L'Escadron volant de la reine, Notturno, œuvres de A. Scarlatti, Caresana, Veneziano. Évidence 2016 (EVCD 021).
Quel nom curieux pour un ensemble instrumental que celui d'Escadron volant de la reine. La reine, c'est la Médicis de la dynastie des banquiers qui renouvelèrent la vieille féodalité de cuirasse en féodalité d'argent, plongeant en passant la vieille Europe dans le chaos. Cet escadron est en fait un fantasme du xixe siècle : la reine aurait eu à son service un escadron de jolies et fort savantes femmes, recueillant sur l'oreiller les secrets d'État.
Les musiciens de l'Escadron ont, sous le titre bien choisi de « Nocturne », fait un choix dans des œuvres italiennes composées sur les Lamentations (de Jérémie) de la semaine sainte pour les offices des ténèbres, offices nocturnes sans sacrements qui faisaient courir la bonne société aussi bien en Italie qu'en France. Au cours de ces offices de lectures, très théâtralisés, de la descente aux enfers du Christ, du tremblement de terre (que les spectateurs pouvaient bruiter), de la résurrection, les cierges, l'un après l'autre, sauf un symbolisant l'enfant de Dieu, étaient éteints, jusqu'au lever du jour. Veillée nocturne, qui sous confiscation religieuse (reprise de la tradition judaïque), est une résurgence de la peur païenne de ne plus voir le soleil réapparaître et de celle d'un monde plongé éternellement dans la nuit. À cette occasion, les compositeurs se sont souvent surpassés.
Le nom d'Alessandro Scarlatti, père du Domenico aux 500 sonates bien sonnées, est assez familier : de Palerme, il est passé par Rome, Urbino, Venise et deux fois par Naples pour y établir le socle d'une magnifique tradition d'opéra et de chant, accessoirement pour y mourir. Mais on découvre grâce à ce cédé les merveilles des moins connus Cristofaro Caresana (1640-1709), compositeur, chanteur et organiste napolitain ayant étudié à Venise, et Gaetano Veneziano (1665-1716), qui malgré son nom est Napolitain de naissance à mort. Voir Naples et mourir en quelque sorte.
L'Escadron a réalisé du premier coup un chef-d'œuvre de musique enregistrée, tout en grâce, magnificence, émotion esthétique et pourquoi pas humaine. Si j'étais chef d'escadrille, je veillerais de près à la qualité du casernement d'Eugénie Lefebvre, soprano de son état, qui est pour beaucoup dans cette réussite. La maîtrise des vibratos, les nuances, les effets multiples de timbre, sans que l'émission chaleureuse ne scille d'un iota. Tout passe au naturel et élégance. Certes les épisodes purement instrumentaux sont musicalement engagés, sensibles et expressifs dans une belle sonorité, les musiciens ont cœur et mains à leurs instruments, mais on sait depuis Ulysse qu'il est très difficile de lutter à mains nues contre l'envoûtement des sirènes.
Eugénie Lefebvre (soprano), Josèphe Cotter (violon), Marie Rouquié (violon), Benjamin Lescoat (alto), Antoine Touche (violoncelle), Sanne Deprettere (contrebasse), Thibaut Roussel (théorbe), Clément Geoffroy (clavecin et orgue).
Gaetano Veneziano (1665-1716), Lectio Terza del Primo Notturno del Venerdì Santo a voce sola con violini. Extrait de la plage 6.Jean-Marc Warszawski
24 mai 2016
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1. Cristofaro Caresana (v.1640-1709), Lectio Prima del Venerdì Santo a voce sola con violini — 2-5. Alessandro Scarlatti (1660-1725), Agar et Ismaele Esiliati, Sinfonia avanti l'Oratorio : Grave, Allegro, Largo, Allegro – Presto — 6. Gaetano Veneziano (1665-1716), Lectio Terza del Primo Notturno del Venerdì Santo a voce sola con violini — 8-17. Alessandro Scarlatti, Sinfonia a quattro senza cembalo (Fuga, Largo, Allegro, Menuet), San Filippo de Neri, Sinfonia avanti l'Oratorio (Allegro, Adagio), Lectio Prima Feria V in Coena Domini (Incipit lamentatio ; Aleph, Quomodo sedet sola civitas ; Beth, Plorans ploravit ; Ghimel, Migravit Iudas ; Daleth, Viae Sion ; He, Facti sunt ; Jerusalem convertere.
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Dimanche 21 Juillet, 2024