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Dijon, Auditorium, 5 mars 2017, par l'Ouvreuse ——

Gershwin guère swing

Claron McFadden. Photographie © Sacha de Boer.

Plus une place, mon amie la Comtesse — qui n'avait pas réservé — n'a pu entrer qu'à la faveur de la revente d'un billet, suite à une défection. Comment résister à la magie Gershwin ?

L'orchestre, en grande formation, joue sur instruments d'époque (cordes montées en boyaux, bois et cuivres de la première moitié du xxe siècle). Dès les premières notes de Catfish Row, on s'interroge : les riffs de cuivres sont bien ternes. C'est plat, sans accentuation ni effet. Où est l'agressivité des passages qui la requièrent ? Le début de Porgy Song serait-il du Grieg ? C'est aseptisé, introverti. La fugue, seule partie à prétention classique, est scolaire, jouée comme un exercice de Théodore Dubois. La direction appliquée de Jos van Immerseel,  le nez dans la partition, veille à assurer le tempo, et quelques départs. C'est tout. Ni phrasés, ni accents. C'est ennuyeux. On ne lui demande pas d'imiter Lennie, mais l'a-t-il seulement vu diriger ?1.  Le Hurricane renoue à la fois avec la musique de film et, d'une certaine manière, la musique baroque. Good Morning, qui conclut, ne parvient pas à nous tirer de la somnolence, malgré de beaux bois.

Un Américain à Paris est parfaitement en place, les cuivres ont trouvé un peu de mordant, tout comme les saxs. Seule la fin nous réconcilie.  Le chef est totalement étranger à l'esprit du music-hall. Le sourire est aux abonnés absents (seuls une altiste, le violon solo, les saxs et la trompette solo semblent parfois s'amuser). Le swing flamand est anémique, sans calcium, comme la chanson des Frères Jacques.

L'oiseau ne chanterait-il bien que dans son arbre généalogique  (ainsi qu'aimait le dire Milhaud) ? C'est évident lorsqu'on écoute Claron McFadden, tombée très jeune dans le chaudron du  jazz, chez sa grand-mère. Hélas, la formule vaut aussi pour la direction de Joss van Immerseel. À  l'écoute de Musica Eterna, on pense à un robuste et propret intérieur flamand, comme la peinture nous en a tant donnés, avec les fumets de waterzoï.

On attendait la soprano américaine, que l'on apprécie tout particulièrement pour ses interprétations de musique baroque et contemporaine. Un micro sur pied est à sa place, avant son entrée. Sa voix serait-elle insuffisante ? Ou veut-on nous rappeler qu'à Broadway les voix étaient amplifiées ? Quatre songs, les deux premiers bien connus  (The Man I Love, et I Got Rhythym) comme l'immortel Summertime donné en bis. D'emblée les équilibres, la balance sont déréglés : l'orchestre en grande formation joue plein pot, ignorant la soliste, injustement écrasée. Pourtant les moyens, extraordinaires, sont bien là. La démonstration nous en sera donnée puisqu'elle s'éloignera à bonne distance latérale de ce micro, devenu inutile, pour le plus grand bonheur du public. « My Man's Gone Now », de Porgy and Bess, est un bijou rare : la ligne vocale est admirable, lyrique à souhait, et, enfin, parfaitement audible. By Strauss,  sympathique clin d'œil aux valseurs, est toujours dénué du moindre humour, seul le chant nous fascine. Dans Summertime2, Claron McFadden déploie tout son art, avec naturel et simplicité. La voix est longue, chaude, les aigus soutenus, conduits pianos, lumineux, les graves solides, bien timbrés. C'est un régal. Les longues acclamations d'un public sous le charme ne trompent pas. C'est le sommet du concert.

Pour finir, la célébrissime Rhapsody in Blue, mais dans une version rare : celle de Ferde Grofé et Paul Whiteman, de 19243. L'orchestre symphonique est remplacé par un riche big band, où les cordes  sont réduites. Les réserves émises plus haut gardent leur pertinence : les musiciens sont engagés, mais le balancement est empesé. Le pianiste, Bart van Caenegem, joue un grand Steinway contemporain de l'œuvre4. Le timbre le distingue nettement d'un piano contemporain. Si la puissance et la rondeur des graves est moindre, c'est surtout la sonorité du médium et de l'aigu qui nous ravit. Le jeu du pianiste est fluide, coloré, virtuose. Sa liberté est impressionnante, les déhanchements, les hésitations, les suspensions nous tiennent en haleine, même si le discours est connu. Les lignes sont claires, le rythme vrai, vécu, à la différence de l'orchestre.

Un enregistrement suivra. À défaut de l'esprit du music-hall, souhaitons seulement que Jos van Immerseel se souvienne des fêtes et danses paysannes qu'ont peintes les Brueghel. Il devrait se déboutonner, oublier sa raideur, boire un peu pour nous donner la joie et un peu d'ivresse. Le chef ne s'est-il pas fourvoyé ? Bruges n'est pas Broadway.

L'Ouvreuse
6 mars 2017

1. Leonar d Bernstein, quelque orchestre qu'il dirige, en communion avec ses musiciens, leur donnait ce supplément d'âme qui les galvanisait ;

2. aller sur l'onglet medias de son site https://www.claronmcfadden.com ;

3. https://www.harmoniamundi.com/media/pdf/HMU907492.pdf;

4. Comme à l'accoutumée, l'orchestre fait appel à des instruments contemporains de l'œuvre. Le trompettiste nous a expliqué que les partitions originales de Gershwin sont  notées de façon très traditionnelle (il donne un exemple de charleston) pour être jouées comme telles et non pas comme ce que  les jazzmen en ont fait, même si c'est admirable. Faut-il y voir le parti pris de Jos van Immerseel ?

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