Comme dans un jeu oulipien, on pourrait décider d'aller sur toute la semaine du festival JSLP ne voir que les trios, ou que les concerts de 18h... Ou alors pour éviter les aller et retour, tous les concerts d'une journée en passant par des lieux différents, pour trancher dans les horaires simultanés. Ce que j'ai tenté, donc, et presque réussi. Car ce vendredi se déroulait sur sept lieux différents, avec le chapiteau « amateurs » et la cave des Unelles pour le bœuf matinal vers 2h.
Airelle Besson et ses invités en concert au jardin. Photographie © Alain Lambert.
D'abord un jardin, pour Airelle et les oiseaux. Pas le trio norvégien de Daniel Herskedal, mais ceux d'un grand jardin privé aménagé pour ce concert surprise. Il fait doux. La trompettiste Airelle Besson, dont la résidence est prolongée d'un an, en fin de résidence, s'est, comme d'habitude [voir notre chronique, et la prochaine à venir, du cédé], trouvé des musiciens avec qui la musique devient évidente, pour ne pas dire naturelle, ici bucolique. Dans les silences, ou parmi les chuchotements du tuba et les cascades du piano, les oiseaux trillent à qui jouera le mieux. Et ça ajoute au concert, tout comme les cloches de midi qui s'intègrent en douceur à cette musicalité toute en nuance. Il faut préciser que le tubiste joue très bien aussi de la trompette basse, et avec Espen Berg au piano, et Eric Nylander, à la batterie, le trio est singulier. Mais ici, pour les spectateurs matinaux, il restera un quatuor mémorable.
Le Trio Wollny au Magic Mirror. Photographie © Alain Lambert.
Le Magic Mirror, c'est la galerie des glaces de l'ère démocratique. Dehors, il fait grand jour, mais dedans, c'est l'ambiance nocturne [voir notre chronique] du dernier album du pianiste Michael Wollny, en trio avec Eric Schaefer à la batterie, et Christian Weber à la contrebasse. Comme dans le concert entendu à Caen il y a trois ans, l'art du trio consiste à explorer des territoires sonores et musicaux qui vont du romantisme au free le plus échevelé, en passant par Satie le décalé et le swing bluesy. On peut trouver ça facile et fabriqué, ou se perdre, pendant une heure et demie, dans cet univers aux multiples facettes, comme le lieu, grâce au talent et à l'énergie des trois musiciens. Dehors, de retour au soleil, le batteur, ébloui, photographie, après avoir engagé une pellicule dans son reflex, la cathédrale qu'il a découverte dans un livre, plus jeune. Doublement content d'être ici, donc. Mais les concerts en France, c'est difficile (à trouver) !
The N.E.Q. ou le voyage en Corée. Photographie © Alain Lambert.
Ensuite, il faut dériver vers la salle de cinéma pour gagner, après la Norvège et l'Allemagne, la Corée du Sud, avec The N.E.Q. Un sax ténor brumeux et lyrique, une guitare atmosphérique qui peut sonner coréenne ou rockéenne, une batterie orageuse et grondante. Une voix, surtout, en apparence très traditionnelle, contrairement à Youn Sun Nah, présente au début du festival [voir notre chronique], et aussi prenante. La chanteuse, Yulhee Kim, parfaitement intégrée à l'univers sonore du groupe, joue aussi du tambour et d'un petit gong au son mat. En rappel, une chanson traditionnelle vieille d'au moins quatre cents ans. Le jazz, dans toute sa richesse cosmopolite et voyageuse.
Archie Shepp et le triple B. Photographie © Alain Lambert.Alors que les familles vont d'un spectacle de rue à un autre, la grande salle Marcel Hélie accueille d'abord le trio de Laurent Coulondre, ce pianiste schizophrène qui commence un morceau au piano pour le finir à l'orgue, ou l'inverse. D'où le titre du cédé. Du bon jazz, où les thèmes, sauf la ballade sous les pommiers, ressemblent souvent un peu aux impros.
Avant le Big Band de Lionel Belmondo, déjà vu à Caen l'an passé sans être vraiment emballé. Toujours en hommage à Coltrane, des arrangements de Lionel Belmondo, Simon Goubert à la Batterie, mais sans A Love Suprême. Et Archie Shepp en invité. Et ça change tout. Le vieux saxophoniste, quatre-vingts balais l'an prochain, s'il a la démarche un peu fragile pour gagner sa place, n'a pas de problème de anches, et n'a pas dit son dernier souffle. Le chef d'orchestre a bien du mal à l'arrêter. On retrouve ce son profond et raboteux de Blazé, toujours présent. Les arrangements à la Oliver Nelson le mettent bien en valeur. Et dans Olé ou Spiritual, c'est autant à Dolphy qu'on pense.
The Sky Dancers sous les projos. Photographie © Alain Lambert.
Le temps d'en discuter dehors, au soleil vespéral, et de s'installer au théâtre, pour la soirée père et fils. D'abord le quartet de Sébastien Texier, clarinettes et sax alto. Un groupe sans contrebasse, tiens donc ! Avec un organiste, Olivier Caudron, Pierre Durand à la guitare et Guillaume Dommartin à la batterie. Tous excellents, un son original et des compos de bon aloi.
Puis le père et le fils nous offrent un joli duo sur un vieux thème du papa, avant que le sextette Sky Dancers, le dernier projet d'Henri Texier, ne s'installe avec eux. Nguyen Lê à la guitare, Armel Dupas au piano, François Corneloup au baryton et Louis Moutin à la batterie. Les thèmes en hommage aux Indiens des Amériques permettent au compositeur de montrer qu'il sait toujours le faire, et arranger, et s'entourer de voix complémentaires, qui toutes jouent et improvisent avec bonheur, avec deux thèmes à quatre pour varier, dont un bel hommage à Paul Motian, He Was Just Shining.
Mais c'est peut-être avec le rappel, une reprise de Paco Atao, quand les mains nues du batteur sur les tambours retrouvent une sonorité ancestrale, et quand les variations de la ballade passent d'un instrument à l'autre, que le projet trouve son intensité la plus forte.
Il est minuit passé. Il fait encore dix-huit degrés dans les jardins de l'évêché où le dernier groupe « amateur », Doodofonk, joue ses dernières notes, visiblement très apprécié du nombreux public qui baguenaude sous les lampions et les tours de la cathédrale. Mon sixième lieu, de justesse. Mais je n'attendrai pas deux heures pour gagner la cave des Unelles. La route m'appelle. À l'an prochain.
La cathédrale enguirlandée. Photographie Alain Lambert.
Cette dernière photo en clin d'oeil amical à Eric, le batteur du trio Wollny. Les autres sont dépendantes de l'humeur du smartfou(n).
Alain Lambert
6 mai 2016
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Mercredi 9 Décembre, 2020