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13 décembre 2017, par Rémy Cardinale ——

Une tentative de réponse à la guerre déclarée aux intermittents

Une tentative de réponse à la guerre déclarée aux intermittents

Dresser un point vengeur contre les adversaires au régime des intermittents du spectacle peut soulager, mais est-ce comme cela que nous gagnerons la bataille?

Il est plus que probable que ce cher Michel Révol, le journaliste du Point, s'attendait à de telles réactions de notre part. Lui et ses amis se frottent déjà les mains en lisant nos réactions qu'ils sauront qualifier de corporatistes.

Il est malheureusement regrettable que notre défense se focalise sur la spécificité de notre travail intermittent et de rappeler sans cesse qu'entre deux cachets nous devons nous maintenir en forme, apprendre une partition, un texte, un rôle pour l'opéra, etc., faisant des artistes, des êtres à part, différents des autres salariés, employés, travailleurs.

En temps normal la société aime ses artistes, elle les applaudit, les vénère parfois et nous, nous aimons sentir ce statut d'exception. « Ah les artistes ! »

Mais en temps de crise, ce statut d'artiste s'effrite, il agace même et les critiques commencent à se faire entendre.

Résumons ici la critique de nos adversaires politiques

« La culture ça coute un bras, les intermittents ne travaillent que 4 mois par an, le reste du temps ils sont payés par l'UNEDIC grâce à la solidarité interprofessionnelle. Conclusion : la culture est subventionnée par les contribuables »

Comme nous croyons à cette fable, nous nous défendons sur le terrain moral et nous mettons en avant notre statut d'exception. « Oui, mais nous on est des artistes, on doit travailler à la maison entre deux cachets blabla, blabla…. » Pensons-nous vraiment que ce mode de défense soit efficace et tenable, face à une classe dirigeante à l'offensive pour dézinguer les régimes spéciaux de l'UNEDIC ?

En mettant en avant notre statut d'exception voilà ce qu'il advient :

Premièrement nous prenons les autres salariés pour des cons (combien de métiers doivent eux aussi travailler en dehors de leurs heures de bureau sans réclamer un statut d'exception et être payé par l'UNEDIC ?)

Deuxièmement nous ne remettons jamais en question l'affirmation comme quoi nous serions finalement 8 mois sur 12 des assistés, vivant de la solidarité des autres. ( L'article du journaliste rappelle que nous ne travaillons que 4 mois par an.)

Malheureusement si nous ne doutons jamais de cette affirmation c'est que nous croyons dur comme fer qu'elle est vraie, alors nous nous réfugions dans un statut d'exception moralement confortable mais politiquement intenable.

Croire que nous vivons en partie à la solde de la solidarité interprofessionnelle c'est lire à l'envers les conquêtes sociales de nos anciens.

Regardons de plus près...

En moyenne les intermittents partagent leur salaire global en 50% qui proviennent des cachets de concerts, spectacles, etc…, dans la sphère du marché du travail qu'on appelle l'emploi, et 50% d'indemnités reçues par l'UNEDIC.

La bonne lecture de ces derniers 50% versés par l'UNEDIC est d'une importance décisive car si nous disons que nous les recevons grâce à la solidarité d'autres salariés qui ne consommeraient pas tout leur salaire pour en donner une partie sous forme de cotisations, à des artistes, des chômeurs ou des soignants, des retraités… et bien nous sommes dans la croyance capitaliste.

Ces cotisations qui servent à payer par exemple les indemnités des intermittents sont produites par… les intermittents eux-mêmes !

Pour bien me faire comprendre il me faut passer par une succincte explication sur le mot « produire ».

Le mot travail a deux sens

le travail dit concret, réputé « produire » de la valeur d'usage : je joue du violon, je fais une omelette, je répare un vélo…

le travail dit abstrait, réputé « produire » lui aussi de la valeur d'usage et de la valeur économique : je joue du violon, je fais une omelette, je répare un vélo…

Mais alors quelle est la différence entre les deux définitions ?

Et bien quand je joue du violon dans ma chambre, quand je fais une omelette dans ma cuisine, quand je répare mon vélo dans mon jardin, je ne reçois pas de salaire pour cela, je ne « produis » que de la valeur d'usage, je ne « produis » donc pas de la valeur économique. Par contre si je fais tout cela dans le cadre d'une entreprise, je « produis » certes une valeur d'usage et aussi, une valeur économique matérialisée par du salaire. Ce que je fais vaut salaire.

On voit bien par ces quelques exemples que nous sommes en permanence dans une confusion sémantique. Quand je dis « je cherche du travail » ce n'est pas une recherche d'activité ou de travail concret. On recherche du travail dit abstrait qui sera réputé produire de la valeur économique. Je serai payé pour faire quelque chose.

Maintenant que nous faisons la différence entre la production de la valeur d'usage et de la valeur économique, nous pouvons revenir à notre sujet sur les intermittents.

Qui produit la valeur économique perçue par les intermittents entre deux cachets ?

Réponse des capitalistes. (communément acceptée par presque tout le monde puisqu'il est bien connu qu'il n'existe aucune alternative au capitalisme blabla, blabla…) :

La valeur économique n'est produite que dans le cadre de l'emploi (marché du travail). Donc les intermittents ne produisent de valeur économique que lorsqu'ils ont des cachets de concerts, spectacles, etc… l'argent perçu via l'UNEDIC est produit par d'autres travailleurs. C'est de la solidarité interprofessionnelle.

Réponse alternative de ceux qui ont un peu de mémoire et de culture militante communiste (oui vous avez bien lu, communiste ! Stop à l'autocensure et aux idées reçues véhiculées sur ce mot, sciemment connotées par les capitalistes).

La classe révolutionnaire à la manœuvre après 1945, a su imposer à la classe dirigeante une autre façon de produire de la valeur économique. Leurs actes législatifs que l'on doit à de rares ministres communistes et aux luttes syndicales, ont su modifier une partie de la production de la valeur économique. Dès lors on a considéré qu'on pouvait produire de la valeur économique sans être obligé d'être dans l'emploi (cette institution du travail dont les capitalistes sont propriétaires).

Les soignants, les fonctionnaires, les retraités, les chômeurs produisent eux-mêmes la valeur économique dont les cotisations et les impôts payés par l'ensemble de la société sont la matérialisation de leur salaire socialisé.

Donc les intermittents eux aussi produisent la valeur de leur indemnité chômage.

Conclusion

Il est urgent de sortir de notre statut d'exception et de se décoloniser l'esprit des fables capitalistes qui nous nient en tant que producteurs de valeur économique et nous enferment dans les abîmes de la valeur d'usage. En faisant honneur au salaire hors emploi, les intermittents montrent ainsi le chemin de l'émancipation vis-à-vis de leurs employeurs et invitent les autres travailleurs à les suivre.

N'oublions jamais que pour gagner une lutte il ne faut jamais être sur le terrain de l'adversaire.

Rémy Cardinale
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