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Vulgaires, Tchaïkovski et Verdi ?1 : Les Dissonances et David Grimal

David Grimal. Photographie © J.-L Atlan.

Opéra de Dijon, Auditorium, 26 mai 2016, par l'Ouvreuse

« Tchaïkovski est à la musique ce que le roman-photo était à la littérature ». La Comtesse, péremptoire, aurait-elle oublié qu'elle jouait fort bien quelques pages des Saisons, et qu'elle y allait de son pleur dans La dame de pique et Eugène Onéguine ?  Je suis cependant parvenue à l'entraîner au concert, où, par chance, elle a obtenu une des dernières places, car le public emplissait le vaste auditorium, auquel plus d'un a dû renoncer. David Grimal et ses Dissonances nous proposent son redoutable concerto pour violon, suivi de sa quatrième symphonie, plus rare que la Pathétique, introduits par l'ouverture de La Forza del destino, de Verdi. Programme plus cohérent qu'il n'y paraît : si c'est au Théâtre impérial de Saint-Pétersbourg que ce dernier ouvrage fut créé (en 1862), c'est avant tout le destin, si profondément ancré  dans l'âme russe, qui unit les trois œuvres. Les affinités ou similitudes ne s'arrêtent pas là : aux cuivres et bassons, à l'unisson (mi), et leur triple appel répété au début de l'ouverture de Verdi répondent les cors et bassons, rejoints par tous les vents (mi bémol) de l'andante sostenuto de la 4e de Tchaïkovski.

Dans l'opéra de Verdi, le destin accable le malheureux métis, qui bien que fils d'une princesse inca, ne peut épouser la belle Leonora, fille du marquis de Calatrava. L'ouverture donne au drame sa pulsion primitive. Deux options opposent généralement les interprétations : la puissance et la dynamique lorsqu'on est à la scène, le beau son, le raffinement au concert. Qu'allait-il en être ? Bien que familière des Dissonances, je me pose la question à  chaque concert : comment diable font-ils pour obtenir, sans chef,  ces départs, ces incises aussi nettes, ces phrasés aussi souples avec des tempi toujours mouvants ? Rien ne permet d'imaginer que l'orchestre travaille seul tant les enchaînements, les envolées, les emportements, les contrastes allient la force à la transparence.

Tchaïkovski constitue un cas singulier dans le panthéon musical. Une sorte d'énigmatique malaise entoure le créateur et son œuvre. Adulé par ses fidèles, apprécié par le plus grand nombre, méprisé ou abhorré par ses détracteurs2. Le concerto pour violon de Tchaïkovski, comme ceux de Beethoven, de Mendelssohn ou de Brahms, est dans toutes les oreilles. Avant même le premier mouvement, rien que l'accord du violon de David Grimal en dit long sur la promesse qui va se réaliser : la plénitude, l'égalité des registres, une virtuosité époustouflante mais jamais ostentatoire, et surtout un son à nul autre pareil. Au premier mouvement, exigeant en diable, nous préférons le deuxième, la canzonetta, où la mélancolie du violon, avec sourdine, emporte l'adhésion (les ponctuations de cors, le jeu des bois…). L'enchaînement, bien que connu, nous surprend par l'art que met l'orchestre à ménager son attente avant l'accord éclatant qui marque le début du finale.

Des deux bis qu'appelle un public enthousiaste, retenons l'andante de la 2e sonate en la mineur de Bach (BWV 1003), en doubles cordes, avec ses notes répétées à la basse, d'une plénitude rare, que nous offre David Grimal : après les déchaînements du concerto, un moment de grâce.

La quatrième symphonie répond à un programme, décrit par le compositeur à sa dédicataire, Madame von Meck. En l'oubliant, comme on retire l'échafaudage qui a permis une construction, on ne perd rien, croyons-nous : nous avons perdu l'habitude de rechercher une signification littéraire à la musique symphonique3. Les sonneries de cuivres qui ouvrent le premier mouvement donnent le ton : la force du destin conduit à la résignation, attristée, accablée, douce, rêveuse ou chargée d'espoir, assortie de nombreux contrastes. Puissant et remarquablement construit, ce premier mouvement en impose, même si ma voisine trouve que la grandiloquence n'est pas la grandeur. Alors que cette musique appelle trop souvent des épanchements, jamais les Dissonnances ne s'y vautrent, toute vulgarité est gommée. La fatigue mélancolique de l'andantino nous vaut le beau chant du hautbois, imité par le violoncelle puis par le basson. Les interjections des bois sur le chant des premiers violons sont délicieuses. Pris très rapide, le scherzo, malicieux, avec les élégants pizzicati des cordes, contrastant avec les bois braillards et les cuivres faussement martiaux, respecte plus scrupuleusement que jamais les nuances, qui lui donnent une extraordinaire vie joviale. Enfin, le finale nous fait rencontrer la joie, la liesse, à travers le thème bien connu « dans le champ un bouleau se dresse »4, varié àsouhait, avec le rappel de celui du premier mouvement.

Les applaudissements intempestifs, même s'ils peuvent gêner le public comme les musiciens, traduisent bien cette spontanéité sympathique, enthousiaste, dont font preuve de nombreux auditeurs. La péroraison finale n'est-elle pas redondante ? Rarement les acclamations finales ont été plus chaleureuses, plus nourries et plus longues d'un public transporté. Le même programme le 27 mai à Caen, puis le 30 à Paris (Philharmonie). À noter : s'il y a encore des places…5

L'Ouvreuse
27 mai 2016

1. Vulgaire, Tchaïkovski ? C'est la question que posait son neveu, Vladimir Volkoff, en introduction à une passionnante biographie (traduction française publiée par Julliard en 1983).

2. La Comtesse, vous le savez, mais  aussi, par exemple, Vladimir Fedorov, qui écrit : « Tchaïkovski, avec le sans-gêne et l'insistance des faibles, nous convertira à l'utilité et à l'intérêt des confidences totales d'une âme, même médiocre » (in Interférences, dans Musique russe, I, PUF, 1953).

3. « Tchaïkovski n'a jamais su rien peindre en musique : il a toujours transposé des échos personnels, plus ou moins fidèlement. Grâce à cette infidélité, emporté par son génie, sur de faibles arguments, il a composé de très grandes musiques » Michel R. Hofmann, Tchaïkovski, 1959

4. Cité par Volkoff (p. 356), Tchaïkovski  écrit « Depuis ma première enfance, j'ai été sensible à l'inexprimable beauté de la musique folklorique russe, j'aime passionnément l'élément russe dans toutes ses expressions, bref, je suis Russe de pied en cap ».

Danse traditionnelle russe sur « La chanson du Bouleau », dont un thème est utilisé par Tchaïkovski dans le final de sa quatrième symphonie.

5. La saison prochaine des Dissonances est prometteuse : Ravel en octobre, Schumann et Bruckner en janvier, enfin Bernstein et Bartók (dont le concerto pour orchestre) en  avril.

 

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bouquetin

Samedi 28 Mai, 2016 0:11