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Dijon, Auditorium, 19 février 2017, par Eusebius ——

Roger Muraro magistral et captivant1

Une semaine après un récital à Charnay-lès-Mâcon, auquel   il nous était malheureusement impossible de nous rendre, Roger Muraro nous offre un programme différent, qui, de Schumann à Messiaen, va combler un public d'un enthousiasme comme on en rencontre peu2.  À grandes enjambées, le voilà, impressionnant, devant son clavier, dont il caresse les ivoires des octaves extrêmes, avant de le solliciter.

De Schumann, les Waldszenen (Scènes de la forêt), opus 82. Dès le Eintritt, on est conquis par la fluidité du jeu, naturel, dépourvu de tout effet. Contrastant, d'un caractère dramatique fort, le Jäger auf der Lauer (le chasseur à l'affût), avec ses phrasés et ses plans, puis le suivant (Einsame Blumen, fleurs solitaires) retenu, simple et frais, au contrepoint discret, suffisent à confirmer que nous avons affaire à un grand schumannien. Tour à tour lyrique, fantasque, robuste, incertain, le jeu de Roger Muraro, déploie la plus riche palette de couleurs, de touchers, et confère à ces petites pièces une dimension qu'on ne leur connaît guère. Le discours nous tient toujours en haleine, captivant.

Inégalable dans Messiaen dont il est le spécialiste incontesté, Il nous offre « La buse variable » (9e pièce du Catalogue d'oiseaux), puis « Le baiser de l'Enfant-Jésus » (des Vingt regards). On oublie la complexité de l'écriture et des combinaisons, on oublie la virtuosité tant l'évocation est forte, de cris, de bruissements, de vols. Et lorsque disparaît l'oiseau, l'émotion nous étreint. La puissance du jeu de Roger Muraro, dans toute l'échelle dynamique est stupéfiante. Le caractère du « Baiser de l'Enfant-Jésus », de 14 ans antérieur, est tout autre. Lumineux, rayonnant, empreint d'une  joie profonde, de béatitude, c'est un moment exceptionnel. Le geste est ample, la concentration extraordinaire.

De Liszt, deux de ses  transcriptions de Wagner : Le « Spinnelied » (chœur des fileuses, du Vaisseau fantôme), de 1880, et le « Isoldens Liebestod » (de Tristan et Isolde), de 1867. C'est l'évidence, la richesse des plans, la lisibilité, mais encore davantage le sens dramatique qui emportent l'adhésion. La passion incandescente du dernier, la vie intense qui irrigue chaque partition nous subjuguent. La modernité des Études de Debussy, dont Roger Muraro nous donne le premier livre, a-t-elle été mieux illustrée ? Sa lecture, très contemporaine, nourrie de tout ce que le piano a gagné depuis Debussy, est proprement géniale. De l'humour des « Cinq doigts » à l'aérien et volubile « Pour les huit doigts », c'est une magistrale leçon, toujours juste et séduisante, jamais démonstrative. Nous sommes ravis, emportés par cette prodigieuse aisance guidée par une concentration singulière.

Eusebius
20 février 2017

1. J'ai voulu éviter « un géant du piano », ou « une grande pointure » tant l'expression  pouvait être réduite à sa stature imposante. Il n'empêche : nous avons affaire à un très grand artiste, humble, tout entier au service de la musique qu'il sert magistralement.

2. il lui offrira deux beaux bis : le nocturne no 20 en ut♯ mineur opus posthume de Chopin, et la Rhapsodie hongroise no 10 en mi majeur S 244/10 (Preludio) de Liszt.

 Eusebius
février 2017
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