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Dijon, Auditorium, le 8 octobre 2016, par Eusebius,

Toute la magie ravélienne, avec Les dissonances

les DissonancesLes dissonances à Dijon, 8 octobre 2016. Photographie © E.

Le programme très classique, associant des œuvres célèbres, voire très populaires de Ravel1, la réputation des Dissonances, dont Dijon est un port d'attache, ont suffi à emplir le vaste auditorium. Même si on a toujours plaisir à retrouver ces pages, c'est un peu blasé que l'on aborde le concert, davantage motivé par la qualité de l'interprétation que par les œuvres elles-mêmes.

« Une chaîne de valses, à l'exemple de Schubert », écrira Ravel, à propos des Valses nobles et sentimentales, une sorte d'hommage à la valse d'un monde finissant. L'élégance, la légèreté, la désinvolture et la grâce le  disputent à d'audacieuses harmonies et à une magnifique orchestration. Dès le début, on sait que l'on va passer une excellente soirée. La dynamique de la première valse, avec de superbes bois, puis la douceur tendre, avec son balancement calme de la deuxième, d'une suprême distinction, où l'on entend L'enfant et les sortilèges en filigrane, nous enthousiasment. Elles se succèdent, offrant tous les registres expressifs, servis de la façon la plus raffinée, avec des textures transparentes, d'une densité toujours juste, fluides à souhait. La fin, évanescente est à elle seule la démonstration de la maturité épanouie de l'orchestre.

Tzigane (1924) contemporain de L'enfant et les sortilèges, rhapsodie de concert, explore toutes les possibilités du violon dans cet ensemble de variations juxtaposées. Hommage ou parodie ? Sans doute un peu des deux. La longue cadence introductive, charmeuse et grinçante, puis l'allegro, le meno vivo grandioso et enfin le  grandioso, tout concourt à faire de cette page célèbre, morceau de bravoure des grands violonistes, un régal des auditeurs. David Grimal, qui se joue avec une suprême aisance des difficultés accumulées, nous ravit dès son introduction en forme d'improvisation. Mais c'est encore après l'entrée de la harpe puis de tout l'orchestre que sont les meilleurs moments :  tout est là, l'humour, la vérité, la force, la liberté, le pathos2.

David Grimal.David Grimal. Photographie © D. R.

L'inévitable Boléro (1927) conclut la première partie.  Tout a été dit et écrit à son endroit. L'orchestre s'y amuse manifestement3, et le public est heureux.

On écoute maintenant Daphnis en oubliant l'intrigue qui sous-tend le ballet, et l'on n'en souffre guère, tant la musique dramatique s'est faite musique pure. La deuxième suite de Daphnis et Chloé (1913) s'ouvre sur ce lever du jour, incertain, fluide à souhait, vaporeux. On s'y baigne avec ravissement, les équilibres sont subtils et achevés, les progressions somptueuses, la précision horlogère. Les altos y chantent à merveille, la petite harmonie babillarde est admirable. Que dire du solo de flûte sur les pizz des basses ? Et de la grande flûte ? On oublie que les chœurs sont à l'orchestre. Les Dissonances font plus que jamais de la musique de chambre en grande formation : souples, nerveux, légers, puissants, ils nous réservent une fin irrésistible, où le flot nous emporte dans la danse générale. Certainement le sommet de ce concert.

On est encore sous la magie de Daphnis lorsque commence La Valse (1920), poème symphonique devenu ballet à la demande de Diaghilev, « une grande valse, une manière d'hommage à la mémoire du grand Strauss, pas Richard, l'autre, Johann ». Une fois encore l'argument (noté par Ravel) est devenu anecdotique. L'atmosphère mystérieuse, ouatée,  qui préside à la mise en place du rythme et des bribes thématiques, fait place à une progression fluide, dans laquelle chaque instrument, chaque pupitre fera entendre sa voix. Les couleurs, la puissance expressive sont bien là. Le public, conquis, acclame longuement les Dissonances et David Grimal révèle qu'après Ravel, c'est Bruckner — ô combien différent — qui sera au programme lors de leur retour (la 7e symphonie, le 27 janvier).

Eusebius
9 octobre 2016

1. ne manquait que la Pavane pour une infante défunte !

2. Il est cruel de rappeler la dernière audition de ce chef-d'œuvre à Dijon, en mars dernier, où l'orchestre était plus flamand que danubien… Ce soir, m'est revenue à l'esprit une lointaine soirée à Budapest, où l'un des frères Lakatos et son orchestre avaient égayé notre dîner, au point que j'avais oublié les plats et le Tokay pour la musique : le même esprit, le même  ravissement.

3. signalons au passage la prodigieuse longueur de souffle du cor anglais

Eusebius, eusebius@musicologie.org, ses derniers articles : La correspondance de Camille Saint-Saëns et Jacques RouchéOpéra de Dijon : L'Orfeo, ou la nature a horreur d'OvideElisso Virsaladze, magicienne du piano à la maison de la musique de Porto. Plus sur Eusebius.


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bouquetin

Vendredi 17 Février, 2023 12:50