquantaine d’albums. Il compose dans tous les genres, de profane à liturgique : musique soliste, de chambre, symphonique, vocale, lyrique, pour le théâtre, le cinéma.
Cette pièce de Philippe Hersant est inspirée par Philippe Hersant. Le compositeur entend ici prolonger son opéra Le moine noir, créé à l’Opéra de Leipzig le 6 mai 2006. Non pas à la manière de la citation, mais comme un ajout onirique dans un climat commun à l’opéra qui met en scène les hallucinations d’un jeune philosophe et ses dialogues avec un moine surnaturel. Le premier mouvement, avec ses phrases interrogatives et sa petite valse triste, illustrerait l’aspect sentimental, vaguement mélancolique de la personnalité d’Andreï ; le deuxième mouvement, sa nature sarcastique et caustique ; le troisième ses aspirations métaphysiques – et le côté tragique de sa destinée [P. H.].
Nikita Boriso-Glebsky. Photographie © musicologie.org.
Camille Saint Saëns (1835-1921), Quatuor avec piano no 2 en sib majeur, opus 41 (1875), dédicacé à M. Jules Foucault, créé le 6 mars 1875, Salle Pleyel à Paris par le compositeur, Pablo de Sarasate, Alfred Turban et Léon Jacquard, 1. Allegretto, 2. Andante maestoso ma con moto, 3. Poco allegro più tosto moderato, 4. Allegro. Nikita Boriso-Glebsky (violon), Kei Tojo (alto), David Bordeleau (violoncelle), Jean-Claude Vanden Eynden (piano).
De son vivant, Camille Saint-Saëns était reconnu dans le petit monde musical du grand monde entier comme le plus important compositeur français. Certainement bourru, ne mâchant pas les mots, il était aussi un virtuose très demandé du piano, le premier compositeur de musique de film, le premier compositeur français à avoir écrit des poèmes symphoniques (dont la célébrissime Danse macabre), écrivain, auteur de comédies, poète, critique musical, philosophe. Une sacrée personnalité curieuse de tout, pouvant manier l’humour potache (par exemple dans le Carnaval des animaux).
On lui a pourtant taillé une veste de vieux crouton opposé au modernisme (ce qui est vrai), devenu avec le temps nationaliste étriqué (ce qui est faux… enfin assez faux… quand même un peu chauvin musicalement) et anti allemand compulsif (deux guerres quand même !). En 1886, il rompt avec la Société nationale de musique, parce qu'on y décide de jouer les compositeurs étrangers, en 1914 il écrit une série d'articles intitulés « Germanophilie » où il plaide le bannissement de la musique allemande, y compris celle de Wagner. Ce qui ne l’empêche pas de mener une vie cosmopolite.
Enfant prodige, il donne ses deux premiers concerts Salle Pleyel à l’âge de onze ans avec au programme le concerto en do mineur de Beethoven, et le concerto en si majeur K 450 de Mozart pour lequel il joue sa propre cadence. Deux ans plus tard, il intègre le Conservatoire national de Paris.
Sa musique n’est pas celle d’un ringard passéiste. Saint-Saëns est certes réfractaire à tout dépassement du classicisme, mais le mène, avec une habileté en apparence sans limites, à un niveau de perfection qui donne à son œuvre fraîcheur, clarté, originalité, en fin de compte une allure de nouveauté, de modernisme et d’universalité.
En 1875, il se marie avec Marie-Laure Truffot, vite fait, car leur fils André naît dans la foulée (il mourra trois ans plus tard en tombant d'une fenêtre), il compose l’oratorio Le Déluge et le concerto pour piano no 4, crée les poèmes symphoniques Phaéton et La Danse macabre, compose et crée ce troisième et dernier quatuor avec piano.
Majestueux mouvement d’ouverture à deux thèmes. Second mouvement pas si lent que çà, en sol mineur, à deux thèmes également : un énoncé assuré et rythmé du piano contre un choral aux cordes, avec fugatos savants. Troisième mouvement avec effet d'accélération rythmique se dissolvant en pianissimo. Quatrième mouvement : grandiose, fougueux, récapitulation des thèmes et contrepoint, pour qui n'aurait pas compris que c'est du sérieux.
Jean-Marc Warszawski
1er septembre 2018
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Samedi 26 Octobre, 2024