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15 mai 2018 — Jean-Marc Warszawski.

Évocation musicale de la culture yiddish en violoncelle et piano

Le sablier du temps : un voyage musical à travers l'âme juive

Le sablier du temps : un voyage musical à travers l'âme juive, Virginie Constant (violoncelle), Simon Zaoui (piano), Katarzyna Alemany (violoncelle). « Collection classique », Institut européen des musiques juives 2017 (IEMJ- CDC 002). Œuvres de Weinberg, Bloch, Saminsky, Kaufmann, Achron, Warshawsky.

Enregitré les 13-15 mai et 16 juin à la bergerie des Villarons.

J'ai hésité avant de présenter ce cédé et sa belle musique fort bien défendue par Virginie Constant et Simon Zaoui, dans un répertoire pour lequel la violoncelliste montre son affection au long des concerts en Europe et d'une quinzaine de cédés : musiques d'Europe de l'Est, des Balkans, musiques yiddish, de Serge Kaufman, d'Ernest Bloch, du populaire à l'académique, il y a dans ces musiques un air de famille.

L'argument métamusical qui justifie le programme : « Un voyage musical à travers l'âme juive » me semble problématique. D'abord, je ne crois pas que nous soyons dotés d'une âme, et si âmes étaient, mes pauvres connaissances dans les choses de la théologie me permettent quand même de penser qu'elles ne seraient d'aucune religion particulière, étant la part d'universalité de Dieu, dont les trois religions du Livre se sont donné la mission d'en sauver la pureté éternelle de la corruption terrestre.

On peut penser que par grand-écart sémantique ou entrechat poétique, on fait image de l'âme pour dire « sensibilité ». Mais le compte n'y est pas plus. D'abord parce qu'il est difficile d'imaginer qu'une musique puisse dériver de la Bible, du Talmud, des Testaments ou du Coran, comme le font les récits édifiants. Je veux dire qu'il est difficile d'imaginer qu'une musique puisse être en soi juive, chrétienne ou musulmane, au-delà des musiques liturgiques, plain-chant ici, psalmodies et cantillations ailleurs, qui identifient un culte, qui sont faites pour cela. Dans l'autre sens, j'ai du mal à saisir ce que pourrait être une sensibilité ou une esthétique juive (chrétienne ou musulmane), pour des populations éparpillées dans des cultures fort diverses en lieux et en classes sociales. Le fait de diviser les juifs en Ashkenazim et Sefaraddim (le voyage ici proposé n'est qu'Ashkenaze), tout en rendant compte d'une réalité est assez simpliste, ne discrimine pas les multiples particularités et différences culturelles ou cultuelles.

L'intégration dans les cultures locales et la vie citoyenne locale — quand elle fut possible — est d'ailleurs en grande part l'origine des fantasmes sur le « peuple juif » et de la « race juive ». Avec malveillance chez Richard Wagner, qui pense que les juifs, incapables de créativité, ne sont que des (bons) imitateurs. Alors que toute l'Europe, après la ruine des aristocraties est à la recherche de racines populaires et nationales, il est incompréhensible que les juifs allemands composent de la musique allemande, les juifs italiens de la musique italienne ou les juifs français de la musique française. Aussi avec bienveillance, comme Alexandre de Bertha, ayant rencontré Charles Valentin Alkan à partir de 1872, qui regrette que le compositeur et pianiste qu'il admire, ne se soit pas plus adonné à la musique de son peuple.

En réalité, ce cédé est l'évocation musicale de la culture yiddish (religieuse ou athée). Une culture qui a une langue, une littérature, un théâtre, une poésie et des chansons populaires, dont on peut entendre des échos (mais aussi ceux de la cantillation liturgique), dans le programme de ce cédé.  Il y a ici des formules mélodiques qui ont bercé mon enfance (avec les chansons tsiganes si proches). La seule partition que mon père m'ait offerte est A Yiddishe Mame, peut-être en pensant à la sienne assassinée au Zyklon B à Auschwitz, et la chanson Tchiribim-Tchiribom me trotte encore souvent derrière les oreilles. Je reste à l'idée de culture, ethnie ne me semblant pas convenir, même si on peut en défendre l'idée, non pas peuple, mais populations. On n'a pas ici l'administration politique qui fait un peuple ou une nation. Une situation très originale qui a été détruite au cours de la Seconde Guerre mondiale, dont témoigne encore aujourd'hui la vivacité de la musique klezmer, souvent associée à la musique tsigane ou au jazz.

Mieczysław Weinberg est un immense compositeur d'origine polonaise, qui a étudié au conservatoire de Varsovie, avant de rejoindre Dimitri Chostakovitch, dont il est l'héritier musical, en Russie.

Ernest Bloch, le plus religieusement méditatif, ou le plus élégiaque des compositeurs de ce cédé est Suisse, il passe par le Conservatoire de Genève, étudie à Bruxelles, en Allemagne, revient en Suisse, fait carrière aux États-Unis, revient de nouveau en Suisse, craint la guerre qui s'annonce en 1930, retourne définitivement aux États-Unis.

Né en 1882, Lazare Saminsky est russe, il étudie mathématiques, philosophie et musique à Moscou d'où il est chassé pour avoir pris part au soulèvement de 1905. Il gagne Saint-Pétersbourg et étudie auprès des compositeurs russophiles Nikolaï Rimski-Korsakov, Anatoli Liadov et Nikolaï Tcherepnine, et sur leur modèle quant aux musiques populaires russes, s'intéresse aux musiques populaires juives (c'est-à-dire Yiddish).

Né en 1930, Serge Kaufmann est suisse comme Ernest Bloch. Après-guerre, l'idée de ce que fut l'extermination des juifs provoque en lui, qui en Suisse fut à l'abri, une révélation. Comme pour démentir Wagner, il s'attache à composer des œuvres « juives », en fait essentiellement inspirées de la tradition yiddish.

Joseph Achron est russe, violoniste, il étudie comme Lazare Saminski au Conservatoire Rimski-Korsakov de Saint-Pétersbourg, et comme lui, s'intéresse aux musiques traditionnelles yiddish qui inspirent son œuvre. Il tente de s'installer à Berlin, en Palestine, émigre définitivement aux États-Unis en 1925.

Mark Warshawski, poète, musicien, juriste, est né à Odessa en 1842. Après l'école rabbinique, il intègre les universités d'Odessa puis de Kiev, il travaille un temps en Belgique avant de revenir à Kiev. Ses chansons sont répandues dans les milieux yiddish, souvent prises pour des chansons traditionnelles. Ici une célébrissime mélodie.

Gideon Klein, né en Moravie, intègre le conservatoire de Prague en 1938, où il étudie le piano et la composition, et l'université où il étudie la musicologie. Il est admis comme étudiant à la Royal Academy of Music de Londres, mais il lui est interdit de quitter le pays. Arrêté, interné au Ghetto de Terezín en 1941, déporté le 16 octobre 1944 à Auschwitz, il est affecté aux travaux forcés dans les mines de charbon de Fürstengrube. On perd sa trace, alors que ses compagnons Pavel Haas, Hans Krása, et Viktor Ullmann, du même convoi, ont été gazés dès leur arrivée.

Gideon Klein, [Lullaby], Cheh'av Beni (Dors mon enfant), plage 16 (extrait).

1-3. Mieczysław Weinberg, Sonate pour piano no 1, opus 5 (1940).

4-9. Ernest Bloch, Voix dans le désert, poème symphonique à l'origine pour violoncelle et orchestre (1936).

10. Lazare Saminsky, Conte hébraïque, pour piano, no 1, opus 17 (1922).

11. Serge Kaufmann, Matana, pour violoncelle solo (2016).

12. Joseph Achron, Mélodie hébraïque pour violoncelle et piano (1911), à l'origine pour violon et piano.

13-14. Serge Kaufmann, Deux duos pour violoncelles (2001).

15. Mark Warshawsky, Oyfn Pripetchik (chanson, arrangement par Jean-Christophe Masson)

16. Gideon Klein, [Lullaby], Cheh'av Beni (Dors mon enfant), à l'origine pour soprano et piano, arrangement d'un air hébeu de Shalom Haritonov sur un poème de Emanuel Ha'Russi (1943).

plume 6 Jean-Marc Warszawski
15 mai 2018


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