Emmanuel Krivine. © Philippe Hurlin / Radio-France.
Jeudi soir, dans le bel auditorium tout en bois de Radio-France, l'Orchestre national de France inaugurait sa quatre-vingt-troisième nouvelle saison et la prise de pouvoir d'Emmanuel Krivine, le chef qui parle en images et dont la main droite n'a pas oublié les coups d'archet et les mouvements de poignet du jeune virtuose qu'il fut.
Dans les salutations de bienvenue adressées au nouveau directeur musical de l'orchestre, Mathieu Gallet, le contesté patron de Radio-France, se réjouit qu'un chef d'orchestre français (après Jean Martinon de 1968 à 1973), occupe ce poste, pour « défendre et illustrer l'esprit français, un esprit fait d'élégance, de fougue et de précision, un esprit prêt à offrir au monde tout ce que notre pays porte en lui de générosité ». On peut avoir une autre opinion sur la générosité française, vu la hargne et la violence antisociale de nos trois derniers gouvernements, qui portent de sérieux coups aux arts, à leur enseignement, à leur diffusion, vu aussi la désertion quant à la dignité de l'accueil des réfugiés, l'impuissance face à la misère grandissante et aux souffrances des sans-abris.
On, peut aussi penser que la grandeur de notre pays n'est pas le chant de son coq, mais depuis les Lumières, son goût pour l'universalisme. Cela tombe bien, car le programme était essentiellement germanique, Viennois pour sa première partie.
La passacaille, opus 1, d'Anton Webern, est composée en 1908, alors que le compositeur achève ses études avec Arnold Schönberg. Ce n'est pas encore le contrapuntiste quasi minimaliste de pièces tenant sur un ticket de métro. Neuf ans après La nuit transfigurée de son maître, il est encore héritier de l'expressionnisme, en possession, d'une grande habileté orchestrale sombre et inquiétante, où le raffinement délicat, les précisions aériennes, les appuis silencieux, qui marqueront sa conversion au dodécaphonisme, sont déjà perceptibles.
Ann Petersen. Photographie © D. R.
Richard Strauss, son aîné de vingt ans, évoque plutôt la rutilance orchestrale, les salves de cuivres — ne jamais se mettre dans les premiers rangs quand il y a du Strauss au programme — un reste de romantisme qui se ment à lui-même. Mais là, on rabat le caquet et les pavillons, avec les quatre derniers Lieder, des Lieder d'adieu à la vie, aussi d'après-guerre, d'après l'horreur, en 1948. On se rapproche du sombre, du vrai sombre, pas de celui d'opéra, de Webern en 1908. Mais le vieux Strauss ne laisse pas derrière lui l'art du scintillement orchestral et celui du chant dans lequel il est un maître. Emmanuel Krivine a couvé de l'oreille et de la baguette la soprano Ann Petersen, qui écume les scènes internationales, veillant notamment au volume de l'orchestre, mais placé en plein côté jardin, nous n'avons pas bénéficié de la projection vocale de la cantatrice, dont la voix semblait parvenir de fort loin.
En seconde partie, la symphonie en ré mineur de 1888, une des œuvres les plus connues de César Franck. Un bel orchestre, un art consommé de la variation, il le faut dans une œuvre de forme dite cyclique, ou le thème revient souvent, comme cadenas de cohérence, laissant ainsi au reste plus de liberté (c'est un truc d'improvisateur). Belge, ayant vécu à Paris, l'esthétique de l'œuvre de Franck est plutôt germanique, et ne brode pas le trousseau des Fauré, Debussy, Ravel, voire Saint-Saëns.
Le public enthousiasmé n'a pas été soulevé. Emmanuel Krivine a prévenu, les œuvres en apparence hétéroclites du programme ne le sont qu'en apparence, l'expression de la volupté les traverse. Sans aucun doute. C'est bien ce qui a été cultivé, grâce au magnifique son de cet orchestre, à sa précision d'ensemble, ses qualités solistes, ses nuances homogènes, ses pianissimos charnus. Une telle beauté se savoure. Et pour savourer dès la première bouchée, il serait bien d'attendre le silence complet de la salle avant d'attaquer, surtout quand il s'agit de pizzicatos pianissimos espacés de longs silences, comme dans la passacaille.
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Mercredi 18 Septembre, 2024