Horizons politiques de l'œuvre berliozien : entre radicalité, nostalgies napoléoniennes et juste-milieu
12-16 févier 2018, Saint-ÉtienneL'axe littératures et arts du laboratoire IHRIM (UMR 5317) de l'Université de Lyon/Saint- Étienne organise deux journée d'études les 15 et 16 février 2018 sur le site de l'université de Saint- Étienne. On propose d'interroger les contradictions esthétiques du XIXe siècle à la lumière du paradigme politique du « juste milieu », choisissant d'analyser comme point de départ les attitudes créatrices novatrices sifflées d'Hector Berlioz qu'il faudra confronter à celles d'autres compositeurs adulés à son époque. Il s'agira de penser que l'idéologie politique du juste milieu livre en cela l'une des clés du conditionnement mental et social d'un siècle particulièrement protéiforme dans la recherche, l'affirmation et la reconnaissance de ses valeurs créatrices.
Les deux journées de février 2018 se prolongeront en 2019 par un colloque consacré aux esthétiques de la juste mesure dans l'art des XIXe et XXe siècles, à l'Université Paris Diderot.
Olivier Bara (Université Lyon 2) – Rémy Campos (CNSMD, de Paris et Haute École de Musique Lausanne) – Paule Petitier (Université Paris Diderot) – Martin Kaltenecker (Université Paris Diderot) – Claude Millet (Université Paris Diderot) – Alban Ramaut (Université de Saint-Étienne) – Paule Petitier (Université Paris Diderot) – Emmanuel Reibel (Université Lyon 2) – Corinne Schneider (CNSMD, de Paris) – Pierre Sérié (Université Clermont Auvergne) – Marie-Ève Thérenty (Université Montpellier 3) – Jean-Claude Yon (Université ersailles Saint-Quentin-en-Yvelines).
La question : « Existe-t-il des expressions artistiques que l'on pourrait qualifier de “juste milieu” dans la période 1830-1848 ? » semble a priori historiquement ciblée. On sait la fortune politique qu'a connue l'expression employée par Louis-Philippe le 31 janvier 1831 : « Nous cherchons à nous tenir dans un juste milieu également éloigné des excès du pouvoir populaire et des abus du pouvoir royal1. » Dans deux discours devant les chambres, Casimir Périer oppose le nouveau gouvernement à « l'anarchie » et définit la notion ainsi : « Au-dedans, l'ordre sans sacrifice pour la liberté ; au-dehors, la paix sans qu'il en coûte rien à l'honneur2. »
Si Louis-Philippe consacre la formule, nul n'ignore qu'elle existe de bien plus longue date et qu'elle se maintiendra sous les formes du libéralisme. On a tôt fait ainsi, par l'Éthique à Nicomaque d'Aristote, de remonter aux antiques. Le roi de tous les Français la reprenait sans doute lui-même par le biais de Madame de Genlis qui gouverna son éducation, à Fénelon3. Le juste milieu peut se confondre avec la tentation récurrente du classicisme dans la pensée occidentale. Un témoin de cette filiation serait Jean Charles Léonard Sismonde de Sismondi (1773-1842).
Nous aimerions suggérer que la Monarchie de Juillet fut, d'un point de vue intellectuel, une sorte de « laboratoire4 » d'attitudes mentales qui s'exercèrent à des figures de compromis entre l'impossible retour au passé et un manque d'adhésion au présent. Il s'agira donc d'une part de retracer les filiations de cette famille politique et d'en analyser d'autre part les éventuelles descendances, voire membres collatéraux dénaturés et problématiques dans le domaine des arts et plus particulièrement dans celui de la musique et des spectacles. Considérer à quoi les réponses artistiques ont pensé s'opposer et, réciproquement, ce que la doctrine, même dévoyée, des « médiétés » antiques a pu encourager.
Si la notion de « juste milieu » a fait fureur dans la critique d'art5 elle a le plus souvent été étudiée dans le seul domaine des arts plastiques – chez Horace Vernet, Paul Delaroche ou certains des élèves d'Ingres, tels Amaury Duval, Paul et Hippolyte Flandrin, Étienne Delécluze ou Henry Lehmann, Pierre Puvis de Chavannes. Le juste-milieu induit-il un « néoclassicisme », hanté par le monde moderne qu'il refoule ou conjure ? Une telle esthétique a été le plus souvent décrite de façon dépréciative, comme un « retour à… » – la Lucrèce de Ponsard à l'Odéon, dit Théophile Gautier, donne l'impression de « voir arriver Louis XVIII avec ses gros mollets6 » – ou bien une facilité d'exécution ; Hugo, ainsi, compare Thiers, Scribe et Horace Vernet, « faciles, clairs abondants rapides […], prenant la foule par tous ses petits côtés, jamais les grands […], bourgeois plutôt que populaires […], ayant les défauts qui plaisent sans les qualités qui choquent […], également antipathiques aux nouveautés et aux traditions7 ». L'époque implique en même temps un rapport complexe entre l'art et la politique, ainsi que des contradictions entre une pratique, un discours esthétique et une position politique plus ou moins articulée. Stendhal qualifie ses opinions artistiques « d'extrême gauche » alors qu'il se déclare politiquement de « centre gauche »8. La « conciliation9 », c'est tout autant une volonté de limiter l'extrémisme que le désir d'une conjonction de tendances irréconciliables – voire, chez Baudelaire, Flaubert, ou chez les Goncourt l'exaltation du « modernisme » joint à la haine de la démocratie et/ou du bourgeois. Quel est, par exemple, l'usage des notions « d'extrême » chez les « Doctrinaires » dont sont issus les tenants du juste milieu ? Il faudrait relire ici certains textes de Victor Cousin, Charles Blanc, voire de Proudhon, et suivre le lent progrès de la notion même d'avant-garde, telle qu'elle apparaît dès 1825 dans les écrits saint-simoniens : « Unissons-nous ; et pour parvenir au même but nous avons chacun une tâche différente à remplir. C'est nous, artistes, qui vous servirons d'avant-garde. Quelle plus belle destinée pour les arts que d'exercer sur la société une puissance positive, un véritable sacerdoce10 ». Pensons à l'inverse aux réactions hostiles suscitées dans les cénacles romantiques lors de la publication par Fétis en 1830 de La musique mise à la portée de tout le monde.
La question concerne en particulier les structures dans lesquelles s'élabore un art officiel. L'Opéra en particulier, qui doit, selon son directeur Véron, être « le Versailles de la bourgeoisie ». Rappelons cette remarque de Heinrich Heine lors de la première de Robert le diable : « N'en déplaise aux enthousiastes de Meyerbeer, je pense que beaucoup de gens ne sont pas seulement attirés par le charme de la musique, mais bien par le sens politique du livret. Robert le Diable, fils d'un démon aussi dépravé que Philippe-Egalité et d'une princesse aussi pieuse que la fille de Penthièvre, est poussé au mal, à la Révolution, par l'esprit de son père ; et par celui de sa mère, au bien, c'est-à-dire vers l'Ancien Régime. Ces deux natures innées se combattent dans son âme ; il flotte entre les deux principes ; il est juste milieu11. »
La Comédie-Française et l'Odéon forment le pendant de l'Opéra. Au reste, créateurs et « administratifs » circulent d'un pôle à l'autre. L'Institut (Académie française et Académie des Beaux- Arts) est un autre lieu important. Dans le domaine théâtral, Casimir Delavigne est une figure essentielle. À partir de 1843, il faut faire toute sa place à l'Ecole du bon sens (Ponsard, Augier).
Ajoutons aux lieux où se forge cette « idéologie » la presse (Le Globe, jusqu'en 1831, puis le Journal des débats) ; les lieux de sociabilité que sont les salons (d'Ingres, du pianiste Zimmermann, le salon des Bertin) ; la permanence ou la reprise de formes ou rapports sociaux de l'ancien régime (la notion de « compositeur de cour » ou de « maître de chapelle » perdure-t-elle ? Se prolonge-t-elle dans celle du « compositeur-maison » rattaché à un salon (Reber chez les Bertin ; Gounod chez Viardot) ?
En musique, ce sont les figures fougueuses d'un Romantisme « 1830 » qui ont davantage focalisé l'attention, tel Liszt, adepte des doctrines peu orthodoxes de Lamennais et qui se solidarise avec les révoltes des Canuts dans Lyon. Mais on peut également prendre la notion de juste milieu comme une clé d'interrogation de ce qui en procède à la façon d'une réplique systématiquement inversée. C'est pourquoi la figure d'Hector Berlioz est ici paradoxalement prise comme la figure de proue d'un courant antagonique à l'idée de modération, mais fatalement dépendant de lui. En quoi Berlioz, nommé par Adolphe Boschot Un romantique sous Louis-Philippe 1831-1842, est-il en contradiction (ou en phase) avec l'idée de compromis que le genre du grand opéra peut paradoxalement incarner ? Y a-t-il davantage chez lui qu'un certain opportunisme (acceptation de commandes officielles), et plutôt la tentative, au-delà de l'éclectisme, de combiner des éléments saint-simoniens, une religiosité saint- sulpicienne et la nostalgie des pages d'histoire écrites par la Révolution et l'Empire ?
Chez d'autres, la tentation du sublime est celle de l'accès à une sphère supérieure. On doit élargir l'enquête à d'autres grandes personnalités courtisanes ou non de la vie parisienne placées entre heurs et malheurs – « splendeur et misère » – de cette mouvance. Citons Giacomo Meyerbeer, Franz Liszt, Gioachino Rossini, mais aussi, Napoléon Henri Reber, George Onslow, puis Camille Saint-Saëns ou Jules Massenet.
La question esthétique induit de façon complexe les idées de « pureté12 » et de « classicisme », si classique veut dire excellence du style en ce qu'il a de châtié et de reconnu, d'enseigné comme tel et donc de la possibilité de ce classicisme à devenir académisme, milieu des justes, des garants des valeurs. Classicisme tour à tour conjuré, recherché, célébré et trahi par les institutions, ou en bute à l'opposition des modernes. Qu'en est-il alors dans ce contexte de la notion de « musique sérieuse », compromis entre un culte de la musique « absolue » à l'allemande et des notions héritées du XVIIIe siècle français13 ? Qu'en est-il du genre de l'opéra-comique ? Auber, par ailleurs musicien officiel du régime, n'est-il pas le compositeur juste milieu par excellence ? Qu'en est-il encore des évocations et célébrations musicales de la révolution française, si bien étudiées dans le domaine de la peinture d'histoire ? Existe-t-il, en musique, l'équivalent de cette « guerre de cent ans » qui, selon Mona Ozouf, s'est jouée dans le roman au XIXe siècle14 ?
Les propositions de communication (titre, résumé de 350 mots et une courte notice biobibliographique) sont à soumettre avant le 30 octobre 2017 à Alban.ramaut@univ-st- etienne.fr
1. Le moniteur officiel, 31 janvier 1831.
2. Discours 18 mars 1831 et 27 décembre 1831, voir Bertrand Goujon, Monarchies postrévolutionnaires 1814-1848, Paris, Seuil, coll. Points, 2012, p. 243 et p. 251.
3. François de Salignac de la Mothe Fénelon, « autre supplément » aux Directions pour la conscience d'un roi, (première édition 1734), repris dans : « Le despotisme tyrannique des souverains est un attentat sur les droits de la fraternité humaine : c'est renverser la grande et sage loi de la nature, dont ils ne doivent être que les conservateurs. Le despotisme de la multitude est une puissance folle et aveugle qui se forcene contre elle-même : un peuple gâté par une liberté excessive est le plus insupportable de tous les tyrans. La sagesse de tout gouvernement, quel qu'il soit, consiste à trouver le juste milieu entre ces deux extrémités affreuses, dans une liberté modérée par la seule autorité des loix. Mais les hommes aveugles et ennemis d'eux-mêmes, ne sauroient se borner à ce juste milieu » (Œuvres, Paris, Didot, 1787, vol. III, p. 525, repris dans l'édition séparée d'Antoine Augustin Renouard, Paris, 1825, p. 108).
4. Pierre Rosanvallon, Le Moment Guizot, Paris, Gallimard, 1985, p. 75.
5. Jean-François Sirinelli (éd.), Histoire des droites, tome III, Sensibilités, Paris, Gallimard, coll. Tel, 2006, p. 600.
6. Victor Hugo, Choses vues, Paris, Gallimard, Quarto, 2002, p. 489.
6 René Rémond, Les Droites en France, Paris, Aubier-Montaigne, 1992, p. 89.
7. Hugo, Choses vues, p. 640.
8. Sirinelli, Les Droites, III, p. 600.
9. Charles Rosen et Henri Zerner, Romantisme et réalisme mythe de l'art au XIXe siècle, tr. Odile Demange, Paris, Albin Michel, 1986, p.126ss.
10. Sirinelli, Les Droites, III, p. 598.
11. Cité par Jane Fulcher, Grand Opéra en France : un art politique 1820-1870, Paris, Belin, 1988, p. 69.
12. Jann Pasler, La République, la musique et le citoyen 1871-1914, Paris, Gallimard, 2015, p. 215.
13. Martin Kaltenecker, « Gouvy et le discours de la ”musique sérieuse” », Théodore Gouvy, Actes du Colloque internationalSaarbrücken/Hombourg-Haut, Herbert Schneider (éd.), Hildesheim, Olms, 2008, p. 89-124.
14. Mona Ozouf, Les aveux du roman, Gallimard, coll. Tel, 2004, p. 7-28.
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Mercredi 22 Novembre, 2023