« Barroco », tel était le titre générique du second concert de cette 15e session de musique de chambre à Giverny. On pouvait être sceptique sur les arrangements instrumentaux pour accordéon et cordes des Vêpres de Monteverdi et de ces Quatre saisons de Vivaldi qu'on prendrait aujourd'hui presque comme de la musique de variétés, tellement on en a les oreilles rebattues à toutes les sauces.
Le public a été enthousiasmé par les arrangements de Théo Ould-Cordier, et leur exécution, qui rappellent le travail que mène Christina Pluhar au sein de son Arpeggiata, et par l'engagement, la prise au corps, aux extraordinaires démonstrations violonistiques sans appel, de Nikita Boriso-Glebsky, véloce, fendant et estoquant, pour les trois premières saisons sur les quatre vivaldiennes, et d'Aylen Pritchin pour la dernière saison, quant à lui plus dansant.
Théo Ould Cordier. Photographie © musicologie.org.
Claudio Monteverdi (1567-1643), Vespro della Beata Vergine, pour solistes, chœur et instruments (1610), extraits arrangés pour sextuor à cordes et accordéon, par Théo Ould-Cordier
Luka Ispir, Mai Tategami (violons), Kei Tojo, Jossalyn Jensen (altos), Lisa Strauss, David Bordeleau (violoncelles), Théo Ould Cordier (accordéon).
Claudio Monteverdi est le premier fils de Baldassare Monteverdi, médecin, apothicaire et chirurgien à Crémone et de Maddalena Zignani. A-t-il été placé, comme cela se faisait dans le milieu de la petite aisance, dans une maîtrise, ici de la cathédrale de Crémone dirigée par Marc Antonio Ingegneri ? Était-il un élève privé ? Non lo sappiamo. Mas il a appris à composer, à chanter et à jouer de la viole. Il publie à l’âge de 15 ans, un livre de cantiques à trois voix, là peut-être bien sur les deniers familiaux, ou de son maître auquel il rend hommage dans plusieurs de ses publications.
Il est engagé à la cour de Mantoue comme chanteur et violiste en 1591. Il y est maître de chapelle en 1602. Sa gloire arrive en 1607, avec sa pastorale « dans le style antique », Orfeo. Gloire immédiate et inoxydable qui est dans sa quatre cent onzième année, associée aux titres de premier compositeur d’opéra, de précurseur de la monodie accompagnée (une voix accompagnée d’accords), et d’introducteur d’un nouveau système harmonique, qu’on appelle système tonal. Monteverdi parle de « seconde pratique », c’est-à-dire, qui cohabite avec la première. Peu après il se tourne vers la musique religieuse, il est nommé maître de chapelle à Saint-Marc de Venise en 1613. Il est ordonné prêtre en 1632. De ses nombreuses œuvres dramatiques on ne conserve que Le Ritorno d'Ulisse in patria et L'Incoronazione di Poppea, composés au début des années 1640.
Le duc de Mantoue passe commande de la pastorale devenue célèbre, parce qu’il est en concurrence avec la cour des Medicis à Florence, où l’on cogite aussi une nouvelle forme de spectacle en musique, renouant avec les fastes et la puissance qu’on imagine être ceux de la tragédie grecque. Un cénacle, composé d’artistes et d’intellectuels, dont le musicien Vicenzo Galilei, père de l’astronome, se réunit depuis au moins 1573 autour du riche banquier, le comte Bardi. On compose les premières expériences dès 1582 et en 1590, Jacopo Peri présente Dafne sur un livret du poète Ottavio Rinuccini : un opéra.
Les musiciens de la Renaissance italienne ont cherché à donner de la puissance poétique à la musique, pour le public des cours princières. Le madrigal fut très apprécié. Il s’agit de musique vocale polyphonique épousant des textes poétiques choisis, où Pétrarque fut à l’honneur. Une musique qui doit imprégner et exprimer l’émotion poétique autant que les paroles le font. La pratique a pérennisé des habitus expressifs, entre les grave et l’aigu, la tristesse et la joie, le rire, les pleurs, selon les mouvements montant ou descendant et la valeur des intervalles. Il y a aussi la rhétorique, dans la correspondance des mots des poèmes avec le nom des notes, comme pourrait être le mot soleil et la note sol, le nombre de mesures, de notes… Une musique pour lettrés capables de goûter les effets, mais aussi de décrypter le cas échéant ces devinettes. Monteverdi était un maître du madrigal. Il en a publié 9 livres.
La nouvelle manière a été perçue bien avant l’Orfeo. Dès 1600, Giovani Artusi publie deux ouvrages pour s’y opposer. Il n’est pas un abruti qui ne comprend rien aux nouveautés du monde, comme est la tradition de le colporter. Toute théorie musicale, aussi technique soit-elle en apparence, est en connexion avec une représentation plus large du monde. Il défend son monde, et relève à juste titre, pas seulement du point de vue de son monde, les incohérences et contradictions du nouveau système harmonique. Peut-être comprend-il mieux que Monteverdi lui-même la nature des changements. Ni Monteverdi, ni son frère ne pourront répondre aux objections d’Artusi. Il faudra attendre 150 ans pour que Jean-Philippe Rameau donne à l’harmonie tonale une théorie digne de ce nom.
Nikita Boriso-Glebsky. Photographie @ musicologie.org.
Antonio Vivaldi (1678-1741, Le quattro staggioni / Les quatre saisons, 4 concertos pour violon et cordes : 1. en mi majeur, « Le printemps », 2. en sol mineur, « L'été » , 3. en fa majeur, « L'automne », 4. en fa mineur, « L'hiver ».
Nikita Boriso-Glebsky (violon), Aylen Pritchin, Ryo Kojima, Soeun Kim (premiers violons, Tanja Sonc, Luka Ispir, Mai Tategami (seconds violons), Vladimir Bukac, Xavier Jeannequin (altos), Zlatomir Fung, Wonhae Lee (violoncelles), Ulysse Vigreux (contrebasse).
Son père, Giovanni Battista, barbier et violoniste, installe son officine à Venise en 1666. Il est nommé violoniste à la chapelle de Saint-Marc en 1685. Son premier fils, Antonio, est destiné à la prêtrise. Mais tel père, tel fils, il est aussi violoniste.
Après avoir reçu la tonsure et fait ses classes comme sous-diacre, Antonio Vivaldi est ordonné prêtre le 23 mars 1703. Il gagne le surnom de « prêtre rouge », non en raison de la théologie de la libération, mais peut-être à cause de sa rousseur, ou de celle de son père, qui a adopté « Rossi » comme nom d’artiste. Il célèbre la messe trois années, puis prétextant une maladie d’enfance handicapante, il en est exempté.
Il est engagé en 1703 à l'Ospedale della Pietà, un des orphelinats vénitiens qui éduquent et forment à un métier leurs pupilles. Celui-ci, accueille les filles, entretient en son sein un ensemble musical d’un niveau exceptionnel, dont la célébrité dépasse Venise et l’Italie. Vivaldi y sera actif, comme professeur, compositeur, maître de musique, pratiquement sans interruption jusqu’à sa mort. C’est en quelque sorte son laboratoire.
Il vit avec deux femmes, Anna Giró, primadonna qui chante dans ses opéras, à partir de 1726, et sa sœur Paola Giró. En tout bien tout honneur selon Vivaldi, pas vraiment selon d’autres. Il mène une vie trépidante, soliste virtuose, compositeur de 94 opéras, directeur de théâtre et impresario. En 1740, il vend tous ses concertos pour violon à l’ospedale, fait ses adieux à l’institution et meurt à Vienne l‘année suivante.
Les Quatre saisons sont dans les héritages de l’expressivité madrigaliste et du passage à la monodie accompagnée (une mélodie et des accords), contre la polyphonie. Il s’agit même de pièces descriptives sans paroles, pariant sur les possibilités expressives de la musique instrumentale. Chacun de ces quatre concertos a été édité accompagné d’un poème (de Vivaldi ?) donnant des clefs de compréhension.
Le quattro Stagioni est édité en 1724, dans un recueil de 12 concertos pour violon intitulé La confrontation de l'harmonie et de l'invention ou la liberté créatrice à l'épreuve des règles de la composition. Vivaldi indique que ses Quatre saisons sont appréciées depuis longtemps. Elles font un tabac à Paris en 1728.
Sa mort à Vienne est un mystère, elle est aussi un symbole. Fleuron du classicisme vénitien, son œuvre est aussi un des socles du classicisme viennois.
Jean-Marc Warszawski
20 août 2018
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Vendredi 31 Août, 2018 3:31