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17 mars 2017, par Strapontin au Paradis ——

Alexandre Kantorow, Aurélien Pascal, Andrew Tyson au couvent des récollets de Paris

Alexandre Kantorow et Aurélien Pascal, tous les deux issus de familles de musiciens, font partie des jeunes interprètes français les plus en vue. Quant à Andrew Tyson, que certains ont déjà découvert en compagnie du violoniste Benjamin Beilman au cours de la saison dernière à l'auditorium du Louvre, il nous surprend par une interprétation personnelle, voire atypique. Ces deux concerts à l'ancien couvent des Récollets créent une bouffée d'air frais dans le paysage musical parisien déjà fort rempli.

Concert du 27 février 2017 : Alexandre Kantorow (piano) et Aurélien Pascal (violoncelle)

Alexandre Kantorow (piano) et Aurélien Pascal (violoncelle). Photographie © D. R.

Nos lecteurs connaissent déjà Aurélien Pascal, chacun de ses concerts suscite toujours émoi et admiration. Alexandre Kantorow, qui n'a pas encore 20 ans, a déjà derrière lui une carrière de concertiste, se produisant en récital et avec orchestre, à la Folle Journée de Nantes et de Varsovie, à la Fondation Louis Vuitton et dans toute l'Europe, en Amérique du Sud et en Asie, avec notamment la Sinfonia Varsovia, l'Orchestre National des Pays de la Loire, l'orchestre Philharmonique Royal de Liège, l'orchestre de Genève…

Ils commencent par une œuvre encore trop rare aux concerts : la sonate pour violoncelle et piano no 2 de Nikolaï Miakovski (1881-1950). D'une virtuosité évidente et d'un lyrisme pénétrant, les deux jeunes hommes explorent toutes les facettes de cette œuvre en la mineur et en trois mouvements : Allegro moderato, Andante cantabile et Allegro con spirito. Composée juste après la Seconde Guerre mondiale de 1948 à 1949, mais profondément imprégnée du romantisme tardif, la sonate se prête à une exaltation émotionnelle intense, que nos musiciens réussissent merveilleusement à mettre en avant.

Ensuite, Alexandre Kantorow apparaît en solo pour deux pièces : L'Oiseau de feu dans la transcription pour piano de Guido Agosti, et Méditation, opus 72, no 5 de Tchaïkovski. Toutes les transcriptions de Guido Agosti exigent un haut degré de perfectionnement technique et il n'est pas offert à tout le monde de les jouer, tant la difficulté est redoutable. Mais Alexandre Kantorow joue la partition avec une dextérité et précision saisissantes, sans aucune fausse note, pas une seule. Il se concentre ainsi exclusivement sur l'expression, tantôt effrénée, tantôt rêveuse, et les couleurs qu'il donne à la musique de Stravinsky sont telles qu'on visualise clairement les scènes du ballet comme si elles se déroulaient devant nos yeux. Après cet exploit coloré, place à la délicatesse, avec la Méditation de Tchaïkovski. Deux pièces aux caractères diamétralement opposées, et Kantorow passe de l'un à l'autre le plus naturellement du monde, faisant montre de sa maturité musicale étonnante.
Pour terminer le concert, Aurélien Pascal rejoint de nouveau le pianiste pour la sonate de Chostakovitch. Un dialogue harmonieux entre les deux instruments, une interprétation hautement inspirée, une performance technique toujours éblouissante… Difficile de trouver des défauts et on se demande même comment ils vont jouer lorsqu'ils auront 30 ans de carrière…

Concert du 3 mars 2017 avec Andrew Tyson (piano)

Andrew Tyson aux Recollets. Photographie © D. R.

Ce jeune Américain n'est pas encore très connu en France, mais un grand mélomane amoureux du piano se devrait de l'avoir entendu, en concert ou en disque. Il met sa gigantesque technique au service d'une expression souvent inhabituelle, dicté par une inspiration qui n'appartient vraiment qu'à lui. Il crée ainsi un univers très personnel, mais ce n'est ni pour chercher la sensation ni pour se démarquer à tout prix des autres ; on sait tout de suite que cela est la manifestation naturelle de la musique qu'il habite, rien ne choque donc malgré une certaine extravagance apparente.

Au début du récital, il aborde les deux sonates de Scarlatti (K9 et K96) avec une approche totalement pianistique, sans aucune référence au clavecin. Le frôlement des doigts dans la première sonate, le ralentissement sur certaines cadences, utilisation de pédale forte pour enrichir la sonorité et pour modifier l'effet acoustique, changement de tempo inattendu… Son interprétation attise notre curiosité et sans nous en rendre compte, nous la superposons intérieurement sur un jeu au clavecin. Nous sommes alors étonnés de la richesse de cette musique qui supporte une telle transformation — tout comme celle de J.S. Bach —, mais aussi la liberté qu'un interprète peut prendre à partir d'une partition.

Et nous constatons bien entendu le talent du pianiste qui traite Scarlatti avec autant de romantisme.

Les Miroirs de Ravel accentuent davantage ces constats. À la fois intuitif et construit de façon méticuleuse, son jeu est parsemé d'idées originales, allant de la matière sonore au tempo (particulièrement rapide pour Alborada del gracioso). Mais son dynamisme et son énergie, admirables, dérèglent rapidement et de manière flagrante le délicat piano Steingraeber, si bien que dès le début des préludes de Chopin, on entend certaines notes à un diapason nettement baissé, provoquant un désagrément auditif assez conséquent. Au cours de 24 courtes pièces, Andrew Tyson met souvent en valeur la voix médiane et des lignes secondaires, voire des notes de passages, redessinant ainsi la musique de Chopin tout à fait autrement. Quelques exemples : mise en relief de notes aiguës des accords alors que ces notes ne constituent aucunement une ligne mélodique (la mineur) ; création d'une mélodie là où il n'y en a pas (mi♭) ; changement de tempo marqué pour « un poco più mosso » (♯ré♭) ; alternance en octave des mains gauche et droite pour un passage de gamme-arpège en unisson (si♭ mineur)… Autant dire qu'il affirme totalement sa sensibilité personnelle, exubérante, mais attentive, ce qui fait la force de son jeu.

 Strapontin au Paradis
17 mars 2017
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