Schubert, de l'unité au fragment, Mateo Fossi (piano). Wanderer-Fantasie, Drei Klavierstücke, sonate en do majeur, sonate en fa♯majeur. Hortus 2016 (HORTUS 141).
Enregistré au Concert Hall Fazioli de Sacile (Italie), s.d.
Pour son vingtième enregistrement discographique, Matteo Fossi, pianiste italien né à Florence en 1978, a choisi quatre œuvres de Franz Schubert qu'il place sous la rhétorique de l'unité et du fragment, vaste question philosophique sur la relation de la partie au tout. En musique, cela pose la question esthétique de la forme, mais la cohérence en art n'est elle pas essentiellement un point de vue à géométrie très variable ?
Si le programme de ce cédé commence avec une pièce de forme dite libre, mais achevée, la célèbre et virtuose fantaisie en do majeur, de 1822, baptisée à la fin du siècle Wanderer-Fantasie, parce que l'Adagio réutilise le thème du Lied du même nom, les œuvres suivantes évoluent, du point de vue de la forme, vers le fragment, avec les trois quasi impromptus baptisés par Brahms, après la mort de Schubert Drei Klavierstücke, puis deux sonates inachevées, les deux premiers mouvements de celle en do majeur de 1825, et le seul premier mouvement de celle en fa♯ mineur de 1817.
Dans le livret Hélène Cao met également l'accent sur l'opposition entre le jaillissement musical quasi naturel des compositions de Franz Schubert, et à travers ses œuvres inachevées, la difficulté de l'affrontement de l'inspiration et du papier à musique, qui serait la caractéristique de la musique de Beethoven, mais pas de celle de Schubert.
Il reste que la cohérence musicale ne tient pas seulement à la forme, qui est avant tout l'art factice de faire varier et durer. Le « tout » n'est pas interne, organique, à un œuvre d'art, il est l'ensemble de l'œuvre d'un compositeur, des autres compositeurs de son époque, de quoi elle s'est distinguée d'avant et des autres, et quand on peut en juger : d'après. La cohérence musicale est un rapport à l'esthétique courante et au langage. Il peut donc s'entendre plus de cohérence et de fini dans une fantaisie, que dans une œuvre de grande envergure à l'esthétique déroutante. On peut parier que bien des mélomanes trouveront plus de finition et moins de fragmentation dans la fantaisie en ré mineur de Wolfgand Amadeus Mozart que dans la première sonate de Charles Ives ou une miniature d'Anton Webern, pourtant modèle de cohérence (théorique) musicale.
C'est un beau programme, qui n'a rien de fragmentaire, avec des pièces qui ne sont pas parmi les plus jouées en concert ou encédés. Contrairement à quelques pianistes, Matteo Fossi ne tente pas de compléter les sonates inachevées (surtout celle en do majeur). Cela se comprend dans le cadre rhétorique de ce cédé, qui va du tout au fragment (quand même pas mal achevé, comme le beau premier et unique mouvement de la sonate en fa♯ mineur, qui se termine... dans le sable). Mais on peut aussi le regretter. Ce pourrait être l'occasion pour les pianistes, non pas d'imaginer puérilement ce que Schubert aurait couché sur le papier, mais d'exprimer leur propre inspiration, voire leurs qualités d'improvisateurs.
Franz Schubert, Sonate pour piano en fa♯ mineur (extrait, plage 7.)1. Wanderer Fantasie en do majeur, opus 15, D 760 ; 2-4. Drei Klavierstücke, opus posthume D 943 (Allegro assai, andante, tempo I ; Allegretto ; Allegro) ; 5-6. Sonate pour piano en do majeur « Reliquie » D 840 (Moderato, Andante) ; 7. Sonate pour piano en fa♯ mineur D 571.
Jean-Marc Warszawski
23 février 2017
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