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Propos recueillis par Jean-Luc Vannier, mai 2017 ——

Entretien exclusif : Pejman Memarzadeh et l'orchestre symphonique de Téhéran

Shahrdad Rohani, chef titulaire de l'orchestre symphonique de Téhéran. Photographie © Hossein Hajjibabaei.

Composé de 75 musiciens dont 25 femmes, l'orchestre symphonique de Téhéran, interdit d'activité de 2011 à 2014, a invité cette année le maestro franco-iranien Pejman Memarzadeh. Avant de lui donner la parole dans un entretien exclusif, nous avons pu rencontrer lors d'un séjour dans la capitale iranienne deux des musiciens de l'orchestre placé sous sa direction : la violoncelliste Honeye Kazerooni et le violoniste Erfan Vakili. Tous deux membres, depuis 3 ans, de cette phalange musicale comprenant aussi des instrumentistes venus de Shiraz et de Tabriz, Honeye Kazerooni et Erfan Vakili ont connu des parcours différents : la violoncelliste est arrivée d'Australie en Iran à l'âge de 7 ans pour des raisons familiales. Si elle a appris la musique dans le cadre d'un institut privé, Erfan Vakili a, pour sa part, suivi le cursus de l'une des deux principales écoles musicales qui dispensent les cours pour les enfants et adolescents de 11 à 18 ans. Le violoniste est par surcroît un compositeur, principalement de Dastgâh, tout en cherchant à proposer une orchestration plus contemporaine des mélodies iraniennes traditionnelles. Sous la conduite de leur directeur musical, Shahrdad Rohani, l'orchestre symphonique de Téhéran a réalisé au début de l'année 2017 une tournée dans le sud de l'Iran : Bouchehr, Abadan – avec « 4000 personnes réunies dans un stade » précisent les musiciens —, Assalouyé, Ahwaz. Et ce, avec un programme mêlant répertoire classique et musiques de films (Gladiator, Gone with the wind, Pink Panther…). Ainsi que l'expliquent Honeye et Erfan, « une grande part du public, plutôt âgé, participait pour la première fois à un concert ». Un orchestre où, malgré des clichés occidentaux de la société iranienne, « ne surgit aucune blague sexiste vis-à-vis d'une femme musicienne » et ce, contrairement à certains cas français.

Évoquant la direction du chef invité Pejman Memarzaeh dans un programme classique, les deux instrumentistes parlent d'une conduite « très chorégraphique », « très expressive aussi dans sa gestuelle », « plus tournée vers les cordes que vers les bois lesquels étaient moins satisfaits que nous ». Une direction, ajoutent-ils, « plus technique et didactique » par exemple dans le 3e mouvement de la IVe Symphonie de Félix Mendelssohn, alors que l'approche de la Pavane pour une infante défunte et celle du Cantique de Jean Racine de Gabriel Fauré, « font davantage appel à un discours émotionnel » et « à une direction plus souple, plus aérienne ».

Violoncelliste de formation, Pejman Memarzadeh s'est engagé dans la direction d'orchestre au fil de ses multiples rencontres et expériences musicales. Fondateur de l'Orchestre des Musiciens de la Prée devenu en 2009 Orchestre de l'Alliance, il est depuis 2000 le directeur artistique et musical de cet ensemble avec lequel il a donné de nombreux concerts à travers le monde.

Musicologie : vous avez dirigé, comme chef invité, l'orchestre symphonique de Téhéran : quel en est votre principal souvenir ?

Pejman Memarzadeh : Tout d'abord, je garde un merveilleux souvenir de cette collaboration qui a été à la fois pleine d'émotion et aussi un choc pour moi. Émotion, car je travaillais pour la 1re fois avec des « compatriotes », une sorte de retour aux sources. C'était singulier car bien qu'étant d'origine iranienne et, à ce titre, considéré comme un Iranien, je suis aussi perçu par eux comme un Iranien étranger… Une sorte d'hybride culturel ! Choc car en effet, j'ai constaté que l'âge moyen des membres de cet orchestre était de 25 ans ! Quelle jeunesse, quelle passion et quel enthousiasme… Ce qui m'a le plus touché, c'est que comme nous donnions plusieurs œuvres que ce jeune orchestre n'avait pas encore jouées dans un temps de répétition toujours court, ils m'ont demandé si l'on pouvait prolonger la dernière répétition afin d'avoir le temps de tout maitriser.

Musicologie : de l'Iranien ou du Français, laquelle des deux influences culturelles marque, selon vous, l'esprit et le style de votre direction ?

Pejman Memarzadeh : Je pense que mes origines iraniennes ont nourri un amour et une fascination renforcée et fantasmée de l'altérité et de la différence. Elles me donnent peut-être un plus grand recul et un regard qui retourne à l'essentiel de ce qui m'a frappé dans les différentes esthétiques de la musique occidentale quand elle s'est révélée à moi à l'adolescence.

Pejman Memarzadeh. Photographie © Hossein Hajjibabaei.

Musicologie : Quelle a été votre inspiration pour définir le programme musical lors de votre passage en Iran?

Pejman Memarzadeh : Mon choix s'est tout naturellement porté vers la musique française pour la 1re partie et j'ai souhaité y ajouter la dimension de la langue en proposant d'adjoindre les chœurs symphoniques à l'orchestre. C'était important pour moi de promouvoir la France et sa spécificité car étant arrivé à l'âge de 5 ans en France et y ayant effectué une très grande partie de mes études, je me considère Français. C'est pourquoi j'ai choisi deux œuvres emblématiques de Gabriel Fauré : la Pavane (sur un poème de Robert de Montesquiou) et le Cantique de Jean Racine (!). Toutes deux possèdent une langue extraordinaire que j'ai eu le plaisir d'expliciter et de faire travailler au chœur. Cela les a passionnés. Cette proposition a été acceptée avec enthousiasme par la direction de l'orchestre et par son chef titulaire Monsieur Shahrdad Rohani.

Musicologie : Quelles impressions vous ont laissées les musiciens de l'orchestre symphonique de Téhéran ?

Pejman Memarzadeh : Une excellente impression d'un ensemble très doué, particulièrement à l'écoute, avec de fortes potentialités, une capacité d'apprentissage et de mise en œuvre extrêmement rapide. Les deux seules réserves concernent la qualité des instruments, en particulier, les bois et les cuivres très anciens, qu'ils jouent et parfois aussi les limites liées à la formation de haut niveau avec malheureusement peu de choix de professeurs — bien qu'ils soient très méritants — et de trop rares possibilités d'études à l'étranger pour se perfectionner.

Musicologie : Quelles difficultés avez-vous, éventuellement, rencontrées dans le travail des répétitions aussi bien que dans l'exécution du concert?

Pejman Memarzadeh : Bien sûr, nous avons passé plus de temps à l'apprentissage des textes en français, et très rarement des soucis durant les répétitions dans les seconds pupitres des vents très jeunes et donc peu expérimentés ; mais je n'ai pas rencontré de difficultés tellement différentes de celles que nous connaissons en Europe.

Musicologie : Entre attachement au répertoire traditionnel et découverte de la musique classique européenne, comment avez-vous perçu le « désir » des musiciens de l'orchestre symphonique de Téhéran ? Et celui du public ?

Pejman Memarzadeh : Alors effectivement, je me suis demandé comment, dans un système politique et éducatif parfois réservé envers ce qui est considéré comme symbole de l'occidentalisation, il y avait une telle appétence et une profusion de talents étonnants. Je crois que c'est lié à une relation forte, une attraction indéfectible à la culture occidentale et un lien civilisationnel ancien et profond.

Musicologie : Avez-vous dû modifier, voire adapter le style de votre direction afin de mieux communiquer avec l'orchestre ?

Pejman Memarzadeh : Oui j'ai dû parler persan, ce qui a parfois montré mes limites linguistiques et généré de l'amusement, des rires et de la sympathie et m'a aussi permis de faire quelques progrès dans ma langue maternelle.

Musicologie : La jeunesse des musiciens de l'orchestre symphonique de Téhéran est-elle, selon vous, un avantage ou un inconvénient ?

Pejman Memarzadeh : Elle est un réel avantage en termes de flexibilité, d'ouverture, d'enthousiasme et simplement un frein puisque beaucoup découvrent le grand répertoire durant les premières répétitions.

Musicologie : Quel est votre sentiment sur le développement de la culture musicale en Iran ? Avez-vous d'autres projets en Iran?

Pejman Memarzadeh : Si la musique classique existe aujourd'hui c'est pour deux raisons : un amour profond, une réelle appropriation et une volonté de la faire vivre et vibrer cette musique qui n'était pas l'origine la leur mais celle de l'Europe. C'est aussi un combat pour la liberté de choix, de vie, de pratique artistique. C'est pourquoi faire de la musique classique en Iran est encore un acte résolument engagé à deux titres. Je reste donc très attentif et disponible pour accompagner ces artistes et les jeunes Iraniens en particulier de toutes les manières dont je le pourrais. Idées de master-classes, nouvelles collaborations avec l'orchestre, aide pour obtenir des bourses leur permettant d'étudier à l'étranger… Les autorités culturelles iraniennes connaissent bien mon travail, et maintenant que le peuple s'est largement prononcé pour la poursuite de la politique d'ouverture, il semble possible de continuer dans la bonne direction.

Musicologie : Entre le violoncelliste, le chambriste et le maestro, où vous situez-vous véritablement? Comment entendez-vous concilier votre travail de direction, en France, de l'orchestre de l'alliance avec vos futurs engagements? 

Pejman Memarzadeh : Toutes ces pratiques me nourrissent et je crois que je ne peux pas me passer de ces différentes expériences qui me font garder mon exigence grâce à la prise de risque régulière de la scène. Quand je donne les sonates pour violoncelle de Strauss et Grieg en concert avec Maxence Pilchen ou Guillaume Vincent, que je partage la scène avec mes « vieux » copains de la Philharmonie de Berlin Simon Bernadini ou  Mathieu Dufour (nouvelle flûte solo), je maintiens des relations d'artistes à artistes précieuses et enrichissantes qui me sont utiles pour la direction. À l'inverse, le fait de travailler l'architecture de partitions d'orchestre et de diriger des musiciens chevronnés en tant que chef me fait prendre aussi la bonne distance dans mon approche instrumentale. Je pense que dans le domaine culturel et musical, on ne peut présager de rien et on ne peut tout contrôler. Je porte mes projets artistiques et humains avec passion et enthousiasme et j'essaie de les mener à bien le mieux possible. Si je peux à la fois les réaliser et être utile pour les jeunes, pour une meilleure cohésion sociale ou la relation franco-iranienne grâce à la musique, je m'en réjouirais profondément. C'est en tout cas le sens de mon engagement.

Orchestre symphonique de Téhéran. Photographie © Hossein Hajjibabaei.

Propos recueillis par Jean-Luc Vannier
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Vendredi 3 Novembre, 2023