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20-21 mai 2017, par Strapontin au Paradis ——

Le Rivage des voix : festival pour la voix dans tous ses états

Le festival Le Rivage des voix se déroule depuis trois ans à Saint-Florent-le-Vieil, sur les bords de la Loire, ville natale de l'écrivain Julien Gracq. Concocté par René Martin, le programme explore chaque année un grand éventail de l'art vocal, du chant lyrique à la lecture, en passant par des concerts « voix et musiques du monde ».

Le festival se décline selon cinq axes : voix du ciel (musique sacrée, spirituelle et religieuse) ; voix de la terre (les musiques populaires qui se transmettent oralement génération en génération, ponctuant le rythme de la vie quotidienne) ; voix de l'âme (mélodies et lieder inspirés de plus beaux poèmes) ; voix de la passion et du destin (les plus beaux airs d'opéra, spectacle complet permettant à toutes les passions humaines de se manifester) ; voix imaginaire (voix qui se transforment pour laisser place à l'instrument, que ce soit les transcriptions de chant ou les compositions d'après une œuvre littéraire).

Cette année, le festival s'est tenu du 18 au 21 mai. Nous avons assisté aux deux derniers jours.

Samedi 20 mai, 18 heures

Maîtrise des Pays de la Loire. Photographie © D. Drouet.

Notre marathon commence à la chapelle Notre-Dame du Marillais, avec un concert « Voix du ciel » par la maîtrise des Pays de la Loire sous la direction de Christine Morel, auquel participe l'organiste Philippe Chevalier, également enseignant à la maîtrise. Une quinzaine de filles et garçons proposent un parcours éclectique : plain-chant, Poulenc (Ave verum corpus et Litanies à la Vierge noire), Vierne, Britten (Missa brevis, opus 63) et John Rutter (né en 1945). Le Carillon de Westminster de Louis Vierne sous forme de variations, d'abord a cappella puis à la manière du gospel et enfin, accompagné à l'orgue, avec une improvisation sur cet instrument. Le plein chant Victimaæ pascali laudes est interprété selon une méthode inventée par le compositeur norvégien Knut Nystedt (1915-2014) pour varier la musique ancienne en chœur, en forme d'écho ou de canon : le premier chanteur commence par la première note (ici, « Vi » de Victimaæ), puis, un autre ajoute la deuxième note de son choix quand il le souhaite. Après un tour de tous les chanteurs, ils reprennent le plain-chant à l'unisson. L'ambiance chaleureuse et familiale du concert semble symboliser l'atmosphère générale du festival.

Samedi 20 mai, 19 h 30

Concert-lecture intitulé « Eh bien, dansons maintenant ! » dans le cadre des « voix imaginaires » à l'auditorium de l'Abbaye. Le comédien-lecteur Philippe Mathé fait dérouler devant nos yeux, grâce à sa lecture peine d'inventivité, les scènes évoquant la danse, extraits de textes de Daniel Sibony, Henri Pourrat, Jacques Camblin, Guy de Maupassant et de Georges Moustaki, illustrés par des musiques de Brahms, de Schubert et de Debussy sous les vingt doigts élégants de Guillaume Coppola et d'Hervé Billaut. La nouvelle Le Menuet de Maupassant, est lu — ou plutôt joué — de manière si délicieusement désuète et très imagée, merveilleusement illustrée par le 1er mouvement du Divertissement hongrois de Schubert et le Menuet (de la Petite Suite) de Debussy,  nous rappelant irrésistiblement la fameuse scène de menuet du film Le Bal des Vampires de Polanski…

Samedi 20 mai, 21 heures

Ensemble Dialogos. Photographie © D. Drouet.

Une expérience unique et rare ! Les deux ensembles, Dialogos et Kantaduri, dirigés par Katarina Livljanić, explorent l'espace de l'Abbatiale pour des chants « à trois dimensions ». Le programme « Dalmatica, chants sacrés de l'Adriatique », place sur le même plan des chants de l'église et ceux traditionnels profanes, et les mêlent avec subtilité, parfois en les superposant partiellement. Les deux techniques vocales totalement différentes — Dialogos pour les répertoires sacrés de l'Europe médiévale et Kantaduri pour la musique folklorique croate — créent ainsi une sensation de suspension spatiale, d'autant que selon les pièces, ils se déplacent en chantant dans les nefs centrale et latérale. Dotés d'une haute spiritualité dépassant tous clivages sacré-populaire, ces chants font surgir une émotion jusque là enfouie, en suscitant en nous un véritable bouleversement intérieur.

Dimanche 21 mai, 14 heures

Nous retrouvons Philippe Mathé, cette fois en compagnie de Marie-Catherine Girod dans le programme « voix d'enfances », au « grenier à sel » de la maison de Julien Gracq. Enfances au pluriel, car les textes choisis parlent de souvenirs de voix : « La voix primordiale », extraite de Vive voix de Gaëlle Josse, 2016 ; « La voix de mon père » extrait d'Abraham et fils de Martin Winckler (2006). De l'apprentissage d'une voix : « Opéra », extrait d'Opéra sérieux de Régine Detambel (2012). Des trois voix de femmes : « A'amie pianiste », « Voix de ma sœur », « Ma grand-mère et sa remarque », extraits de Vive voix de Gaëlle Josse. Mais aussi de la voix du chant et toutes les autres : « Solo », extrait de Solos de Régine Dutamble (1998). Comme la veille, l'expression du comédien va parfaitement avec celle de Catherine Girod au piano (Brahms, Schumann, Mendelssohn, Chopin, Rachmaninov mais aussi Gabriel Dupont), tous les deux vivants, colorés et même pittoresques (dans le sens initial du terme), permettant à chaque spectateur de retrouver des échos de sa propre enfance.

Dimanche 21 mai, 15 h 30

Raquel Camarinha et Yoan Héreau. Photographie © D. Drouet.

À l'auditorium de l'Abbaye, la soprano Raquel Camarinha, récemment nommée dans la catégorie « Révélations » aux Victoires de la musique, accompagnée par le pianiste Yoan Héreau, livre l'intégrale des mélodies polonaises de Chopin. Il est rare d'entendre en concert l'ensemble des 19 mélodies dans la langue maternelle du compositeur, que la cantatrice s'approprie admirablement. Le programme révêle un autre intérêt, non négligeable, pour comprendre comment Chopin concevait la ligne vocale sur le piano. Yohan Héreau assure brillamment la partie du piano pour rendre ces mélodies plus chopiniennes que jamais.

Dimanche 21 mai, 16 h 30

À l'abbatiale, « Paz, Salam et Shalom : regard sur l'Espagne orientale », un programme rendant hommage à la diversité et à la coexistence pacifique de différentes concrétions culturelles, que nous avons déjà entendu l'année dernière à la Rencontre musicale de Vézelay. À l'instar de Dialogos et Kantaduri la veille, les musiciens abolissent les frontières stylistiques, vocales et instrumentales, dues à la localisation géographique des compositeurs (Turquie, Balkans, Alexandrie, Espagne…), souvent anonymes, de ces musiques.

Dimanche 21 mai, 17 h 30

Un concert-lecture d'un autre style, avec le comédien Philippe Vallepin et le pianiste Nathanaël Gouin, autour de l'œuvre de Stendhal. Des extraits de Vie d'Henri Brulard, Le Rouge et le noir et La Chartreuse de Parme, sont lus en alternance avec des pièces de Haydn (variations en fa mineur Hob XVII.6 et sonate no 31 Hob XVI.46) et de Mozart (rondo en la mineur K. 511). Si l'écrivain a publié Vies de Haydn, Mozart et Métastase en 1815, le choix de ces musiques par rapport aux textes récités ne révèle peut-être pas autant de corrélation que dans les derniers concerts-lectures, il reste toutefois une illustration attrayante.

Dimanche 21 mai, 19 h 30

Chœur du Patriarcat russe de Moscou. Photographie © D. Drouet.

Au concert de clôture à l'abbatiale, nous entendons des grandes pages du grand répertoire vocal russe par le chœur du Patriarcat russe de Moscou sous la direction d'Anatory Grindenko. Les voix émises selon une technique particulière, qui semble solliciter la corde vocale de manière serrée, résonnent cependant pleinement, dotées d'une puissance impressionnante. Des pièces a cappella de Tchaïkovski et Rachmaninov, et Ivan Gontcharov (1812-1891) pour les connaisseurs de la musique russe, mais aussi de Pavel Tchesnokov (1877-1944), Georgy Sviridov (1915-1998), Anatoly Novikov (1896-1984) et Igor Matvienko (né en 1960) constituent cette soirée, toutes d'une polyphonie ou d'une harmonie plus ou moins épaisse chantées avec grande vigueur. La festivité se prolonge après le concert : lors de la réception de clôture, les chanteurs entonnent quelques pages pour partager un moment convivial avec les invités.

 Strapontin au Paradis
24 juin 2017
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