Lire ici la chronique des deux autres concerts : Quatuor Danish au Louvre, Trio de l'Alience à l'Institut Finlandais
Le Trio Wanderer. Photographie © D. R.
Aujourd'hui, le Trio Wanderer occupe une place privilégiée dans le paysage mondial de la musique de chambre. Leur excellence et la réputation qui en découle suffisent largement pour remplir jusqu'aux galeries le Théâtre des Champs-Élysées, un dimanche matin, comme ce fut le cas de ce 14 février. Le programme est séduisant, le trio de Ravel et celui en mi♭majeur de Schubert. Leur Ravel est agréablement robuste, il y a quelque chose de très déterminé. Dans les accélérations du premier mouvement, dans les larges souffles des parties lentes du Modéré aussi bien que dans la Passacaille, et même dans le Pantoum où la légèreté est complice de quelque espièglerie, on sent à travers leur interprétation une intention infaillible, attirant sans relâche, d'un bout à l'autre, l'attention de l'auditeur. Parfois, cette fermeté nous surprend, mais nous en sortons pleinement convaincus de leur vision.
Le pianiste Vincent Coq brille particulièrement dans Schubert, pour « relief et fiabilité absolue » comme affirme le texte imprimé sur la feuille du programme. Il « assure l'arrière » tout en remplissant le rôle fédérateur des trois instruments, dans un dialogue harmonieux. Et ce dialogue est plus qu'évident dans le célèbre Andante con moto et le final. Ils adoptent un tempo légèrement soutenu dans ces deux mouvements, et si la rapidité paraît quelque peu prononcée au début, on s'y habitue vite pour entrer, encore une fois, dans leur vision. Des idées contrastées de Schubert, ombre et lumière, espoir et désespoir, flamme et froideur… se succèdent, sous les doigts et les coups d'archet des trois musiciens, créant un moment intense.
À la fin du concert, il donne deux bis, le presto du premier trio de Beethoven surnommé « La poule » (et Jean-Marc Philips-Varjabédian de lancer une petite blague avec le nom du pianiste), plein d'esprit, et le 2e mouvement du trio de Fauré, rempli de poésie de douceur.
Ces deux musiciens réunis produisent une alchimie. Le programme fait largement écho à leur disque English Delight (qui est également le premier enregistrement pour l'altiste) rassemblant des œuvres de compositeurs britanniques.
Ce soir-là, après avoir donné le ton avec Franck Bridge — car Pensiero et Allegro Appassionato, ce sont non seulement les titres des pièces de Bridge, mais aussi deux fils conducteurs de ce concert —, ils proposent ensemble la Sonate Arpeggione de Schubert. Le beau son de l'alto, large et boisé, et la sonorité chaude, mais intime du piano Boesendorfer se marient à merveille, dans une expression nostalgique et un peu languissante (premier mouvement), qui gagne petit à petit en ardeur. Ces différents traits de caractère s'amplifient davantage dans Märchenbilder de Schumann, avec plus de lyrisme et de fantastique. Dans ces deux œuvres, on admire particulièrement la sensibilité et la musicalité de Thomas Hoppe dont la fusion avec l'alto relève d'un petit miracle ; on imagine facilement à quel point l'altiste devient capable de raconter une histoire à travers la musique, avec un tel pianiste, qui est lui aussi un excellent conteur !
Puis, retour sur les îles britanniques. Une courte Music for a while de Purcell en toute simplicité, avant d'aborder la sonate de Rebecca Clark (1886-1979). Quelques influences françaises (Debussy, Fauré et un peu de Ravel) n'empêchent pas la compositrice de s'affirmer, et Adrien La Marca et Thomas Hoppe insufflent la vie à ce chef-d'œuvre oublié qui s'anime avec véritable bonheur.
La soirée se referme avec « Mercutio » de Prokofiev (extrait de Romeo et Juliette) et Après un rêve de Fauré, deux morceaux qui représentent parfaitement « appassionato » et « pensiero », et la boucle est bouclée.
Strapontin au Paradis
1er mars 2016
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Jeudi 11 Juillet, 2024