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Dijon, 13 mars 2016, par Eusebius ——

La question à ne pas poser dans la famille Bach : père ou fils ? Un concert du Café Zimmermann

Café Zimmermann en répétition. Photographie © Café Zimmermann.

On aime Café Zimmermann, tout autant qu'Andreas Staier et Céline Frisch. Quant aux Bach, père et fils, poser la question est superflu. Trois pièces du père, deux de Carl Philipp Emanuel, et une de Wilhelm Freidemann vont nous entraîner du baroque au Sturm und Drang, pour notre plus grand bonheur.

Le concerto pour violon en la mineur, BWV 1041, bien connu, surprend par sa simplicité. Tant le soliste que les cordes et le continuo le jouent de façon humble, sans jamais solliciter le texte, lui conférant une singulière fraîcheur. L'allegro moderato est pris enlevé, léger, souple et bondissant, avec des contrastes sans excès. L'andante avance, évident, simple pour un finale allegro assai, pris effectivement très allant. Le fini et l'homogénéité de chaque pupitre emportent l'adhésion, particulièrement le continuo, qui sous-tend cette dynamique rare. Suit le concerto pour deux clavecins en do majeur, BWV 1061, réduit à ceux-ci, ce qui ne nuit pas, dans la mesure où la partie d'orchestre est si secondaire que beaucoup doutent qu'elle ait pu être de Bach. Ce serait certainement admirable si c'était audible1. La première partie s'achève sur le concerto pour violon et hautbois en do mineur BWV 1060 R2. Il s'agit de la reconstruction d'une œuvre que l'on présume à l'origine du concerto pour deux clavecins dans la même tonalité. Il est parfois confié à deux violons, et on se prend à préférer cette version. La raison en est simple : le hautbois baroque, magnifique, sonne d'une tout autre manière que le violon, monté en boyaux, et le déséquilibre est constant entre les deux instruments. Cette réserve ne doit pas occulter notre plaisir. Les timbres sont splendides, tout comme l'articulation et le phrasé. L'adagio surprend, les pizzicati de l'orchestre, très appuyés, transforment le bercement en une danse quelque peu triviale. La dynamique est bien présente tout au long de l'allegro final. Les oppositions sont claires, les traits remarquables, avec l'articulation idéale.

L'entracte arrive, qui permet de s'interroger sur le projet. Pourquoi avoir programmé le père durant toute la première moitié du concert, alors que ç'aurait pu être l'occasion de donner une œuvre de Johann Christian, et/ou  une de Johann Christoph Friedrich, dont il reste tant à découvrir.

Céline Frisch. Photographie © Céline Frisch.

La seconde parte nous ravit de bout en bout. L'adagio et fugue en mineur, F 65, de Wilhelm Friedemann est encadré par une sinfonia et un concerto de Carl Philipp Emanuel.  Commençons donc par lui. Pour deux flûtes et cordes, c'est une œuvre forte, magistrale3. Les sanglots de l'adagio, auxquels nous ont habitué des lectures  très expressives, sont retenus, pudiques. Les dissonances, habituellement accusées, sont ici très douces. La beauté est là, ménageant aussi le fort contraste avec le sujet impérieux de la fugue. Remarquablement construite à l'orchestre, elle nous emporte, toujours claire, impérieuse,  très proche de l'esprit de celle en ut mineur, pour deux pianos, K 426, de Mozart. Un très grand moment. Peut-être le sommet de ce concert.

La Sinfonia en fa majeur Wq 183/3, écrite en 1776 par Carl Philipp Emanuel, nous plonge dans ce romantisme allemand le plus authentique, prémonitoire de ce qui envahira le continent cinquante ans plus tard. L'orchestre s'est enrichi des flûtes, des bassons, des cors, dont les couleurs vont nous réjouir. L'allegro di molto, tourmenté, nous surprend toujours autant, par sa versatilité, par ses modulations hardies. Jamais l'intérêt ne s'estompe. Le larghetto où l'orchestre répond à des duos de solistes, le presto final, festif, développé, avec ses « trois pour deux »  nous font regretter que l'œuvre des fils de Bach, bien que davantage jouée, soit toujours occultée par l'ombre du père. Le concerto pour deux clavecins (claviers ?) en fa majeur , Wq 46, est une ambitieuse composition4.  Les instruments, mieux placés, autorisent un équilibre parfait. La richesse de l'écriture pour clavier permet de mesurer le chemin parcouru en une génération. L'orchestre incisif, parfaitement homogène, clair, est le partenaire idéal. Le largo, avec sourdines, est aussi émouvant que les mouvements lents des concertos de Mozart, tendre, attristé, mélancolique. Le finale, allegro assai, enjoué, brillant, riche d'invention, d'une écriture dramatique efficace nous vaut un superbe développement.

Café Zimmermann se situe au plus haut des formations baroques, très engagé, réactif, aux superbes modelés, aux accents toujours justes. Andreas Staier, et son ancienne disciple, Céline Frisch, nous ont donné une très belle leçon : les fils méritent une attention égale à celle du père !

Eusebius
13 mars 2017
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1. Présenté clavecins face à face, le second privé de son couvercle, de sorte que les musiciens puissent s'entendre parfaitement, l'exécution intégrale était difficilement perceptible du 8e rang… Le mouvement lent, repris en bis, dans une tout autre disposition , les instruments ouverts de sorte que le son soit projeté vers la salle, apportera la preuve que ce placement autorisait une bien meilleure écoute. Les instruments sont des copies de clavecins construits par Mietke, vers 1710 à Berlin.

2. Le programme n'indique pas les noms des solistes de Café Zimmermann ; ils le méritaient amplement. Le violoniste était Pablo Valetti, violon solo de l'ensemble, quant au hautboïste, il demeure anonyme.

3. L'œuvre fut réemployée comme introduction à une cantate d'anniversaire de Frédéric II (1758).

4. Unique  concerto pour deux clavecins laissé par Carl Philipp, alors que sa production de concertos pour clavecin est importante. Signalons qu'il laissa aussi un concerto pour clavecin et piano-forte.

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