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Dijon, Auditorium, 27 janvier 2017, par Eusebius ——

Pour Bruckner, avec Les Dissonances et David Grimal

David Grimal et Les Dissonances dans le concerto de Schumann. Photographie © D. R.

Les Dissonances et David Grimal inaugurent leur nouveau — et audacieux — programme1 à Dijon, avant de le produire à la Philharmonie de Paris. Pour commencer, le rare concerto en mineur pour violon, WoO 23, de Schumann.

La pâte orchestrale, épaisse, est indéniablement de Robert. La véritable entrée du soliste a les accents lyriques du concerto pour violoncelle, ça chante, les phrasés, les couleurs sont admirables. Le mouvement lent (langsam), dans sa première partie, est le plus émouvant. Enchaîné, le finale, d'une écriture orchestrale  triviale, vivante (lebhaft), paraît d'une joie contrariée, forcée. On a l'impression d'une sorte de recyclage de matériau non retenu des symphonies. L'écriture brillante du violon paraît plaquée sur cet orchestre de faible intérêt, fastidieux. Malgré de beaux moments, on reste sur sa faim, d'autant que la formation paraît en moyenne forme2.

Rares sont les compositeurs dont l'œuvre ne compte des pièces d'un intérêt très relatif, mineur, relevant davantage du procédé, du bricolage que de l'artisanat accompli. Eux-mêmes en sont souvent conscients, les gardant pour eux, voire les détruisant. On comprend pourquoi Schumann, déjà  affaibli, trois ans avant sa disparition, après l'avoir écrit pour Joachim — qui ne le joua pas — n'édita pas cette pièce. Œuvre mineure, d'une écriture formelle, propre à valoriser la technique du soliste, elle ne relève pas de la même catégorie que le concerto pour violoncelle ou celui pour piano. On est loin du grand Schumann. La faute n'en incombe pas à David Grimal : il joue le jeu et y prend manifestement plaisir. Mais son engagement ne suffit pas à transformer la citrouille en carrosse.

Un moment de grâce nous est offert, qui a lui seul justifierait le déplacement : l'allegro final de la deuxième sonate pour violon seul de Bach (BWV 1003). Pouvait-on souhaiter un bis plus généreux et plus magistral ?

Les Dissonances ne reculent devant rien, on le savait déjà, mais oser la septième symphonie de Bruckner (A 109) est un nouveau défi3. Œuvre monumentale par sa durée, par ses proportions, par les effectifs requis4,  c'est la symphonie la plus jouée du maître de Saint-Florian, particulièrement depuis Senso (1954) le film de Visconti, à une époque où il était de bon ton d'afficher son  mépris pour le compositeur autrichien.

Dès l'entrée des cors et des violoncelles, la mise en place est digne des grands Viennois. On avait été privé de joie dans Schumann… qu'à cela ne tienne : celle du premier mouvement allait d'autant mieux éclater, vraie, souveraine. L'adagio « célèbre », très retenu, nous passionne par sa vie intérieure, extraordinaire, avec une lisibilité rare. L'intérêt ne faiblit jamais. L'homogénéité des tubas — hommage à Wagner — est  à l'égale de celle de chaque pupitre. Dans son esprit, et — plus rare — dans sa plus infime nuance, le respect du texte force l'admiration. Les progressions sont splendides, conduites avec maestria. Un égal régal que les contrastes, les oppositions, l'étagement des plans sonores. Ça respire, ça chante, avec d'admirables phrasés. Le scherzo, fluide, bondissant, éblouissant, est endiablé à souhait. La douceur tranquille du trio relève du charme. L'orchestre est galvanisé. Le finale, renouvelé, nous renvoie à la thématique énoncée, développée avec ses divers éclairages. La puissante coda, débarrassée de toute prétention ostentatoire conclut cette lecture magistrale, puissante sans jamais accuser la moindre lourdeur, héroïque, sans histrionisme, sensible, mais jamais mièvre. Une interprétation aboutie, donc, qui constitue une nouvelle démonstration des qualités exceptionnelles de cet ensemble singulier5.

 Eusebius
27 janvier 2017
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1. dont on sort partagé. D'un côté on se réjouit que des œuvres oubliées, ou injustement méprisées puissent être offertes au public, pour permettre à ce dernier de se forger une opinion, de l'autre, on s'interroge sur l'opportunité de certains choix. Ainsi, combien de concertos pour violons du XIXe siècle sont-ils tombés dans un profond oubli, alors qu'ils connurent un réel succès à leur création ? Pourquoi n'avoir pas recherché parmi eux, plutôt que de nous proposer le brillant et insipide concerto de Schumann ?  

2. échauffement ? motivation ? absence de Hans Peter Hoffmann comme Konzertmeister ? On attend d'autant plus de précision, incisive, que l'écriture est épaisse.  Aucun pupitre ne démérite, mais la prouesse du travail sans chef atteint ponctuellement ses limites : tel passage manque d'assurance, où les contrebasses sont en avant avec le soliste, par exemple. Pourquoi le violoncelle solo est-il en retrait dans son duo avec le violon ?

3. À quand la Turangalila de Messiaen ?

4. 5 tubas, 3 trombones, 3 trompettes, 4 cors et les bois par deux, avec des cordes équilibrées, sans omettre  les percussions.

5. Les musiciens vivent cette musique avec un profond  bonheur, on les sent engagés plus que jamais (beaucoup plus que dans Schumann), signalons aussi que David Grimal a repris sa place de premier violon solo.

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